Comprendre l’actualité en étudiant l’histoire : L’isolement de la Russie (1/4)

C’est un long article mais passionnant qui remet certaines fausses vérités sur la Russie à l’endroit. Le Russie bashing qui règne depuis trop longtemps dans une Europe soumise à la l’histoire écrite par les atlantistes depuis le début du siècle dernier, fait des ravages en ce moment. Comme vous le lirez, l’histoire a été biaisée et enseignée comme telle.  De ce fait, l’imprégnation dans notre culture historique de ces contre-vérités, omissions ou semi-vérités nous empêchent d’avoir une vision juste et saine de l’actualité. 

Merci à Nicolas sur le blog d’Olivier Beruyer qui fait un énorme travail de déblaiement, et merci à aux auteurs des commentaires, souvent de haut niveau, qui corrigent ou précisent  les informations en fournissant des liens complémentaires.

Depuis maintenant un an, les États-Unis et leurs vassaux occidentaux cherchent à isoler la Russie, et à l’affaiblir. Obama s’est récemment auto-congratulé d’avoir isolé la Russie et mis son économie en lambeaux. Si l’économie russe entre dans une passe difficile, en raison notamment de la chute du prix du pétrole apparemment voulue par l’Arabie Saoudite, les États-Unis ont ils réellement réussi à convaincre les autres pays de s’éloigner politiquement de la Russie afin d’affaiblir son économie ? On parle toujours de la diplomatie américaine, je me suis efforcé de suivre les efforts de Sergueï Lavrov depuis un an, afin de savoir si les dirigeants des autres pays lui ont tous réservé un accueil glacial, comme le voudrait Washington. Avant de faire ce tour du monde, je propose une analyse de l’économie russe actuelle et pour cela, il faut commencer par prendre la mesure de l’effondrement qu’elle a subi en 1991.

Contexte historique

En 1812, c’est connu, le territoire russe s’est traîtreusement mis sur le chemin de la Grande Armée de Napoléon Ier, comme il l’avait déjà fait 2 siècles plus tôt face aux soldats polonais qui étaient venu gentiment envahir la Russie. C’est ainsi que l’on a commencé à se rendre compte que la Russie était un pays dangereux, une menace pour la paix dans le monde, comme dit Obama le Pacificateur.

En 1854, Napoléon III participe à la guerre de Crimée afin de satisfaire les objectifs géopolitiques britanniques, ce qui par la suite devint une tradition politique française, poursuivie jusqu’à aujourd’hui par un Young Leader qui a souhaité garder l’anonymat (et a gardé son casque de scooter pour qu’on ne le reconnaisse pas). 95 000 soldats français meurent (surtout de maladies). L’alliance anglo-turque n’aurait certainement pas vaincu la Russie sans le soutien français dont le contingent composait 40% de l’effectif allié.

Aleksandr II

En 1856, quand Aleksandr II arrive au pouvoir, la Russie est humiliée, réduite territorialement (elle vient de perdre la Moldavie et la Valachie (~Roumanie)), ruinée, et en retard industriellement. Les difficultés financières qui s’ensuivent contraignent de plus la Russie à vendre l’Amérique russe aux États-Unis en 1867, trois décennies avant la découverte d’or en Alaska.

Face à cette situation désastreuse, Aleksandr II entreprend de nombreuses réformes pour moderniser la Russie, qui était alors une très grande puissance agricole mais en retard industriellement sur les autres grandes puissances. La plus connue de ces réformes est l’abolition du servage en 1861 (avant le Pays-de-la-liberté, donc, et sans mesures ségrégationnistes pendant le siècle suivant contre les descendants d’esclaves).

L’Empereur Aleksandr II engage également d’autres réformes importantes. Outre les réformes militaires, on peut citer la réforme des villes (1870, mûrie depuis 1862), qui introduisit la démocratie censitaire en Russie. Cette mesure, qui semble très modestes d’après nos critères actuels, ouvre tout de même la voie à la monarchie constitutionnelle, et donne une impulsion à la production industrielle et au commerce. Rappelons que l’établissement de la Monarchie Constitutionnelle était la revendication des décabristes, en 1825. Les ingénieurs russes prennent pleinement part au développement des premiers appareils électriques. On peut citer la lampe à arc d’Iablotchkov, l’ampoule de Lodyguine (qui inventa plus tard le four à induction), la radio de Popov…

Les réformes entreprises par l’Empereur ne satisfont personnes : les uns trouvent qu’elles sont trop lente, les autres qu’elles vont trop loin. La Russie était alors, plus que d’autres pays d’Europe, agitée de mouvements révolutionnaires en particulier au sein de son intelligentsia. Aleksandr II survit à au moins 10 tentatives de meurtres.

En 1877-78 a lieu une guerre russo-turque. La victoire de la Russie permet de restaurer le prestige de la Russie, mais aussi de libérer la Serbie, le Monténégro, la Roumanie, et d’obtenir l’autonomie de la Bulgarie (indépendante de facto, mais de jure en 1908 seulement).

En mars 1881, l’Empereur annonce au comte Loris-Melikov que son projet de “constitution” sera examiné en conseil des ministres 4 jours plus tard. Le mot de constitution utilisé par le comte est un peu exagéré, mais ce projet introduit des limites au pouvoir de l’Empereur. Deux heures plus tard, Aleksandr II est assassiné par des “Narodniki” qui se disaient défenseurs de la volonté du peuple (“narod”=peuple). La mort d’Aleksandr II met tragiquement fin à la séries de ses réformes politiques et marque donc un recul pour la cause du peuple. En effet Aleksandr III rejette violemment la constitution de Loris-Melikov, projet qu’il qualifie de “criminel”.

En 1891 commença le gigantesque chantier du Transsibérien, une voie de chemin de fer de plus de 7000 km allant de Miass (Oural, proche de l’actuel Kazakhstan) à Vladivostok qui permirent de relier l’Asie à l’Europe par la terre ferme et de lancer le développement de la Sibérie, avec l’arrivée de plus de 4 millions de paysans.

En 1913, la Russie était une grande puissance, à l’industrie toujours en cours de modernisation, en phase de croissance, dont l’économie faisait déjà jeu égal avec l’Allemagne voire la dépassait (en terme de PIB nominal), et dont la population dépassait celle des États-Unis et de l’Allemagne réunis.

Elle était notamment leader dans l’exportation de céréales, de lin et de chanvre (matière première et tissu), et avait été le premier leader mondial de l’extraction de pétrole grâce à ses champs de la Caspienne (surtout dans l’actuel Azerbaïdjan) avant d’être dépassée par les États-Unis. Contrairement à ce qui arrivait encore au XIXe siècle, les années de mauvaises récoltes n’entraînaient plus une hausse de la mortalité. La Russie avait une petite production de voitures et d’avions (Cf. Russo-Balt, qui construisait des wagons, des automobiles, puis des avions), et une flotte moderne. Le jour des sous-mariniers, toujours fêté en Russie, tombe le 16 mars car c’est ce jour de 1906 que Nikolaï II a ordonné la construction de 10 nouveaux sous-marins, comme premier point de la modernisation de la flotte impériale. Les innovations technologiques de l’époque arrivaient généralement avec un certain retard, mais que la Russie comblait rapidement notamment grâce à ses excellentes relations commerciales avec la France. Le cinématographe fut par exemple introduit dès mai 1896 par Camille Cerf, partenaire commercial des frères Lumière qui filma le couronnement de Nikolaï II, et il y avait déjà au moins 4 studios de cinéma actifs en 1913 dans le pays.

Moscour sous la neige filmé en 1908 par la filiale moscovite de Pathé.

Les véhicules sont tous hippomobiles car il y a encore très peu d’automobiles en Russie (peut-être aussi par choix du cinéaste). Le film ne montre pas le tramway électrique (aucun intérêt pour le public français et américain visé), inauguré en 1899, et qui arrivait notamment au parc Petrovsky montré dans le film.

Dans le domaine de l’automobile, la Russie s’efforce de suivre ce qui se fait en Allemagne et en France : l’usine de Freze et Yakovlev est pionnière en 1896 (sur les traces de l’Allemand Benz), puis Dux devient l’une des rares usines au monde (la seule en Russie) à avoir produit des automobiles à vapeur, électriques et à explosion. Quelques usines suivent sans grand succès. Les Russo-Balt ne commenceront à être produites qu’en 1909. En 1916, 6 usines sont projetées, devant produire 10500 automobiles par an, mais ces projets n’auront pas le temps d’aboutir.

Concernant l’aviation, autre grande innovation de l’époque, les avions de Blériot et les pilotes-ingénieurs formés dans son école de pilotage arrivent très vite en Russie, ce qui permet à l’armée de l’air impériale de se mettre en place en même temps que l’armée de l’air britannique (de 1910 à 1912).  Autre exemple, des tramways électriques sont construits dans plus de 20 villes de l’empire russe (dont plusieurs en Ukraine et Biélorussie) avant 1908. Le premier tramway électrique au monde avait été expérimenté à Saint-Pétersbourg en 1880. Le succès des tramways fut d’ailleurs l’une des raisons qui empêchèrent la construction d’un métro à Moscou à l’époque impériale.

Outre un développement économique et technologique important, la créativité scientifique et artistique de la Russie d’avant-guerre n’avait pas grand chose à envier aux pays occidentaux. Citons Lev Tolstoï, grâce auquel un certain Mohandas Karamchand Gandhi, jeune avocat indien exerçant en Afrique du Sud, découvrit l’idée de renverser le colonialisme en Inde par la résistance non violente.

Leur correspondance se poursuivit jusqu’à la mort du révolutionnaire (anarcho-chrétien, vegan) russe. D’autres noms illustres de personnes actives avant la Guerre sont pour l’essentiel quasiment inconnus en occident : Maxim Gorky, Boris Pasternak, Lou-Andreas Salomé (amie de Nietzsche, Freud et Rilke), César Cui (le dernier survivant du Groupe des Cinq), les frères Dantchenko, Andreï Markov et son élève Nikolaï Günther, Abram Ioffe (élève de Röntgen, son élève Nikolaï Semyonov obtiendra le prix Nobel en 1956), Ivan Pavlov (prix Nobel 1904), Ilya Metchnikov (prix Nobel 1908), Mikhail Lomonosov, Mikhaïl Eisenstein (père de Sergueï), Ilya Repine, son condisciple Vassily Polenov et son élève Isaak Brodsky, Kouzma Petrov-Vodkine, Kasimir Malevitch, Prokofev, Rakhmaninov… Cette liste très partielle rappelle que la Russie d’avant guerre restait dans la lignée des décennies précédentes, pendant lesquelles Dostoïevsky, Mendeleev, Tchaïkovsky, et bien d’autres exerçaient leurs talents, à égalité avec leurs confrères occidentaux, dans tous les domaines de la pensée humaine.

La Russie avait donc des atouts certains pour atteindre une ère de prospérité. Cependant Nikolaï II commit une série d’erreurs calamiteuses aux conséquences désastreuses pour le pays, et pour lui-même. On peut citer d’abord son incapacité à mener des réformes politiques, surtout après la révolution de 1905, et le non respect de l’autonomie du duché de Finlande. Ensuite, Nikolaï II entre en guerre contre le Japon, conséquence de la confrontation des ambitions de deux empires. La défaite humilie la Russie et lui fait perdre Port Arthur (actuellement Lüshunkou, en Chine) son seul port chaud sur l’Océan Pacifique (bien que Vladivostok soit à la latitude de La Corogne, ses eaux sont gelés plusieurs mois par an). À l’époque, la Russie et le Japon font partie du “G8″ (le même qu’actuellement sauf que le Canada a remplacé l’Autriche-Hongrie) qui pillent la Chine (Cf. Révolte des boxers).

Enfin, en 1914, la Russie entre en guerre contre l’Allemagne par le jeu des alliances militaires, pour un conflit entre les puissances occidentales qui ne concernait pas la Russie. Le rôle de la Russie dans la Grande Guerre, bien que non enseigné en France, fut crucial. En effet l’immense offensive Broussilov détourne d’immense forces du front de l’ouest vers le front de l’est, ce qui permet à la France de ne pas être vaincue à Verdun. Plus d’un million de Russes meurent lors de cette offensive.

De nombreux intellectuels de l’époque décrivaient une atmosphère répressive (Gorky était en exil semi-volontaire à Capri de 1906 à 1913). Ceci nourrit les aspirations révolutionnaires, exacerbées par la guerre.

En 1917 éclate une nouvelle révolution, qui fut financée par des financiers occidentaux. Il est par exemple précisément connu, grâce à Anthony Sutton, que William Boyce “Colonel” Thompson, banquier de Chase Manhattan envoya un million de dollars aux Bolsheviks. La raison avancée par Thompson était que cette argent servirait à la cause alliée (ah bon? en soutenant ceux qui se battaient contre un allié ?).

La véritable raison était peut-être que Thompson pensait qu’un pays communiste serait un pays sans innovation industrielle, et que donc la Russie deviendrait un marché captif de l’industrie américaine. Ceci s’est avéré partiellement exact, l’industrie soviétique dépendait en partie des importations américaines, y compris dans le domaine militaire. En novlangue, ce Thompson était un “philanthrope”. Rien n’a changé aujourd’hui dans ce domaine, avec le grand philanthrope Soros qui pousse l’Ukraine à la destruction et aux massacres pour aider les Ukrainiens. Avec des amis comme ça, personne n’a besoin d’ennemis. La France et l’Angleterre soutiennent ensuite les “Blancs” pendant la guerre civile, mais trop peu et trop tard.

En

Durant quelques années, la Russie fut frappée d’une suite ininterrompue de désastres.

Entre la Grande Guerre, la grippe espagnole, la guerre civile, la famine de 1921 et la vague d’émigration consécutive à la révolution, la Russie (sous ses frontières actuelles) perdit environ 15 millions d’habitants. Elle perdit également la Pologne et l’Ukraine au traité de Brest-Litovsk de 1918, et la Finlande prit son indépendance. La production industrielle fut divisée par 8 et ne revint à son niveau de 1913 qu’en 1929. Mais les malheurs ont continué : Iossif Djougachvili, un ancien séminariste de Tiflis (Tblissi), devenu en 1907 le sanguinaire braqueur de banque “Koba”, prit le pouvoir. L’une des toutes premières actions qu’il commit en tant que responsable politique fut d’annexer l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud et l’Adjarie à la Géorgie en 1921, action qui eut des répercutions connues en 1992-93, 1998, puis en 2008.

Devenu “Staline”, le tyran géorgien mena une répression féroce contre tous ceux qui pouvaient être vus comme des opposants, dictant des quotas de personnes à tuer dans chaque région (Cf. L’Histoire N°324, pp 60-66) , et une collectivisation de l’agriculture fut menée de façon brutale et désastreuse, tuant des millions de personnes, principalement en Ukraine, au Kazakhstan et dans le nord-Caucase. Cette famine qui a touché toute l’URSS, due à des réformes catastrophiques, des anomalies climatiques et à une volonté de répression par un pouvoir bien plus aux mains de Géorgiens et autres Caucasiens (Djougachvili, Ordjenikidze, Beriya, Frunze, Karakhan, Bjichkian, Mikoïan, Prochian, …) qu’aux main de Russes (et encore moins du peuple russe), est en Ukraine appelée “Holodomor”, reconnue officiellement comme un génocide, et vue par les nationalistes comme une raison de plus de haïr les Russes.

Cette version mensongère de l’histoire a été largement propagée par la communauté ukrainienne du Canada (où avait émigré la veuve de Stepan Bandera). Notons que sur les 7 personnes reconnues officiellement (en Ukraine) comme responsables de l’”Holodomor”, il y avait un Géorgien (ou Osséto-géorgien), deux Russes, deux Ukrainiens (dont un Juif), un Polonais et un Biélorusse.

On remarque au passage que, confortés dans leurs manipulations de l’Histoire par leurs soutiens occidentaux, les actuels dirigeants ukrainiens n’ont plus de limite dans ce domaine. Selon l’actuel premier ministre ukrainien, pro-occidental, l’URSS a agressé l’Allemagne nazie (notez que la journaliste ne le reprend pas)

Pendant que dans les années 1930 les Russes et autres peuples de l’URSS étaient menacés par la faim, les camps ou l’exécution par les commissaires chargés d’appliquer la répression, quelques grandes compagnies occidentales, dont GE, DuPont, IG Farben préparaient la suite des malheurs en finançant un petit peintre de Vienne (où il a peut-être croisé le terroriste Koba en 1913) devenu politicien après la Grande Guerre. La Seconde guerre mondiale fit près de 20 millions de morts en Russie, près de 27 millions pour l’ensemble de l’URSS.

Une fois Staline mort, un pays presque normal, mais à l’économie quasiment coupée du reste du monde, se met progressivement en place.

L’Empire du Mal

Mon intention était de résumer près de 40 ans d’Histoire par la seule phrase précédente et de passer à la suite, parce que c’est pas tout ça, mais il se fait tard et il est temps d’entrer dans le vif du sujet. Mais il est communément admis que même après Staline, tout était mauvais en URSS, alors parlons-en.

C’est vrai, pendant plusieurs décennies, l’existence de l’URSS permet de justifier l’impérialisme américain, en parlant de “menace communiste” à chaque fois qu’une guerre était lancée pour maintenir l’hégémonie américaine. Parmi de nombreux exemples, les É-U envahissent Grenade en 1983, en affirmant que le petit pays était en train de construire une base aérienne pour les avions soviétiques de transport militaire (après avoir visité l’île, le député américain Ron Dellums qualifie cette accusation d’”absurde, condescendante et déplacée”). Grenade n’avait en fait aucune relation diplomatique avec l’Union Soviétique, et la piste d’atterrissage en question était surtout financée par les Britanniques, qui protestèrent vivement face à l’agression américaine. Peu importe, Grenade avait commis le crime de vouloir mener sa politique de façon indépendante, en fonction de ses propres intérêts et avec le soutien de Cuba, donc il fallait l’envahir. Parmi les autres victimes de la longue campagne de terreur engagée par l’armée américaine et la CIA, citons le Vietnam, le Laos, le Cambodge, le Honduras, le Guatemala, le Chili et évidemment Cuba qui subit invasion et attaques terroristes à répétition avec l’implication ou la bienveillance de la CIA (e.g. vol Cubana 455). À chaque fois, le fantôme d’une menace soviétique servait à justifier des massacres et la mise en place de régimes favorables à l’Empire du Bien. Cette politique  a été récemment résumé par Obama qui a  récemment déclaré “Nous devons parfois tordre le bras des pays qui ne veulent pas faire ce que nous avons besoin qu’ils fassent”, admettant ainsi ouvertement son caractère dictatorial.

J’entends déjà qu’on me reproche d’avoir choisi des exemples particuliers pour tromper le lecteurs, que c’est pas ça du tout la Guerre Froide, les Russes avaient une volonté hégémonique évidente, comme en témoignent le Printemps de Prague et l’invasion de l’Afghanistan.

Rien à dire, le printemps de Prague, qui dura de janvier à août 1968, fut une action criminelle menée par Moscou. Elle fit 72 morts et des centaines de blessés. Personne ne nie que ce fut une horreur.

Prenons un peu de recul et regardons un peu ce qui se passait ailleurs en 1968, toujours pour comprendre le contexte historique et comprendre à quel point l’URSS était pire que les États-Unis.

Au Vietnam, de janvier à septembre, eu lieu l’offensive du Têt (nouvel An vietnamien). Les Nord-Vietnamiens (i.e. les vietnamiens favorables au gouvernement communiste) se soulevèrent dans une offensive généralisée contre l’occupation américaine. Comprenons bien que “offensive généralisée” signifie que l’ampleur de cette offensive était telle que malgré tout un faisceau d’indices annonciateurs de cette offensive, les experts américains ne s’y sont pas préparé, tout simplement parce qu’il était matériellement impossible aux Nord-Vietnamiens de mener une telle opération.

Il s’agissait donc d’une lutte désespérée contre l’occupation américaine. Plus de 100 000 Nord-Vietnamiens sont mort au cours de cette offensive. Afin de briser la volonté populaire (argument déjà utilisé pour Dresde, Hiroshima et Nagasaki), des villages entiers étaient massacrés, voire régulièrement rasés par les B-52 selon Noam Chomsky. La répression du soulèvement vietnamien fit en tout plus de 2000 fois plus de morts que la répression du soulèvement de Prague.

La seule journée du 16 mars 1968 par exemple, plusieurs centaines de villageois sont massacré à Mỹ Lai. Ce seul événement fait donc en quelques heures environ 5 fois plus de morts que la répression du Printemps de Prague en 8 mois. Pour toute condamnation (hors pertes de grades militaires), seul un des criminels qui ont commis le massacre, le lieutenant William Calley, a été assigné à résidence pendant trois ans et demi. Il avait tué 22 personnes.

Nguyễn Ngọc Loan

 

1968, c’est aussi le début de l’opération “Commando Hunt”, pendant laquelle les É-U lancèrent 3 millions de tonnes de bombes sur le Laos, autant que l’ensemble des bombes de la Seconde Guerre Mondiale (front occidental + front oriental + guerre du Pacifique). C’est tout simplement la plus grande opération de bombardement de tous les temps. Cette opération, qui doit couper les lignes d’approvisionnement, est un échec retentissant. Les bombardements du Laos et du Cambodge se sont concentrés sur des zones peu peuplées et n’ont fait que quelques milliers de morts parmi les civils, qui comptent très peu face à la mission divine des États-Unis d’apporter la liberté dans le monde.

En 1968, des dizaines de milliers de prisonniers nord-vietnamiens étaient régulièrement torturés et affamés, notamment dans les infâmes prisons de Phú Quốc et Quy_Nhơn, sous la supervisions de conseillers américains, tradition maintenue au moins jusqu’à l’invasion de l’Iraq.

My Lay

 

Les Nord-Vietnamiens ont également commis des crimes, le propos n’est pas de les faire passer pour des saints, mais simplement de ramener à la réalité ceux qui pensent que les États-Unis agissent de façon plus morale que les Russes en matière de politique internationale.

La même année 1968, il y eut aussi un coup d’État au Mali. Moussa Traoré (ancien élève de l’école d’officiers de Fréjus) prend le pouvoir, ce qui n’aurait pas pu avoir lieu sans le concours ou au moins la complaisance de la France. Ainsi qu’une intervention militaire française au Tchad pour venir à bout d’une révolte des Toubous, dans la région du Tibesti. Euh… une intervention militaire à la demande d’un gouvernement vassal, pour venir à bout d’une révolte ?

C’est exactement ce qu’a fait l’URSS. Pour être précis, cette intervention a commencé par un soutien logistique à l’armée tchadienne, avant d’envoyer les soldats l’année suivante. L’opération Bison fit 50 morts parmi les soldats français. Aucun chiffre n’est donné pour le total des rebelles du FROLINAT tués, mais malgré le soutien du colonel Kaddhafi au FROLINAT, l’armement des rebelles ne fait pas le poids face aux hélicoptères français, et plusieurs centaines sont tués, ainsi que des soldats tchadiens.

Un certains nombre de réformes, mise en place avec le concours et la forte insistance de la France, répondant à certaines revendications des Toubous, contribua à mettre fin à la crise, notamment en abrogeant des lois qui avaient mis le feu aux poudres. Ceci est un exemple des innombrables conflits dus à l’établissement de frontières post-coloniales par les anciennes puissances coloniales, sans aucune préoccupation pour la répartition des différent groupes culturels, ethniques et linguistiques des pays concernés, ou pour les relations que ces groupes entretenaient entre eux.

Toujours en 1968 a lieu le début de la Guerre d’Usure, entre Israël et l’Égypte. Cette guerre fit environ 15000 morts en 3 ans, surtout des civils égyptiens, et fait suite à la Guerre de Six Jours, déclenchée par Israël. La Guerre de Six Jours était une guerre de conquête territoriale lancée par Israël, et fermement dénoncée comme telle par le Général De Gaulle.

Au final, la répression du Printemps de Prague fut un événement affreux, mais il est évident que ce crime de l’URSS pâlit en comparaison des massacres américains organisés la même année en Asie du Sud-Est , et ce n’est sûrement pas un Français, ni un Israëlien, qui pourrait se permettre de donner des leçons de morale au sujet de crimes commis en 1968.

Ce que l’on présente souvent comme l’autre grand crime de l’URSS post-stalinienne prouvant la brutalité de l’impérialisme soviétique / russe, est la guerre d’Afghanistan.

Le gouvernement afghan a demandé l’aide de l’URSS face à des combattants islamistes. Ceux qui se battaient contre le gouvernement communiste afghan et l’URSS étaient alors appelés en Occident des Freedom Fighters (Combattants de la Liberté), et ils recevaient le financement, l’armement et l’entraînement de la part de plusieurs pays Occidentaux. Ces Freedom Fighters sont désormais appelés des djihadistes ou des terroristes islamistes, et ils ne sont plus financés par les Américains. Le gouvernement afghan a de nouveau appelé la Russie à l’aide en 2014, pour l’aide au niveau militaire et pour développer son infrastructure. J’y reviendrai dans la troisième partie. Disons simplement pour l’instant que la rhétorique concernant l’intervention soviétique en Afghanistan a commencé à changer radicalement. Il suffit de constater que le pire crime qui eut lieu lors de cette guerre fut de créer la bête djihadiste, qui menace actuellement d’engloutir l’Iraq, la Syrie, la Libye etc. Et ce n’est pas l’URSS qui commit ce crime.

On pourra finalement opposer que les nombreuses révolutions communistes de l’époque prouvaient l’impérialisme soviétique. Si ce n’est que la plupart de ces révoltes n’avaient rien à voir avec l’Union Soviétique. Il s’agissait essentiellement de mouvement de révoltes populaires, souvent pour se libérer de l’emprise américaine, mais qui ne se sont rapprochées de l’URSS que parce que l’URSS soutenaient les pays qui refusaient d’être les vassaux des É-U, parce que déjà à l’époque l’URSS avait besoin d’alliés face à l’hégémonie américaine, comme la Russie d’aujourd’hui.

Même Fidel Castro ne se rapprocha de l’URSS que deux ans après son arrivée au pouvoir, après que les États-Unis avaient refusé d’établir des relations normales avec son gouvernement (rappelons que les Américains considèrent depuis la première moitié du XIXème siècle que Cuba doit devenir une partie des États-Unis, par la loi de la gravité politique, d’où leur intransigeance face à quelqu’un qui voulait que Cuba soit véritablement indépendante). L’URSS n’a eu un rôle proactif (au côté de Cuba) qu’au Mozambique et Angola. En comparaison avec l’interminable liste de coup d’État et “Black Ops” divers et variés commis par la CIA pendant la Guerre Froide, on se rend bien compte de quel côté se trouvait le véritable empire hégémonique.

Au final, tous les faits démontrent de façon évidente que l’”impérialisme” soviétique était incomparablement plus bénin que l’impérialisme américain (encore une fois, la répression du Printemps de Prague fit environ 2000 fois moins de victimes que l’Empire du Bien en Asie du Sud-Est en 1968), et très probablement moins violent que l’impérialisme français. Alors comment se fait-il qu’autant de personnes en Occident sont convaincues du contraire ?

Le sujet est vaste, et je me contente de renvoyer au livre La Fabrique du Consentement, par Noam Chomsky, ou aux vidéos de ses conférences. Chomsky résume en une phrase l’efficacité de la propagande impérialiste américaine, depuis la Commission Creel (qui inspira Goebbels)

Ceux qui croient, disons, au christianisme évangélique, sont conscients qu’ils ont des croyances religieuses. Mais si vous êtes un croyant de la religion séculaire, si vous avez une bonne éducation, alors c’est comme l’air que vous respirez, il n’y a pas d’alternative […] pour la religion séculaire, la réfutation n’est même pas nécessaire. Si jamais c’est nécessaire, on peut se contenter de quelques railleries sur les foutaises gauchistes.

Cette comparaison avec la croyance religieuse paraît exagérée. Donnons la parole à un ardent défenseur de la politique des États-Unis, Hans Morgenthau. Morgenthau disait que l’Amérique est guidée par un but transcendantal, qu’elle doit “défendre et promouvoir”, et qui consistait à “établir l’égalité et la liberté en Amérique et dans le monde”, ce qui constitue l’idéalisme wilsonien. Tout en reconnaissant que les données historiques sont en radicale contradiction avec l’objectif transcendantal de l’Amérique, il explique :

Nous ne devons pas nous laisser égarer, nous ne devons pas confondre l’abus de la réalité et la réalité elle-même. La réalité elle-même est l’objectif national inachevé, révélé par l’histoire ainsi que reflété par notre esprit.Les données historiques réelles sont un abus de réalité. Ceux qui confondent la réalité avec l’abus de réalité commettent l’erreur de l’athée qui nie la validité de la religion sur la base de principes similaires.

Je vous laisse méditer sur la validité de ce raisonnement…

L’Union Soviétique s’effondre en 1991, après une période de réformes. Cette disparition contraint les É-U, après quelques années d’hésitation, à remplacer la “menace communiste” par la “menace terroriste” pour justifier les invasions, massacres, destructions et autres crimes commis par son armée et la CIA.

L’effondrement

L’effondrement de l’URSS plongea la population concernée dans une crise économique plus ou moins longue suivant le pays. L’Estonie s’en est plutôt bien sorti, l’Ukraine pas du tout. En Russie, sous Boris Ieltsine, les ressources du pays furent pillées, les sociétés étrangères achetant des sociétés d’État pour une petite fraction de leur valeur réelle. Ce pillage s’appelle en novlangue otanien la “démocratie” et constitue un modèle à reproduire. Cette privatisation à marche force est menée par les brillants esprits du Harvard Institute for International Development. Sous Boris Ieltsine, l’économie s’est effondrée, ainsi que les conditions de vie. Cette crise eut de très lourdes répercutions.

Face à la désinformation habituelle, qui nous inculque qu’il s’agissait d’une victoire de la démocratie dont on ne peut que se réjouir, il est intéressant d’étudier les chiffres, pour essayer de comprendre à quel point les personnes concernées devraient se réjouir. Le Service fédéral des statistiques de l’État (GKS) offre chaque année un tableau complet de l’état du pays (dont je n’ai pas trouvé l’équivalent à l’INSEE). J’en ai extrait quelques statistiques qui permettent de prendre un peu la mesure du recul économique et social que représente cette crise. Des changements dans les méthodes de mesures ont eu lieu en 2009, ce qui empêche malheureusement de comparer directement un certains nombre de paramètres économiques, notamment concernant la production industrielle.

élément de comparaison retour au niveau de 1991 variation 1991-2013 Note
PRODUCTION MATIÈRES PREMIÈRES
charbon 2012 -0,6% légère baisse en 2013
pétrole brut 2005 +13,0%
PRODUCTION AGRICOLE
légumes 2030? −61,6%
patates 2030? −43,1%
betterave à sucre 2006 +68,2%
fibre de lin jamais -61,8% Largement remplacée par d’autres matériaux
grains 1997 +30,3% chute en 1994 seulement
bois scié jamais ? -66% Imprécision de ~2% à cause d’un changement de définition
PRODUCTION INDUSTRIELLE
papier (en tonnes) 2011 +0,00%
réfrigérateurs+congélateurs domestiques 2011 +11,3%
aspirateurs jamais −98,9%  Effondrement récent (-92,7% depuis 2003)
chaussures jamais −82,9%  Mais +141,6% depuis 1998
turbines à vapeur (en MW) jamais −60,3%  Mais +158,3% depuis 1998
pétrole raffiné 2014? −2%
gaz naturel 2006 +3,9%  légère baisse par rapport à 2011 (-0,4%)
tuyaux d’acier 2015 ? −3,8%
ordinateurs personnels 2004 +105,5% mais la part de marché s’est évidemment effondrée
montres jamais −98,5%
voitures (véhicules légers) 2004 +86,9%  plus que la France et l’Espagne depuis 2012
pneumatiques 2011 +13,6%
wagons de fret 2003 +168% une partie importante de la production était confiée à l’Ukraine : 2,66 Md $ en 2011, principale importation depuis l’Ukraine (=subventions)
production d’électricité 2012 -0,9%  -1% par rapport à 2012
consommation d’électricité 2012 -0,2%  -0,8% par rapport à 2012
plastique 2003 +118%  Imprécision de ~2% du fait d’un changement de définition en 2009
peintures et laques 2020? −38,3% Imprécision de ~3% du fait d’un changement de définition en 2009. +136% depuis 1998
dalles en fibre de bois (m²) 2015? −9,9%  -8,8% par rapport à 2012
ciment 2016? −14,2%  Mais +155,8% depuis 1998
papier 2011 +0,1%
engrais 2004 +22,6%
construction de nouveaux logement (en m²) 2006 +42,7%
construction de crèches et écoles maternelles (en places) jamais −38,5% +1074% par rapport à 1998 (~12 fois plus)
constructions d’instituts d’enseignement supérieur (en m²) 2003 +49,2% -64% par rapport à 2012, année exceptionnelle
DIVERS
transport de marchandises (tonnes*km) 2017? -10,7% +55,6% depuis 1998
voies fluviales navigables (en km) 2020? −0,5% +14,1% depuis 1998
population 2025? −3,3% retour plutôt ~2035 si pop Crimée exclue
chômage (en nombre de personnes) 2015? +6,4% -53,7% depuis 1998. 4,1 millions, niveau comparable à la France… en nombre absolu
naissances 2011 +5,6% en 2013, plus de naissances que de décès, pour la 1ère fois depuis 1991
alcoolisme (données hospitalières) 2015? +9,8% -45% depuis 2003. Des mesures prises récemment dans ce domaine pourraient renforcer la baisse.
spectateurs aux théâtres 2050? −29,1% malgré augmentation nombre théâtres
visiteurs dans les musées 2030? -16,3% malgré augmentation nombre musées, remonte régulièrement depuis 2003
construction de places d’hôpitaux (nbre de lits) jamais −50,6%
lits d’hôpitaux / 1000 habitants jamais −32,9% reste ~60% supérieur à la moyenne UE !
transport aérien (passagers*km) 2011 +49,7% +306% depuis 1998 – Nombre de passagers aériens dans le monde +158% (1991-2012)
transport ferroviaire (passagers*km) jamais −45,7%  stable depuis 2010
Nombre de crimes 2014? +1,8% pic en 2006 : +78%
personnes mortes par accident de travail jamais! -76,6% première donnée en 1992
taux de mortalité 2018? +14,0% pic en 2003 : +43,9%
Nombre de touristes étrangers (hors CEI) +102% Mesuré seulement à partir de 1993
ÉCOLOGIE
rejets d’eaux usées jamais ! −45,7%
rejets de polluants dans l’atmosphère par des sources fixes jamais ! −42,0%
surface parcs nationaux +238% +20 000 km² en 2013

 

Les industries russes avaient passées des décennies dans une économie planifiée, totalement déconnectée de la concurrence mondiale, et passèrent directement à une économie de marché pour laquelle elles n’étaient pas du tout prêtes. Les chiffres de la production industrielle nous indiquent bien que la Russie n’est toujours pas remise de l’effondrement de 1991. De fait, l’index de la production industrielle, qui tient compte de l’inflation, est en 2012 de 90% seulement par rapport à 1991 (88,5% pour l’agriculture). L’année 2013 ayant été une année médiocre (~1% de croissance) et 2014 étant une année de récession grâce aux efforts de l’Empire du Bien, le retour de la production industrielle russe au niveau de 1991 ne se fera probablement qu’en 2016. C’est à dire que la Russie mettra en tout un quart de siècle avant simplement de revenir au niveau d’avant la crise. Cette crise a donc plus retardé l’économie russe qu’une guerre mondiale, une guerre civile, la grippe espagnole et une famine réunis, qui n’avaient réussi qu’à faire stagner l’économie russe que pendant 16 ans.

index industrie manufacturière russe

 

La comparaison n’est pas aussi outrageuse qu’elle peut le paraître a priori : la crise commencée en 1991, faisant passer brutalement des centaines de millions de personnes d’une économie planifiée à une économie de marché, a entraînée une forte baisse du niveau de vie, et une forte hausse de la mortalité. Le total cumulé de la mortalité supplémentaire en Russie par rapport au taux de 1991 (1,14%) sur la période 1992-2012 est de 10 millions de morts. Cette mortalité supplémentaire est encore  de 230 000 environ pour l’année 2013 (mortalité de 1,3%, comme la France en 1953 ou l’Espagne en 1946). Quand on parle d’une baisse de niveau de vie, il faut bien comprendre qu’il s’agit, au plus fort de la crise, de millions d’employés ne recevant aucun salaire pendant des mois. La démographie du pays a également été touchée par une émigration massive et la baisse du niveau de fécondité, ce qui explique pourquoi la population n’est toujours pas revenue à son niveau de 1991.

En dehors de l’aspect purement économique, ces chiffres donnent un aperçu de nombreux aspects de la Russie soviétique, tant positifs (vie culturelle accessible à tous, bon niveau d’éducation et de soin médicaux) que négatifs (7700 personnes mortes d’accidents du travail en 1992, pollution importante, énorme gaspillage des ressources etc). Certains de ces chiffres laissent entrevoir le chaos qui a suivi l’effondrement de l’Union Soviétique (criminalité importante, services publics très largement sous-financés, etc), qui culmina avec la crise financière de 1998, et dont la Russie se remet à peine.

Billet de 1000 MMM

Un autre aspect important des années 1990 est que de nombreuses personnes profitent du chaos pour s’enrichir de façon pas toujours honnête. La population découvre le capitalisme, et pour beaucoup, cela sera synonyme de catastrophe. Si Anatoli Tchoubaïs, artisan de la privatisation,  devient milliardaire, le système pyramidal MMM fait perdre de l’argent à au moins 40 millions de personnes, engloutissant au moins 10 milliards de dollars. Le miracle économique promis ne se produit. Le désastre culmine en 1998, année où dans le sillage de la crise asiatique, la Russie arrive au fond du gouffre, subit une inflation de 84% et fait partiellement défaut sur sa dette.

Lorsque Vladimir Poutine arrive au pouvoir, la Russie est affaiblie, humiliée, en retard industriellement. En 2013, selon le “CIA factbook” (source à prendre avec des pincettes, on y lit que 5% de la population russe parle dolgane, langue moribonde de 1000 locuteurs… mais les chiffres économiques sont normalement correct), le secteur secondaire russe a produit 792,4 milliards de dollars. C’est environ 54% de plus que la France. Le secteur secondaire allemand reste pour sa part 36,5% supérieur.

De 2002 à 2012, l’industrie manufacturière russe a crû de 5,2% en moyenne annuelle (y compris  une baisse de 15% en 2009), en tenant compte de l’inflation. L’économie allemande croissant de ~1% par an en moyenne, la production manufacturière russe était partie pour dépasser son équivalent allemand dès 2021 environ.

Cela peut surprendre ceux qui ont une lecture trop rapide de la situation de la Russie. La grande majorité des exportations russes sont composées de pétrole, gaz, charbon et minerais, et de plus la majorité du budget de l’état vient de la rente du gaz et du pétrole. On en déduit un peu vite que l’industrie russe est faible. C’était le cas il y a 10 ans, mais grâce d’une part à un marché intérieur important, et d’autre part à des investissements très importants (300 milliards d’euros en 2012, essentiellement privés), l’industrie russe se modernise, et secteur après secteur, commence à devenir de plus en plus concurrentielle sur le marché international. Le phénomène est suffisamment progressif pour ne pas être tout à fait évident, mais il semblait inévitable jusqu’à récemment. Le fait que le budget de l’État dépend principalement des cours mondiaux du pétrole signifie simplement que lorsque les prix sont bas, l’État russe doit réduire la voilure, et repousser certains projets, mais ne change rien au cap fixé, de donner dans les prochaines décennies sa place de grande puissance économique à la Russie, faisant jeu égal avec l’Allemagne ou le Japon.

Face à la montée inévitable de la Russie à sa place naturelle de grande puissance économique, l’Europe a le choix entre deux attitudes. L’une est l’attitude gaullienne qui consiste à s’en réjouir et de proposer l’établissement de Brest à Vladivostok d’un espace commun de paix et de prospérité, proposition réitérée par Lavrov.

L’autre est celle choisie par les États-Unis, l’Angleterre et l’Allemagne (c’est-à-dire la “communauté internationale”), de déclencher une guerre économique contre la Russie (parce qu’en 2015, envoyer un million de soldats à Sébastopol pourrait être mal perçu, y compris par les plus russophobes) et de chercher à “isoler la Russie”. La Russie ayant des frontières terrestres avec 14 pays, et des frontières maritimes avec 2 autres, le concept “d’isolement de la Russie” paraît presque absurde, mais après tout, l’Empire américain est la plus grande puissance qui a jamais existé, ils ont peut-être réussi ?

Dans le prochain billet je ferai un petit tour de l’économie russe d’aujourd’hui, afin d’en comprendre son modèle de développement, de comprendre ses forces et ses faiblesses, et de présenter au passage certaines des entreprises touchées par les sanctions, avant de faire un tour du monde hors Empire du Bien, pour voir à quel point les 150 pays dont on ne parle jamais parce qu’ils ne représentent que 85% de la population mondiale ont gelé  leurs relations avec la Russie.

Nicolas M., pour le site www.les-crises.fr.

 

 

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