Fukushima… la suite
Fukushima : un « robot-serpent » porté disparu au cœur d’un réacteur
Le corium, c’est un sacré bazar. Ça ressemble au « dissolvant universel » inventé par Géo Trouvetou dans un vieux Picsou : au même titre que le « Dissoutou » dissout tout, le corium fait fondre quasiment tous les matériaux.
En ce moment, sur la planète Terre, on trouve du corium dans le nord-est de l’île de Honshu, l’île principale du Japon. Sa conception n’est pas naturelle mais accidentelle. Durant les premières heures de l’accident nucléaire de Fukushima, en mars 2011, le cœur du réacteur n°1 a fondu. L’uranium qu’il contenait a fondu, absorbant ce qu’il y avait autour, les tuyauteries, les barres… Ça a donné naissance à une sorte de « magma métallique » : le fameux corium.
En termes de radioactivité, le corium, c’est le top du top. Ça tue un homme ou un éléphant à proximité. Dans les réacteurs n°1, n°2 et n°3 de la centrale de Fukushima Daiichi, le corium est le déchet radioactif le plus préoccupant. On ne sait jusqu’où il a pénétré (on sait qu’il a percé la cuve censée l’isoler du monde extérieur mais on ne croit pas qu’il soit allé jusqu’aux nappes souterraines). Autre inconnue à l’équation : quel est son niveau de radioactivité aujourd’hui ?
Pour planifier le chantier de décontamination, il faudrait avoir des yeux dans le réacteur n°1. Or, il n’est pas question d’y envoyer un humain. D’après un article du Japan Time, les derniers relevés de rayonnement à l’intérieur du cœur, datant de 2012, s’élevaient à 11 sieverts par heure. Trop dangereux pour tout ce qui vit.
Robot casse-pipe
L’accident nucléaire de Fukushima a eu lieu il y a quatre ans. Le chantier de décontamination des quatre réacteurs devrait prendre quarante années, selon le PDG de Tepco (l’exploitant de la centrale), Naomi Hirose. Face à l’impossibilité d’envoyer des humains sur place, Tepco investit dans les robots. Sur son site internet, on trouve un éventail plutôt impressionnant de robots pouvant intervenir dans des environnements hostiles.
Capture d’écran du site de Tepco (Tepco)
Il y a ceux avec des roues, ceux avec des chenilles, ceux avec des jambes, ceux avec des bras articulés et ceux avec rien de tout ça. Ce bestiaire distingue les robots « d’investigation » des robots « d’opération ». « On y trouve même des machines utilisées par l’armée américaine », explique Michel Chevallier. Il fait référence à Warrior, un robot plus habitué aux champs de mines qu’aux terrains radioactifs.
Un robot à la recherche du corium
Michel Chevallier est le président de l’Intra, le groupe d’intervention robotique sur accidents. Créé en 1988 par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Areva et EDF, son rôle est d’intervenir en cas d’accident nucléaire majeur. On aimerait ne jamais avoir affaire à lui.
Pour ça, il dispose d’un parc de robots spécialisés. Michel Chevallier emploie le terme de « télé-opération » :
« Les humains pilotent les robots. Protégés et à l’écart, ils disposent d’un joystick et d’un retour vidéo. »
C’est aussi le cas des robots dépêchés par Tepco. Ils n’évoluent pas de manière autonome dans l’environnement mais sont pilotés à distance (la méthode « aspirateur de déchets radioactifs », c’est pas aussi simple que l’aspirateur ménager). Le pilotage à distance, c’est le point commun des robots de Tepco. En revanche, leurs formes et leurs fonctions diffèrent. Michel Chevallier :
« Tepco développe des robots selon ses besoins réels sur le terrain. »
L’un des besoins urgents, en vue de décontaminer le réacteur n°1, c’est la découverte du corium. Si l’on se fie à la gravité, le combustible fondu devait se situer au fond de la cuve de confinement. Raté. Au début du mois d’avril, Tepco a annoncé que le corium ne se trouvait pas là où il devait se trouver.
Un « serpent-robot » multiforme
Partir à la conquête des combustibles perdus, c’était la mission d’un petit robot appelé « shape-changing robot ». En français, on emploiera l’expression « robot multiforme ».
Capture d’écran du « robot multiforme » sur le site de Tepco (Tepco)
Développé par Tepco et la société japonaise Hitachi, ce petit robot ressemble à un serpent ou à un ver de terre. Pourquoi cet animal ? Il peut se mouvoir sur des terrains accidentés et franchir des obstacles contre lesquels un appareil équipé de roues buterait. Créer une telle machine relève de ce qu’on appelle le biomimétisme : on copie ce qui marche bien chez le vivant et on lui trouve une application en robotique. Des animaux-robots, il en existe plein d’autres.
Long de 60 cm, équipé de mini-chenilles, le « shape-changing robot » (on va l’appeler SCR) possède une caméra, des détecteurs de température et de radioactivité. Ce petit « Transformer » peut, comme son nom l’indique, changer de forme, ressemblant soit à une sorte de lettre I, soit au chiffre 3.
Dans le cœur du réacteur n°1
Vendredi, c’était le jour-J pour SCR. Le plan avait été établi : remonter un tuyau large de 10 cm de diamètre, jusqu’à la cuve de confinement. Accéder au premier étage du réacteur et en étudier au moins la moitié. Trouver des traces des combustibles, voire du corium. En dehors du réacteur, 40 personnes exposées à une dose « raisonnable » (c’est Tepco qui le dit) de rayonnement participent à l’opération. Parmi elles, le pilote du robot.
SCR est lancé. C’est une grande première. Jamais les humains, par l’intermédiaire d’un robot, n’avaient été aussi proches du cœur du réacteur n°1. Les données renvoyées par le robot montrent que le taux de radioactivité y est encore mortel pour l’homme. Sa caméra frontale nous fait rentrer dans le cœur d’un réacteur hostile. C’est méga-glauque.
Robot, petite chose fragile
Problème : après trois heures de déambulation dans le réacteur, SCR s’est arrêté. Tout le week-end, le personnel sur place n’a pas réussi à reprendre contact avec la machine. Comment cela est-il possible ?
Les robots ont beau être composés d’éléments non organiques, ils demeurent fragiles. Les rayonnements radioactifs, ça leur bousille aussi les circuits. Selon Cybernetix, une entreprise spécialisée dans la conception de robots résistants :
« Certains composants des robots possèdent des liaisons C-H, c’est-à-dire des liaisons carbone-hydrogène. »
Les rayonnements ont un effet néfaste sur ces liaisons, ils les vieillissent plus rapidement. Bien sûr, on pourrait développer un robot insensible, mais il faudrait l’enfermer dans une boîte de métal qui n’est pas constituée de liaisons C-H. Il aurait alors l’agilité d’un chevalier en armure interprétant une chorégraphie en patins à glace.
Plusieurs hypothèses
Le petit robot SCR a ainsi pu être dégradé par l’importance des rayonnements. Mais ce n’est pas la seule hypothèse. La liaison entre le robot et le pilote a aussi pu être interrompue à cause des rayonnements, ou le robot s’est retrouvé bloqué par des obstacles.
De toute manière, SCR était à usage unique. S’il était sorti en un seul morceau du réacteur n°1, il aurait été décontaminé puis recyclé à cause de son haut degré de radioactivité.Tepco aurait alors poursuivi ses recherches dans le réacteur n°1 à l’aide d’un autre SCR.
Mais aujourd’hui, ce n’est plus possible. La carcasse du robot serpent bloque le passage. Encore un obstacle jusqu’au corium. Pour Tepco, un nouveau besoin robotique s’est créé. Il faudrait créer un automate télé-pilotable de petite taille capable de dégager le chemin. Ou bien développer un nouveau robot… pour récupérer l’ancien.
Benoit Le Corre pour