Scandale de l’environnement : Les boues rouges toxiques et radioactives de Gardane

Analyses radio-toxicologiques à l’appui, Hexagones démontre la dangerosité environnementale des boues rouges, produites par l’usine d’alumine de Gardanne et stockées à terre. Elles génèrent une pollution quotidienne à Bouc-Bel-Air et à Gardanne, (13) exposant la population à des risques certains.

Bouc-Bel-Air. Ce nom enchanteur de Provence évoque instantanément la chanson de Louis Chedid. Un endroit magique, un petit coin de paradis.

Bien au-delà du rêve, Bouc-Bel-Air est le principal site de stockage des boues rouges, résidu de production d’alumine de l’usine Altéo qui emploie 400 personnes à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône. Obtenue à partir du minerai de bauxite, l’alumine est un composé chimique utilisé très largement dans de nombreux produits industriels.

Cette usine de Gardanne mise en service dès 1894 par Pechiney est passée après de nombreux changements de main sous le contrôle du fonds de pension américain HIG Capital en 2012. Elle déverse depuis 1966 des tonnes de boue en mer.

Pour obtenir une tonne d’alumine, il faut en effet traiter deux tonnes de bauxite sous haute pression en utilisant des produits très toxiques comme la soude, ce qui produit ces résidus. Depuis des décennies, ces boues rouges sont notamment stockées dans la décharge à ciel ouvert de Bouc-Bel-Air.

L’aire de stockage des boues, appelées peut-être à être transformées bientôt en un matériau de construction baptisé bauxaline, s’appelle Mangegarri. C’est un ancien coin de verdure et lieu de promenade champêtre.

Poussières rouges

Plus on se rapproche du site, plus la poussière rouge devient prégnante. Elle pénètre dans les maisons les plus proches du site de stockage des boues. Les habitants ne se sont toujours pas habitués à vivre dans cet environnement particulier, où le moindre coup de vent se transforme en tornade rouge.

La ville de Gardanne sous la poussière rouge de l’usine. ©BL/Hexagones

Surtout, la multiplication des cas de cancer dans ce petit quartier de Bouc-Bel-Air a fini par les inquiéter. À proximité immédiate du site de Mangegarri, on dénombre au moins huit cancers et cinq problèmes de thyroïde sur une vingtaine d’habitants, selon les entretiens individuels réalisés par Hexagones avec ces habitants.

Contactée par Hexagones, L’Agence régionale de santé (ARS) a indiqué ne pas disposer de chiffres de morbidité par cancer pour la ville de Bouc-Bel-Air (comme pour Gardanne), qui est nimbée de rouge, des toits jusqu’aux trottoirs.

De la plupart des élus locaux aux responsables de l’usine Altéo, tous affirment que les boues rouges stockées à l’état solide à Mangegarri sont sans danger pour l’environnement et la santé des habitants. La société Altéo a ainsi fait réaliser des études qui prouvent, selon elle, l’innocuité des boues rouges. Ses employés l’affirment lors de réunions avec les habitants.

 

Analyses

Les riverains sont pourtant persuadés qu’on les empoisonne à petit feu. Hexagones a enquêté. Il suffit de suivre l’un de ces petits chemins qui sillonnent le lieu pour tomber sur le site de stockage, qui est curieusement libre d’accès. Nous avons prélevé des échantillons de boues et nous les avons fait analyser par deux laboratoires totalement indépendants d’Altéo et des pouvoirs publics. Les résultats sont sans appel.

L’analyse de radioactivité des boues a été réalisée par la Criirad, ce laboratoire indépendant créé en 1986 par Michèle Rivasi, devenue depuis parlementaire européenne écologiste. Il conclut à la présence de quantités anormales de produits radioactifs.

« Dans les déchets analysés, on constate des teneurs nettement supérieures à la moyenne de l’écorce terrestre pour l’uranium 238 et ses descendants (environ 140 Bq/kg) et le thorium 232 et ses descendants (environ 340 Bq/kg sec). » Certes, ce résultat n’est guère éloigné de l’étude faite par Altéo avec le cabinet Algade*, mais la Criirad en tire des conclusions très différentes.

Elle estime que l’étude Algade est biaisée en raison notamment d’une taille selon elle insuffisante des échantillons. La Criirad estime donc qu’il n’y a aucune certitude que l’exposition des habitants aux rayonnements ionisants soit bien inférieure au dixième de millisievert (seuil légal d’exposition pour le public).

D’autre part, l’étude de l’Algade ne démontre pas l’absence de radon 222 dissous, ni le plomb et le polonium 210, très radiotoxiques en cas d’ingestion.

Toxicité

C’est un laboratoire universitaire parisien, qui a souhaité garder l’anonymat, qui a réalisé notre analyse sur la toxicité des boues. Ses résultats sont présentés dans le tableau ci-dessous. Ils sont comparés aux résultats d’une étude prise en référence dans les documents officiels d’Altéo et à ce que l’on sait de la répartition « naturelle » des métaux lourds dans la nature.

Tableau comparatif des analyses

Sources : Hexagones et Altéo

Élément chimique Étude Hexagones (mg/kg) Étude Altéo (mg/kg) Teneur moyenne (mg/kg) des sols non-contaminés
Sodium (Na) 11 707 NC NC
Magnésium (Mg) 440 NC NC
Aluminium (Al) 45 816 10 211 NC
Calcium (Ca) 20 817 1800 0,8-1,5
Titane (Ti) 9 015 6 806 50-100
Chrome (Cr) 1 372 269 50-100
Fer (Fe) 183 710 43 235 30-60
Nickel (Ni) 32 1,19 30-60
Cuivre (Cu) 85 4,8 100-200
Zinc (Zn) 134 8,16 100-200
Zirconium (Zr) 287 NC NC
Cadmium (Cd) 13 0,28 NC
Plomb (Pb) 59 11 50-100
Thorium (Th) 73 NC NC
Uranium (U) 5 NC NC
Vanadium (V) 718 NC NC

La conclusion s’impose d’elle-même. Notre analyse met en lumière des taux de concentration de métaux lourds très supérieurs aux chiffres d’Altéo ainsi bien qu’aux chiffres naturels, ce qui peut difficilement être neutre et sans risque pour l’environnement et la santé des habitants.

Tableau récapitulatif des effets sur la santé des principaux métaux rencontrés dans l’environnement

 

Métaux Effets sur la santé
Aluminium Neurotoxique, suspecté de jouer un rôle dans la maladie d’Alzheimer
Arsenic Lésions cutanées, troubles digestifs, troubles de la reproduction, cancérigène avéré
Cadmium Néphrotoxique, cancérigène avéré
Chrome (VI) Troubles respiratoires, inflammations des muqueuses, ulcères, cancérigène avéré
Cuivre Irritation des muqueuses respiratoires et oculaires, douleurs épigastriques, céphalées, nausées, étourdissements, vomissements, diarrhée, tachycardie, une insuffisance rénale
Mercure Neurotoxique puissant, reprotoxique
Nickel Atteinte du système respiratoire, cancérigène avéré
Plomb Neurotoxique, responsable de saturnisme, troubles du développement cérébral, perturbations psychologiques et difficultés d’apprentissage scolaire chez les enfants, peut-être cancérigène.
Vanadium Irritation des poumons, de la gorge des yeux et des cavités nasales, troubles digestifs et neurologiques.

Les riverains qui vivent autour du site de Mangegarri réclament depuis des années en vain une étude épidémiologique. La poussière rouge est partout chez eux. En cas de fort mistral, ils suffoquent littéralement.

Ouvriers en danger

La santé des ouvriers d’Altéo pose aussi question. Une très longue lettre de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) adressée en février dernier à Altéo fait état d’un nombre important de dysfonctionnements concernant la radioprotection dans l’enceinte de l’usine, tout en concluant que le risque était « globalement bien appréhendé ».

La personne chargée de la radioprotection était non seulement absente depuis des mois, mais n’avait même pas la formation pour assurer cette fonction, remarque l’autorité administrative en charge de la sûreté nucléaire. Le médecin du travail chargé des ouvriers d’Altéo n’a pas souhaité répondre à nos questions.
L’ASN, contactée par Hexagones, a déclaré que ses agents n’étaient pas revenus sur le site pour vérifier que la réglementation était désormais respectée. Elle dit se contenter faute de temps et de moyens des documents que lui fournira l’usine. Michel Hamrand, l’adjoint au chef de la division de l’ASN Marseille, nous a déclaré : « c’est pas Tchernobyl, non plus ». En effet, c’était juste un joli coin de Provence.

*Algade est une société qui est une émanation de l’ancien CRPM-COGEMA, chargé de la radioprotection dans les mines d’uranium de COGEMA (devenue ensuite AREVA).

SOURCE DE L’ARTICLE : http://www.hexagones.fr/#/article/2014/12/08/boues-rouges

Sur le même sujet :

http://www.francetvinfo.fr/economie/video-les-boues-rouges-de-gardanne_770221.html

 

Remarque déprimante : Avec la crise, l’inflation galopante du chômage et les fermetures d’entreprises qui se succèdent, les problèmes environnementaux risquent bien de passer au second plan..  Il suffira juste qu’un patron prétende n’avoir pas les moyens de prendre les mesures salvatrices nécessaires sans mettre l’équilibre budgétaire de son entreprise en danger et du monde sur le pavé et hop ! (Par contre, pour les actionnaires, si il y en a, là il y a beaucoup moins de problèmes.)

La population aussi est coincée… Travailler mais en s’empoisonnant.. A-t-elle vraiment le choix ? Et ce cas est loin d’être unique, hélas !