Guerre du pétrole :

L’Arabie Saoudite soutiendra les cours du pétrole lorsque l’industrie de la fracturation hydraulique US aura fait faillite

 

Le prix du baril de Brent a chuté de 115$ en juin 2014 à 58$ le 30 décembre.

Un prix du pétrole plus bas entraîne de grosses différences pour les producteurs en fonction de leurs coûts de production. Les analystes ont suggéré depuis longtemps que la production américaine est substantiellement plus onéreuse et plus sensible au prix du pétrole. Les mois à venir vont probablement révéler l’étendue de la fragilité, les pertes, et la mauvaise gestion au sein de l’industrie pétrolière, aux USA et ailleurs.

Quelle est la raison de cet événement imprévu ? Qui sont les gagnants et les perdants ?

Mishka von Dorp a rejoint notre équipe en 2010. Il est brocker à Sprott Global Resource Investments Ltd.

Il a écrit cette note à ses clients afin de leur donner son point de vue sur la situation et de leur expliquer pourquoi il pensait que l’OPEP est un acteur majeur de la chute actuelle des cours :

« Je pense que le prix du pétrole va rebondir si l’OPEP revient sur sa décision de maintenir ses niveaux de production. Et comme je pense qu’elle va probablement le faire, c’est le bon moment pour investir dans certaines compagnies pétrolières, ayant de faibles niveaux d’endettement et la capacité à continuer à produire sur une période de trois ans aux prix actuels.

L’OPEP

Les cours du pétrole se sont effondrés à cause d’une surabondance de l’offre de la part des USA et des pays de l’OPEP conjuguée à une faiblesse de la demande.

Pourquoi l’Arabie Saoudite, le pays leader de l’OPEP, a t-elle ignoré le mois dernier l’appel des producteurs les plus pauvres de l’organisation, incluant le Venezuela et l’Iran, à réduire la production afin de stopper la chute des cours ? Ne serait-il pas dans son intérêt d’essayer de maintenir les cours à leur niveau de juin ? Après tout, en vendant à un prix plus élevé, ils peuvent produire moins et augmenter la durée de vie de leurs réserves tout en gagnant autant d’argent.

On ne peut pas savoir quelles discussions ont eu lieu en coulisse, mais une chose est certaine, la décision de l’OPEP a un impact sur l’économie mondiale.

Les prix du pétrole affectent tout, des prix alimentaires à l’électronique, aux vacances de rêve que vous prévoyez de passer en famille.

Alors, pourquoi l’OPEP ne réduit-elle pas sa production ?

La Russie et l’Iran

Les finances publiques de la Russie et de l’Iran sont fortement dépendantes des exportations d’énergie, ainsi que leur taux de change. Les deux pays ont également des intérêts géopolitiques divergents avec l’Arabie Saoudite, qui créent des tensions. L’Arabie Saoudite, sous influence de Washington, est en conflit avec les deux pays sur un certain nombre de sujets, incluant la Syrie et le renversement de Bachar-al-Assad. Bien que les saoudiens souffrent également financièrement, il savent que les russes et les iraniens ont bien plus à perdre politiquement, à la fois sur la scène internationale et intérieure, d’une chute des cours. Mon sentiment (partagé par bien d’autres analystes) est qu’ils peuvent être disposés à laisser glisser les cours pour un moment.

Les états-unis

C’est là que ça devient intéressant, parce que les saoudiens semblent jouer sur deux tableaux à la fois. Bien qu’ils soient les alliés de Washington pour ce qui concerne la politique régionale, les saoudiens ont été contrariés par la renaissance pétrolière des états-unis qui a conduit à ce que la production américaine dépasse celle de Riyad. Au contraire des saoudiens, les états-unis forent des puits non conventionnels qui reviennent bien plus cher que les méthodes de production conventionnelles. Les rentrées nettes d’argent sur ces puits, après la soustraction des coûts de production et de transport, sont variables. Mais globalement, les petits producteurs aux états-unis vont hésiter à forer de nouveaux puits aux cours actuels du pétrole. La méthode utilisée pour forer et mettre en production ces puits (fracturation hydraulique, inondation artificielle) conduit également à un déclin beaucoup plus rapide que pour les puits traditionnels.

Les USA doivent forer continuellement de nouveaux puits pour maintenir le niveau de la production existante et compenser le déclin très rapide des champs existants. La majeure partie des réserves d’un puits moyen ont été extraites au bout d’un an et demi. Si les producteurs américains ne maintiennent pas le rythme de forage nous verrons sûrement la production énergétique US diminuer. Nous avons déjà pu observer une réduction du nombre d’appareils de forage à l’échelle nationale.

De plus, les producteurs américains ont massivement recours à l’endettement pour financer leurs forages, comparé à leurs homologues canadiens. Quand les cours étaient supérieurs à 100$ le baril, les capitaux affluaient dans le secteur pétrolier. Maintenant que les cours se sont effondrés, les banques vont commencer à resserrer leurs conditions de crédit, forçant les entreprises à rembourser leurs dettes plutôt qu’à réinvestir dans de nouveaux forages. Une fois que les cours actuels auront causé suffisamment de dommages pour mettre à mal la production concurrente aux USA, je pense que l’OPEP va graduellement réduire sa production et forcer le monde à payer un prix plus élevé pour le pétrole. Pour les investisseurs qui sont engagés dans l’énergie sur le long terme cela pourra être une opportunité majeure.

Gaz naturel et Gaz Naturel Liquéfié

La production et la consommation de gaz naturel sont fortement contraintes par les problèmes de transport. Les problématiques liées au transport ont créé de fortes disparités de prix selon les pays. Par exemple, le prix du gaz naturel américain se situe à 400 $ par millions de Btu (ndt : British Terminal Unit. 1 millions de Btu=293 kwatt/heure) alors que dans la plupart des pays d’Asie, il se situe aux alentours de 10000$ par millions de Btu. Congeler le gaz naturel sous forme de GNL pour le transporter vers des marchés aux prix élevés, comme le Japon, est un commerce attractif.

Ces dernières années, nous avons vu la demande de GNL asiatique grandir plus vite que la demande de pétrole. Les principaux consommateurs sont le Japon, la Corée, la Chine et Taïwan, qui cumulent les ¾ de la demande mondiale. Le Qatar est actuellement le premier exportateur avec l’Australie, cette dernière étant proche de lui ravir la première place. L’Arabie Saoudite n’a aucun terminal d’exportation de GNL et elle est un consommateur net de gaz naturel. Il est ainsi facile de voir que les saoudiens s’inquiètent de voir leurs parts de marché attaquées par le secteur du GNL traditionnellement moins cher. La demande asiatique compte après tout pour les 2/3 du marché de l’exportation de l’Arabie Saoudite et cette dernière se battra bec et ongle pour maintenir ses débouchés.

Les projets de liquéfaction de gaz naturel coûtent des milliards de dollars et prennent des années de développement avant le démarrage de la production. L’Australie a des projets de pipeline pour le GNL dont certains en construction, pour un montant de 190 milliards de dollars.

Depuis que le prix du GNL est sensiblement équivalent à celui du pétrole, le marasme du secteur menace ces projets de développement et assure à l’Arabie Saoudite la domination du marché asiatique de l’énergie. En fait, comme je l’ai déjà écrit, Petronas et ses partenaires dans le projet GNL du pacifique nord ouest en Colombie britannique viennent de décider le report de sa construction, les investissements se montant à 36 milliards de dollars, au motif de « l’intensité croissante de l’environnement de marché ».

Si j’ai vu juste concernant leurs intentions, alors les plans saoudiens commencent à porter leurs fruits.

Le Venezuela et l’Iran

Les producteurs plus pauvres comme le Venezuela et l’Iran ont demandé aux pays riches de l’OPEP de réduire leur production afin de soutenir les cours. L’Arabie Saoudite tente de réduire leur pouvoir de négociation. S’ils se rangent à l’idée de réduire les quotas de production, ils demanderont aux pays les plus pauvres de réduire également leur production. Laisser les prix filer un moment les obligera à se conformer plus facilement à cette demande.

Pour résumer, l’inaction de l’Arabie Saoudite concernant la chute des cours est loin d’être irrationnelle. C’est la chose la plus sensée à faire à court terme.

Combien de temps sera t-elle disposée à maintenir la production aux niveaux actuels ? C’est ce que tout le monde se demande, mais elle ne changera rien jusqu’à ce qu’elle ait le sentiment que ses intérêts sont sécurisés.

Les saoudiens détiennent environ 750 milliards de dollars de réserves monétaires, ce qui selon Barclays, est suffisant pour couvrir 30 mois d’importations. Cela nous donne un ordre d’idée du scénario le plus pessimiste concernant la disposition des autorités saoudiennes à laisser chuter les cours.

Si Mishka a raison, on devrait s’attendre à voir l’OPEP maintenir sa production jusqu’à ce que la production US marque le coup.Pour les saoudiens, un déclin de la production US semblerait suffisant pour être débarrassés de leur concurrence pendant que dans le même temps ils limitent l’influence de l’Iran et de la Russie.

Source : proactiveinvestors

Traduction Guillaume Borel pour les moutons enragés

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