Le marketing de l’ombre…
Là ou l’obscur gagne du terrain, c’est en marketing en quelque sorte. On ne parle plus que du côté sombre du monde; le fracas de la déprime est à la mode. Tous se font l’écho d’un univers sinistre, perdu, irrécupérable.
Le bonheur, l’amour, la bienveillance, la bonté, complètement mièvre, ce mot-là, la tendresse, la délicatesse, l’attention se sont couverts d’une pellicule vaguement méprisante, voire ridicule.
Dans la vraie vie, comme dans l’art ou la fiction une cape noire déploie ses ailes en ricanant. Les héros du bien s’en sortent à peine en éliminant tout sur leur passage. Hors de cette destruction colérique et agressive qui s’érige en salvatrice de l’humanité, point de salut. Nous voilà portant aux nues ces héros du bien qui ressemblent au mal et œuvrent sans amour pour abattre leur futurs copains. Or, rien n’est innocent dans ce procédé.
L’ombre gagne du terrain parce qu’on parle moins de la lumière. La déprime a la cote, le trash bat des records d’audience, et si quelqu’un trouve quelques charmes à la compassion, il passera pour un doux allumé.
Voici la victoire paradoxale de l’ombre. Le monde ne va pas plus mal qu’autrefois, il irait plutôt mieux, mais personne n’est au courant. C’est plutôt malin, non ? On a même réussi à faire croire que le bonheur appartient aux riches et que cette richesse aux biens sans envergure est devenue un but honorable pour tous.
Des mots nouveaux d’autant plus vides et peu dangereux qu’ils ont été sucés jusqu’à la moelle, sont apparus : bien-être, zen, épanouissement, travail sur soi, approfondissement intérieur. Et tout ça commence dès l’enfance : on valorise le costume du méchant dont personne n’aurait voulu il y a quelques années. Il n’était même pas en vente. La vilaine sorcière de Blanche_Neige ou Dark Vador n’auraient eu aucun succès dans les rayons.
Être le méchant prépare en douce l’avenir du futur adulte à ne pas combattre un désespoir obscur qu’il a adopté depuis l’enfance. Amusez-vous en douce à regarder « Quai des Brumes » ou « Les Enfants du Paradis » avec quelques adolescents : les déclarations d’amour sont jugées ridicules, obsolètes. Oh, bien sûr l’amour existe dans les films d’aujourd’hui : il s’arrache, se soudoie, avoue, se déchire, mais ne donne rien spontanément. C’est l’attitude qu’il faut adopter,même quand notre cœur est touché.
L’émotion, ce sera pour plus tard ; quand on pleurera dans une longue maladie, quand toutes nos larmes retenues dans ce corps seront enfin expulsées de cette prison de l’âme et se répandront en flaques d’amour jamais donné.
EXTRAIT de :
LES BRUMES DE L’APPARENCE – Frédérique Deghelt, Éditions Acte Sud