Idée : Ateliers d’auto-production pour parvenir à l’autonomie
À Grenoble, une association propose des ateliers d’autoproduction d’objets et édite des notices de fabrication en libre-accès. Un autre moyen de parvenir à l’autonomie dans la vie courante.
À l’île de Sein ou à El Hierro, c’est un objectif énergétique. À Mouans-Sartoux ou à Ungersheim, on cherche à l’atteindre dans l’alimentation. Certains intellectuels tels André Gorz ou Cornelius Castoriadis l’ont placée au cœur de leur projet d’écologie politique, en fracture avec l’asservissement capitaliste. Mais à Grenoble, c’est dans la construction d’objets qu’on veut la faire advenir : l’autonomie.
Depuis 2008, l’association Entropie développe une activité à la croisée des mouvements du logiciel libre et du « DIY » (Do it Yourself). Elle tire du premier son « esprit du libre » selon Lucas Courgeon. « La logique d’‘’open-source’’ n’est pas restreinte au logiciel et on montre qu’on peut l’appliquer à autre chose que l’informatique ».
En l’occurrence, ce sont les notices de fabrication qui sont en libre-accès chez Entropie. Elles sont diffusées sous licence libre (Art Libre) qui donne accès au « code source » de chaque objet, c’est-à-dire à sa méthode de fabrication et à son choix de conception. Chacune des notices peut ensuite être librement copiée, diffusée, modifiée et même commercialisée.
– Un exemple d’une notice libre : guide pour construire un lombricomposteur. –
Ceci facilite ainsi l’autoconstruction des objets, objectif qui s’inscrit directement dans la tendance « DIY ». « Il s’agit de redonner aux personnes les moyens de produire leurs propres outils », explique Thomas Bonnefoy, l’un des salariés de la structure. À la sortie de ses études à Sciences-Po il y a trois ans, il a ressenti le besoin de retrouver un équilibre entre le travail manuel et le travail de bureau : « Le projet parlait de choses concrètes, et j’ai appris à mieux travailler avec mes mains ».
Depuis, dans leur atelier inspiré des « fab lab », il a par exemple confectionné son propre lit selon le modèle préexistant de Enzo Mari, un designer italien.
Une journée de conception, assistée par ordinateur, suivie d’une journée de construction à l’aide de planches déjà rabotées, et le cadre en bois doté d’une tête de lit est prêt à l’emploi. Bien qu’elle travaille beaucoup autour du mobilier d’intérieur, Entropie s’intéresse également aux objets à intérêt écologique : four solaire, éolienne, composteur, etc.
L’association est en quelque sorte le précurseur français d’un mouvement déjà porté par quelques architectes-designers à l’étranger : le « design libre ». Une pensée et une pratique à contre-courant du modèle dominant, qui met au cœur de son fonctionnement l’autoproduction et la libre-circulation des connaissances :
« Ce schéma organisationnel vise à augmenter l’autonomie de chaque citoyen, il est reproductible par mon voisin sans pour autant que j’entre ainsi en concurrence avec lui, bien au contraire. Je ne peux que m’enrichir de ces recherches qu’il va partager », explique Christophe André, fondateur d’Entropie.
Autonomie Vs Ikéa
Dans un texte rédigé il y a quelques années, il justifie ainsi sa démarche :
« Un des points qui me dérange le plus dans le rapport que l’on entretient avec les objets, c’est l’abstraction quasi totale qui le caractérise. Par abstraction, j’entends le fait que la plupart du temps on ne sait pas par qui, dans quelles conditions, avec quel type de matériau ou à quel endroit sont réalisés les objets ni comment ils fonctionnent précisément […]. Pour lever cette abstraction, j’ai décidé de fabriquer les objets dont j’ai besoin plutôt que de les acheter […].
Ce genre d’expérience […] est un moyen de rétablir un équilibre entre la production intégrée (hétéronome) et ce que Ivan Illich appelle la production vernaculaire (ou autonome). La production autonome est celle qui permet à chacun de produire d’une manière très souple à partir de ressources locales et de moyens techniques de proximité en vue de satisfaire ses propres besoins et ceux d’un groupe social relativement restreint (une communauté, un village, une région).
Ce mode de production, qui était dominant avant la révolution industrielle, tend à disparaître au profit de la production intégrée. Cette production hétéronome demande des moyens techniques considérables et donc des capitaux en rapport, ainsi qu’une main-d’œuvre importante soumise à une division du travail poussée réduisant les savoir-faire et enlevant au travailleur toute l’autonomie dont l’artisan d’antan pouvait bénéficier ». (Lire toute la philosophie du projet ici.)
Selon Lucas Courgeon, IKEA est l’exemple de ces multinationales qui « travaillent à la chaîne pour produire un mobilier de mauvaise qualité, qui ne dure pas dans le temps ». Or, à l’heure où la loi de transition énergétique doit – enfin – permettre de punir l’obsolescence programmée comme un délit, se réapproprier un savoir-faire de construction et le temps de sa mise en œuvre apparaît comme une qualité à haute valeur écologique. « Car quand on sait comment réaliser un objet, on sait aussi comment le réparer ».
Devenir « prosommateur »
Face au système de production classique du capitalisme industriel, Entropie propose d’abolir la frontière entre producteur et consommateur. Le citoyen devient alors plutôt un « prosommateur », c’est-à-dire un individu qui prend part à ce qu’il va consommer. « Il utilise un service en s’impliquant dans la réalisation de celui-ci. On sort le consommateur de son attitude passive pour le replacer comme acteur responsable de sa consommation et de l’univers qui en découle », poursuit Lucas Courgeon.
Une démarche alternative qui a par ailleurs inspiré le nom de l’association : « Si l’entropie est une grandeur thermo-dynamique qui mesure le niveau de désordre d’un système, alors nous nous proposons justement de diminuer l’entropie que crée le système actuel ».
En développant des ateliers d’éducation populaire et en rééditant son guide de notices (voir ci-dessous), l’association grenobloise pourrait bien faire du « design libre » l’hétérotopie de demain.
DES NOTICES DÉJÀ DISPONIBLES :
Une vingtaine de notices est d’ores et déjà disponible sur le site d’Entropie. L’association en a même fait un catalogue dont les cent premiers exemplaires sont tous épuisés. C’est pourquoi l’association s’est lancée dans une opération de réédition financée par une plateforme de financement participatif.
Plus d’informations ici.
Source et photos : Barnabé Binctin pour Reporterre