Néo-ruraux/une belle réussite

C’est un trou perdu en Bretagne

De Trémargat, Côtes-d’Armo A Trémargat, on dit qu’on est ravitaillés par les corbeaux et que lorsqu’ils survolent le bourg, c’est sur le dos pour ne pas voir la misère. Le centre Bretagne est le pays le plus pauvre de la péninsule.

Il a échappé aux remembrements et conservé ses fossés, ses landes, ses bois. Une zone rurale au possible, où la terre n’est pas bonne à cultiver. Dans ce beau pays de cailloux, il y a 50 ans, on conseillait aux enfants de ne pas rater le train de l’exode rural. En 1966, le journaliste et indépendantiste breton avait pris Trémargat en exemple de ces « communes marginales » vouées à disparaître.

Depuis que la liste des « néo-ruraux » a battu celle de la dynastie locale en 1995, il n’y a plus de liste concurrente aux municipales. Cette année, la liste d’inspiration écolo s’ouvre à des…chasseurs.

Un village voisin, Peumerit-Quintin, pourrait prendre le même chemin : une liste inspirée par l’expérience de Trémargat est candidate face au conseil municipal sortant. Là-bas aussi, Eva Joly est arrivée en tête au premier tour de la présidentielle en 2012, à égalité avec Marine Le Pen et François Hollande.

Il avait raison, jusqu’à un certain point : 269 habitants en 1962, 199 en 75, 152 en 90. Et puis la courbe est remontée, doucement. Près de 200 âmes peuplent aujourd’hui Trémargat et les candidats à l’installation sont nombreux. La population est particulièrement jeune pour le coin.

Quatre couples de soixante-huitards ont présidé à ce petit miracle. Leur envie d’un retour à la terre les a amenés dans cette commune étendue, où ils ont repris des fermes selon leur conception de la paysannerie, à rebours de l’agriculture intensive dans laquelle la Bretagne se jetait à corps perdu.
Tout seuls ici, on n’aurait pas tenu le coup
Parmi les quatre couples précurseurs, il y avait Kathleen, Achille, leurs « sept hectares et 12 biquettes ».
On n’y connaissait rien mais on voulait faire paysans. Contrôler notre truc, faire tout juste ce dont on avait besoin. On n’avait pas le choix, il nous fallait acheter sur la terre la plus pauvre de Bretagne. Et puis ici, il y avait de la place : tout le monde était parti. »

La jeune retraitée raconte l’aide des agriculteurs du coin pour monter les fermes des nouveaux venus, l’enthousiasme des chantiers en commun, l’alliance improbable des jeunes frais émoulus de la lutte du Larzac et de vieux paysans si surpris de découvrir des gens qui s’intéressent encore à leur terre et leur métier.
Tout seuls ici, on n’aurait pas tenu le coup. Mais on savait qu’on ne resterait jamais seul en panne.
Aujourd’hui, les constructions qui poussent sont quasiment toutes en bois et l’œuvre d’un chantier collectif. L’entraide tient lieu de religion.

Nathalie Benibri, qui a eu l’audace d’ouvrir à Trémargat restaurant-bio qui marche très bien, avec son menu à 7,50 euros le lundi et 12 le reste de la semaine –, pense que les gens viennent « chercher une autre façon de vivre, être tranquilles, vivre bien sans bosser comme des fous ». Son fils, 11 ans, ajoute : « Ici, c’est la fête et on n’est pas embêtés par les flics. »
La fierté : les 14 fermes sur la commune
Le nombre de fermes sur la petite commune – 14 – revient comme un motif de grande fierté. « C’est la base de la vie sociale », assure le maire Eric Bréhin, un enseignant à queue de cheval qui cèdera sa place fin mars, respectant la présidence tournante du conseil municipal.

« Quand on n’a pas assez pour faire les repas, on achète aux voisins, ça permet d’entretenir le réseau de fermes », disent spontanément Leïla et son copain Dorig, jeunes gérants d’une target= »_blank » ferme pédagogique montée en 1990.

Succédant aux parents de Leïla, ils transmettent à leurs jeunes visiteurs un certaine vision de la paysannerie : protection de l’environnement, aménagement du territoire, consommation locale. L’agriculture intensive est un repoussoir commun.

La hantise des habitants « verts » de Trémargat est de voir une ferme vampiriser le territoire. Seuls deux agriculteurs du village ne sont pas adhérents du Centre d’étude pour le développement d’une agriculture plus autonome , qui prône une agriculture durable, à l’herbe, sans intrant et à taille humaine. On ne les voit jamais au bourg, qu’ils traversent, dit-on, en 4×4.

Ont-ils été mis au ban ? « Ce sont eux qui s’auto-excluent », dit Nathalie Benibri. Un artisan installé de longue date, observateur mitigé, estime que l’accueil proverbial de Trémargat est désormais réservé à certains, qu’un « comportement insulaire » s’est développé. Réponse de la restauratrice :
Peut-être que les gens qui ne sont pas de sensibilité écolo ne voudront pas s’installer ici, mais tant mieux à la limite.
Après une nouvelle vague d’arrivants dans les années 1980, ceux qui voulaient croire à l’avenir de Trémargat ont commencé à peser dans la vie du village, à s’organiser.

En 1995, ils ont pris la mairie à la famille qui gérait le bourg en père peinard. Ils ont eu mille idées, guidés par un leitmotiv : redonner de la vie, accueillir de jeunes agriculteurs, protéger leur nature qui attire les randonneurs.

Le conseil municipal a trouvé les solutions pour maintenir le café, ressusciter l’épicerie, accueillir davantage d’habitants. Des jeunes, attirés par l’ambiance et l’identité de Trémargat, tapent aujourd’hui à la porte. Voici quelques-unes de leurs expériences, qui réconcilient avec la politique locale.

  1. Prendre la mairie pour « développer le village »
  2. L’épicerie : rachetée par la mairie, alimentée par les paysans
  3. Sauver le café, un réflexe de survie
  4. Rénover l’église pour trois fois rien, malgré l’anticléricalisme
  5. Un plan local d’urbanisme pour accueillir de nouveaux habitants
  6. Acheter des terres via une SCI, pour attirer les jeunes agriculteurs
  7. Retaper le bourg grâce aux habitants

Dans les années 1980, le maire était le fils de son prédécesseur. « Et puis, il y a eu une ouverture », dit Kathleen Castrec.

« Quand on a eu envie de développer le village, ça a discuté dur. Ils estimaient qu’il n’y avait plus rien à faire. Aucune idée d’avenir. »

L’entretien de la voirie était l’essentiel de l’activité du conseil municipal. « Mais pas la peine de mettre des pavés s’il n’y a personne pour les lancer », ironise Eric Hamon, élu en 1995 contre la liste de l’ancien maire avec ce slogan : « Vivre, participer et accueillir dans un environnement préserver et de qualité. »

Depuis le changement de majorité, l’édile change à chaque élection : le boulot est suffisamment prenant comme ça. Eric Bréhin, l’actuel maire, prof de sciences économiques et sociales, estime y consacrer quinze heures par semaine.

L’équipe fait des compte-rendus de mandat à la salle polyvalente et organise des réunions publiques pour préparer son programme. La capacité d’investissement d’une commune de cette taille est limitée : 40 000 euros par an. La moitié part dans l’entretien des vingt kilomètres de chemins qui mènent à l’un des hameaux.

 

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