Nature : Séparés par 60 millions d’années d’évolution, des cousins s’hybrident
Soixante millions d’années d’évolution séparent ces deux espèces de fougères des montagnes pyrénéennes. Et pourtant, elles se sont hybridées et ont donné à une descendance viable. Un peu comme si un éléphant et un lamantin faisaient des petits ensemble…
Issu d’une fougère Gymnocarpium (à gauche) et d’une fougère Cystopteris (à droite), l’hybride vert pâle « × Cystocarpium roskamianum » est stérile, mais se reproduit par voie végétative et se cultive bien en pépinière. © Jeffdelonge, Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0 et Kenzaiz, Wikimedia Commons, domaine public
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« × Cystocarpium roskamianum » est le nom scientifique d’une fougère hybride issue du croisement génétique entre une fougère du chêne du genre Gymnocarpium et une cystoptère fragile du genre Cystopteris, rapporte un article scientifique publié dans The American Naturalist.
L’originalité de la découverte tient au fait que les hybrides présents à l’état sauvage en France, dans les Pyrénées, résultent de la reproduction entre des plantes parents qui coexistent dans une grande partie de l’hémisphère nord, mais qui ont divergé, d’un point de vue évolutif, il y a 60 millions d’années à cause de la dérive des continents.
« Pour la plupart des gens, [les individus parents] ressemblent à deux fougères, mais pour les spécialistes, ces deux groupes ont vraiment l’air différent », déclarent les auteurs de l’étude. En effet, le croisement reviendrait, par exemple, à obtenir une hybridation viable entre un être humain et un lémurien. Or, pour la plupart des espèces de plantes et d’animaux, un tel exploit reproductif devient impossible passés « quelques millions » d’années de divergence. En cause : des incompatibilités, de nature génétique, notamment, développées au fil du temps entre les espèces et conduisant à un isolement reproductif.
Les poissons-lunes figurent parmi les espèces animales capables d’hybridation après 40 millions d’années de séparation. © Brian Snelson, Wikimedia Commons, CC by-sa 2.0
Un rythme de spéciation peut-être plus lent chez les fougères
Chez les fougères (Filicophytes), une explication pourrait reposer sur le fait que ces végétaux possèdent moins de mécanismes d’isolement en amont de la fécondation que la plupart des autres groupes d’organismes. Les plantes à fleurs, ou Angiospermes, par exemple, ont souvent besoin de pollinisateurs, comme les abeilles, pour se reproduire et peuvent rencontrer plus de difficultés à se croiser, par exemple, si leurs attributs floraux attirant à elles les insectes entremetteurs ont divergé au fil du temps. Les fougères, elles, ne nécessitent que du vent et de l’eau pour réussir leur fécondation et ne sont donc pas concernées par ces facteurs.
« Il est tentant de penser qu’il y a quelque chose de spécial à propos de plantes à fleurs qui leur donne un avantage concurrentiel, mais ces résultats révèlent une autre possibilité », avancent les auteurs. À savoir, pour les fougères, que les incompatibilités reproductives peuvent évoluer plus lentement. Si cette « vitesse de spéciation » se révèle effectivement plus lente chez les Filicophytes, cela pourrait expliquer pourquoi il existe sur Terre environ 30 fois moins d’espèces de ce groupe que chez les plantes à fleurs, un groupe végétal pourtant plus récent.
D’autres études ont documenté des cas d’espèces de grenouilles arboricoles et de poissons-lunes capables de produire une descendance hybride après une séparation de, respectivement, 34 et 40 millions d’années. Le record est désormais détenu par les fougères.