Gaz de schiste : L’impressionnante mobilisation algérienne
Voilà une semaine que le Sahara algérien est gagné par des mobilisations contre l’exploitation des gaz de schiste. Depuis le 1er janvier dernier, journée au cours de laquelle 1 500 personnes se sont rassemblées à In Salah, « la ville est comme paralysée, encore sous l’onde de choc de cette mobilisation extraordinaire », relève le quotidien algérien El Watan. Les commerces, écoles et administrations sont fermés. Initialement lancée par l’ONG environnementale In Salah Sun & Power, la protestation a été rejointe par la population locale, dont beaucoup de femmes et d’enfants.
Un manifestant tué
Le mouvement s’est étendu dans plusieurs localités voisines (In Ghar, Iguestene, Sahla Tahtania…) et plus au Nord dans les oasis sahariennes comme Ghardaïa. Le décès d’un manifestant de 21 ans, Mohamed El Noui, le 4 janvier, après des affrontements avec les forces de l’ordre, a relancé la mobilisation. Le 6 janvier, plus de 2 000 personnes parmi lesquels de nombreux étudiants et enseignants ont participé à une marche dans les rues de Tamanrasset, « en signe de solidarité avec les habitants d’In Salah », note El Watan.
Ces mobilisations font suite aux déclarations du ministre de l’Énergie algérien le 27 décembre 2014, qui a salué le succès du premier forage pilote de gaz de schiste dans la région d’Ahnet – un puits situé à quelque 35 kms de la ville d’In Salah. « Ce forage confirme l’existence de réserves importantes de gaz de schiste dans le bassin de l’Ahnet », s’est réjoui le ministre. Ce qui va selon lui, « ouvrir de nouvelle perspectives économiques pour l’Algérie avec pas moins de 8 000 emplois pour 2015 ».
Sacrifier l’agriculture au profit de la rente gazière
Les travaux d’exploration ont été lancés par l’entreprise publique algérienne Sonatrach, associée à la major française Total qui détient une participation de 49% sur le permis Ahnet [1]. Total estime que ce bassin doit « permettre d’assurer une production gazière d’au moins 4 milliards de mètres cubes par an ». Selon un rapport daté de 2013 de l’Agence américaine US Energy Information Administration (EIA), le sous-sol algérien détient la troisième réserve mondiale de gaz de schiste récupérables, après la Chine et l’Argentine [2].
Source de la carte ci-dessus : Frack Free Europe – Attac
Les opposants algériens au gaz de schiste pointent les quantités d’eau nécessaires à l’extraction de ces hydrocarbures non conventionnels (nos précédents articles sur cette technique controversée). Or, l’Algérie manque d’eau et est en situation de « stress hydrique » permanent, rappelle l’association Attac et le mouvement Frack Free Europe dans une note commune. En février 2014, le journal El Watan titrait déjà sur « les craintes des agriculteurs du Sud » quant aux menaces de pollutions chimiques liées à l’utilisation de la technique de fracturation hydraulique. « Il existe dans notre région des centaines d’oasis. Elles font travailler des milliers de personnes. Une fois les eaux des nappes polluées, cela signifiera la fin de l’agriculture. Que feront les habitants ? » s’inquiétait notamment un agriculteur.
Le ministre de l’Énergie assure en retour que « la quantité d’eau utilisée dans la fracturation hydraulique n’excède pas les 7000 m3 et est réutilisable pour d’autres opérations de fracturation » [3]. Quant au risque de contamination des aquifères, ce ne serait pas plus dangereux que pour les hydrocarbures fossiles (sic). Des arguments loin de convaincre les manifestants qui réclament un moratoire concernant l’exploitation du gaz de schiste dans le Sahara, et un débat public en la matière. Ils exigent également la venue du Premier ministre Abdelmalek Sellal. Sans cela, ils affirment être déterminés à bloquer des zones pétrolières et à fermer d’importants axes routiers menant vers le bassin d’exploration.
Sophie Chapelle pour :