EMPLOI : CDI en danger et syndicats bâillonnés

Deux articles à mettre en regard… Le premier, va vous faire peur vous tous qui pensez être à l’abri avec votre CDI. Non seulement ce type de contrat ne vous offrira plus aucune sécurité mais comme vous le lirez, le chantage au licenciement permettra aux patrons d’entreprises d’exiger soit plus d’heures, soit moins de salaire pour « maintenir » l’entreprise. Traduisez : pour verser des dividendes juteux aux actionnaires.

Le second article fait référence à une étude du FMI sur le syndicalisme. Vous verrez, c’est édifiant. Ce que cela prouve, c’est que le travail de sape pour contrôler les syndicats, réduire leurs champ d’action  et détruire leur image dans l’esprit des travailleurs via les médias, notamment la télé, depuis des décennies a merveilleusement fonctionné. L’ultra-libéralisme bénéficie maintenant d’un boulevard pour s’installer.

Le gouvernement accélère le «déverrouillage» du CDI

Valls l’a annoncé quelques heures seulement après la défaite de son parti aux élections départementales. Pour redonner de l’espoir, il veut favoriser « l’emploi, l’emploi, l’emploi ». La recette est toujours la même : rogner le droit du travail, pour accroître la compétitivité des entreprises. Des mesures proches de celles proposées par le Medef et tout récemment par Jean Tirole, prix Nobel d’économie. Elles seront débattues vendredi prochain à la conférence sociale pour l’emploi.

Manuel Valls a une idée des raisons de sa défaite : le chômage, qui continue de crever les espoirs des Français. Au soir des départementales à Matignon, il a logiquement placé l’emploi au cœur de son discours. Le premier ministre a notamment relancé l’idée d’un CDI plus souple pour les petites et moyennes entreprises. Ce contrat spécifique pourrait être conditionné aux résultats économiques, ce qui permettrait de licencier plus facilement. « Il faut que les patrons ne se sentent pas pieds et poings liés », aurait déclaré un ministre aux Echos

© Reuters

La mise en œuvre de ces nouvelles réformes sera au menu d’une loi Macron, deuxième tranche, cet été, a annoncé le ministre de l’économie lors d’un déplacement en Côte-d’Or pour la Semaine de l’industrie. «Il faut lancer des réformes d’ici l’été qui permettent de continuer à la fois le déverrouillage de l’économie française et d’accélérer la reprise qui est en cours». La question spécifique du contrat « spécial TPE » fera également l’objet d’une conférence sociale en juin. Mais « le gouvernement écoute qui ? », s’inquiétait Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, lors d’un entretien accordé à Mediapart lundi. Car si Matignon a complété cette annonce par la promesse de nouvelles mesures pour favoriser l’investissement, pas un mot sur la protection des salariés. Devant l’ampleur des réactions, Manuel Valls a tenté un rétropédalage ce matin au micro de Jean-Jacques Bourdin sur BFM : « La remise en cause du CDI n’est pas dans les projets du gouvernement ».

Ces propositions pour moins de « rigidité » rappelle le texte du Medef envoyé la semaine dernière aux syndicats, en vue de la conférence sociale sur la « sécurisation de l’emploi » qui se tiendra vendredi au ministère du travail. L’organisation patronale, outre qu’elle se réjouit des mutations profondes qui seraient à l’œuvre depuis 2008, aspire à encore plus de souplesse. D’abord, donner la possibilité de signer des accords de maintien dans l’emploi (qui permet de réduire le temps de travail et de baisser les salaires), pour gagner en compétitivité et pas seulement lorsque le carnet de commandes est à la baisse. Le Medef accentue aussi son travail de lobbying sur un CDI « sécurisé », qui prévoirait dès sa signature de licencier si la situation économique de l’entreprise se dégrade.

Jean Tirole, récompensé l’an dernier du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, chercheur à l’université de Toulouse, en a rajouté une couche en établissant, à moins de quatre jours de la conférence sociale, une vraie feuille de route pour un « jobs act » à la française. L’économiste, à l’instar d’une quinzaine de ses collègues, a opportunément dévoilé dans les Échos lundi sa vision des réformes à mener, essentiellement une amélioration de la formation professionnelle, une réforme de l’assurance chômage, une baisse du coût du travail, et une réforme du licenciement économique.

Le texte, dans le détail, est explosif. Pour faire baisser le chiffre du chômage, il faudrait transformer profondément le marché du travail et favoriser les créations d’emploi « en sécurisant les conditions de rupture du contrat de travail ». Alors que la loi Macron prévoyait déjà d’encadrer l’indemnisation du salarié en cas de licenciement non justifié et de limiter à la France l’obligation de reclassement des salariés, ces économistes veulent « aller beaucoup plus loin ». L’entreprise peut pour le moment licencier pour sauvegarder sa compétitivité. Elle doit pouvoir le faire pour « l ’améliorer ». Pour y arriver, un contrat de travail simplifié, dont la rupture se ferait non pas en fonction de la situation économique mais au regard de l’organisation de l’entreprise. Plus loin, Jean Tirole et ses collègues souhaitent également que l’obligation de reclassement incombe non pas aux entreprises, mais au « service public de l’emploi ». Le coût du travail doit de son côté baisser, et les aides se concentrer autour du SMIC, un niveau de salaire davantage créateur d’emploi.

Plus que des ballons d’essai, il s’agit bien d’une véritable convergence idéologique qui se fait jour entre ces économistes, le patronat et le gouvernement français. La pièce maîtresse du dispositif est ce CDI rénové, devenu un attribut incontournable de la doctrine de la « flexisécurité » à l’échelle européenne. Ses promoteurs oublient de préciser que son succès repose, dans les pays du Nord souvent présentés comme modèles, sur une politique ambitieuse et coûteuse de l’emploi et la formation, un niveau de pauvreté faible et un rapport de force bien plus équilibré entre patrons et salariés.

Mathilde Goanec pour : http://www.mediapart.fr/journal/france/300315/le-gouvernement-accelere-le-deverrouillage-du-cdi

 

ÉLOGE DES SYNDICATS

Puisque chacun prétend se soucier de l’envol des inégalités, pourquoi cette analyse du Fonds Monétaire International (FMI) est-elle passée à ce point inaperçue (1) ?

En raison de ses conclusions ?

Dans une étude présentéee en mars deernier, deux économistese issues de ce temple du libéralisme relèvent :

L’existence d’un lien entre la baisse du taux de syndicalisation et l’augmentation de la part des revenus les plus élevés dans les pays avancés dans la période 1982-2010

Comment expliquent-elles ce lien ?

En réduisant l’influence des salariés sur les décisions de l’entreprise, l’affaiblissement des syndicats a permis d’augmenter la part des revenus constitués par les rénumérations de la haute direction et des actionnaires

Selon ces économistes du FMI « une moitié environ » du creusement des inégalités que les libéraux préfèrent traditionnellement attribuer à des facteurs impersonnels (mondialisation, technologies etc…) déclinerait du déclin des organisations de salariés. Doit-on s’en étonner ?

Quand le syndicalisme, point d’appui historique de la plupart des avancées émancipatrices s’efface, tout se dégrade, tout se déplace. Son anémie ne peut qu’aiguiser l’appétit des détenteurs du capital. En son abscence, libérer une place qu’envahissent aussitôt l’extrême-droite et l’intégrisme religieux, s’employant l’un et l’autre à diviser des groupes sociaux dont l’intérêt serait de se montrer solidaires.

Or l’effacement du syndicalisme ne tient ni du hasard ni de la fatalité.

En avril 47, alors que l’Occident s’apprête à connaître 30 ans de prospérité un peu mieux partagée, Frederick Hayek, un penseur libéral qui a marqué son siècle, dresse la feuille de route de ses amis politiques :

Si nous voulons entretenir le moindre espoir d’un retour à une économie de liberté, la question de la restriction du pouvoir des syndicats est une des plus importantes.

Hayek prêche dans le désert mais quelques décennies plus tard, grâce à l’intervention brutale et directe de deux de ses admirateurs, Ronald Reagan et Margaret Tatcher, lors de conflits du travail marquants  (les contrôleurs aériens américains en 1981, les mineurs britanniques en 1984-1985), le « pouvoir syndical a rendu l’âme. Entre 1979 et 1999, le nombre annuel de grèves impliquant au moins 1000 salariés passe aux Etats Unis de deux cent trente cinq à 17, celui des jours de travail « perdus » de vingt millions à deux millions (2). Et la part du salaire dans le revenu national recule….

En 2007, sitôt élu Président de la République, M. Nicolas Sarkozy fait à son tour voter une loi restreignant le droit de grève dans les services publics.

L’année suivante, il pavoise tel un gamin hilare :

Désormais, quand il y a une grève en France personne ne s’en aperçoit

 

En bonne logique, l’étude du FMI aurait dû insister sur l’urgence sociale et politique de renforcer les organisations de salariés. Elle estime plutôt qu’

il reste à déterminer si l’accroissement des inégalités dues à l’affaiblissement des syndicats est bon ou mauvais pour la société

Ceux qui ont déjà une petite idée de la réponse en tireront sans effort la conclusion qui s’impose.

Serge Halimi pour le Monde Diplomatique (édition papier)

(1) Florence Jaumotte et Carolina Osorio Buitron « Le pouvoir et le peuple » Finances et Développement, Washington DC mars 2015

(2) Georges Melloan, « Whatever happened to the labor movement ? », The Wall Street Journal, N.Y, 4/09/2001

(Pour ceux qui le peuvent, procurez-vous ce numéro d’Avril, empruntez-le, vous avez une étude sur plusieurs pages de la loi Macron aussi intéressante qu’elle est inquiétante. Toute personne en activité devrait prendre connaissance de cette loi qui va changer leur vie au travail ou peut-être leur vie tout court.