Relaxe d’Emmanuel Giboulot : pour en savoir un peu plus…

COMPRENDRE L’OBJET DE L’ACCUSATION

Le délicat problème du traitement de la flavescence dorée

 

Viticulteur en biodynamie depuis plus de 40 ans en Côte d’Or, Emmanuel Giboulot avait refusé en 2013 de traiter ses vignes préventivement avec des pesticides de synthèse contre la flavescence dorée, maladie de la vigne. Pour sa désobéissance, il encourait jusqu’à six mois de prison, 30 000 euros d’amende et déclenchait des soutiens en chaîne via les réseaux sociaux. Le 24 février, le parquet de Dijon avait demandé en première audience une peine de mille euros d’amende dont cinq cents avec sursis. C’est la condamnation retenue par le tribunal correctionnel de Dijon le 7 avril et contre laquelle le viticulteur devrait faire appel.

Symbolique, la peine n’en demeure pas moins injuste selon le viticulteur et les associations mobilisées sur les dangers des pesticides et sur le projet de la loi d’avenir agricole pour l’alimentation et la forêt qui sera discuté au Sénat. Ainsi Agir pour l’environnement dénonce les enjeux économiques cachés derrière les arrêtés préfectoraux du type de celui ayant rendu obligatoire le traitement auquel M. Giboulot s’est soustrait : « A raison d’un à trois (…) pour un coût avoisinant 15 euros/hectares, ce traitement contre la flavescence (…) aura accru le chiffre d’affaires de l’industrie pesticide d’environ 1,5 million d’euros ».

Pour Générations futures, « le recours « préventif » à base de lutte chimique systématique ne peut être la seule réponse (…) à la cicadelle (…). Les traitements curatifs ne pourront venir à bout de ce problème tant qu’on n’aura pas une vision systémique de l’agriculture, et non pas uniquement basée sur une lutte chimique comme toute réponse au moindre problème ».

Ce à quoi le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne, qui n’a pas souhaité commenter la décision de justice, répond que la lutte contre la flavescence dorée ne repose pas uniquement sur l’emploi de produits phytosanitaires et qu’elle s’appuie aussi «  sur trois autres piliers (prospection, arrachage des pieds malades, traitement à l’eau chaude des plants de vigne), dont le principal est bien la surveillance du vignoble ». Recherche et surveillance sont deux points sur lesquels tout le monde s’accorde au moins face à cette « maladie épidémique et mortelle pour la vigne (…) qui reste un enjeu majeur pour le vignoble bourguignon ».

Au-delà de l’émotion et de la médiatisation du procès, la lutte contre la flavescence dorée est un sujet complexe. Pour éviter la tentation du manichéisme et y voir un peu plus clair on peut lire la synthèse de l’association de défense de l’agriculture bio Bioconsom’acteurs.

L’affaire aura néanmoins permis de lancer un débat et d’insister sur la nécessité de pluralisme dans la prévention et dans la recherche.


Source : Pascale Solana pour Reporterre.

http://www.reporterre.net/spip.php?article5688

 

QU’A DIT LA JUSTICE ?

 

« C’est une victoire de la mobilisation citoyenne, c’est être lanceur d’alerte », a déclaré à l’issue du prononcé de l’arrêt de la cour M. Giboulot, acclamé par son comité de soutien. « Il y a une prise de conscience de plus en plus forte quant à l’importance de réduire l’usage des pesticides, qui me donne des espoirs pour l’avenir de l’agriculture », ajoute-t-il, interrogé par Le Monde.

« La cour a invalidé l’arrêté préfectoral obligeant à traiter les vignobles, car il n’avait pas été approuvé par le ministre de l’agriculture et surtout le caractère d’urgence n’était pas démontré. C’est ce que nous défendions », se réjouit son avocat, Me Benoist Busson.

« L’INSECTICIDE N’EST PAS SÉLECTIF »

L’affaire avait débuté en juin 2013, avec un arrêté préfectoral imposant le traitement par un insecticide de la quasi-totalité des vignobles de la Côte-d’OrVisée : la cicadelle, petit insecte vecteur de la flavescence dorée, une maladie très contagieuse et mortelle pour la vigne. Alors que cette épidémie se répand en France depuis son apparition en 1949, plus de la moitié du vignoble est soumise à un plan de lutte obligatoire en vertu de réglementations nationales et européennes.

Pourtant, à l’été 2013, aucun foyer avéré n’est détecté en Côte-d’Or. Emmanuel Giboulot, 52 ans, qui exploite dix hectares de vignes en biodynamie sur la Côte de Beaune et la Haute-Côte-de-Nuits, refuse alors de traiter de manière préventive ses ceps de chardonnay et de pinot noir.

« L’insecticide, même autorisé en agriculture biologique [le Pyrevert], n’est pas sélectif : il aurait détruit la cicadelle, l’insecte vecteur de la maladie, mais aussi une partie de la faune auxiliaire sur laquelle je m’appuie pour réguler l’écosystème de mon vignoble », argumente-t-il au cours du procès en première instance, devant le tribunal correctionnel de Dijon, en février 2014. « Le préfet n’était pas compétent pour imposer un traitement des vignes dans la mesure où il n’y avait pas de situation d’urgence », complète Benoist Busson.

Lire le reportage Procès du viticulteur bio : « Je n’ai pas traité mes vignes et je l’assume »

INFRACTION PÉNALE

« En 2011 et 2012, un foyer important de flavescence dorée était apparu dans la Saône-et-Loire voisine, et on a dû arracher une douzaine d’hectares de vignes ainsi que milliers de ceps isolés dans le département, rétorque à la barre Olivier Lapôtre, chef du service régional de l’alimentation de la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) de Bourgogne, en charge de la lutte contre la flavescence dorée. Vu la vitesse de la propagation, nous craignions une contamination en Côte-d’Or. Il y a un décalage de quinze mois entre la contamination des ceps et l’apparition de la maladie. »

Après des examens en octobre 2013, trois ceps se révèlent contaminés dans le département. Pour la Draaf, qui a contrôlé le viticulteur en infraction, c’est la preuve que « l’analyse de risque s’est avérée juste » et que l’arrêté préfectoral était nécessaire. Et, pour la représentante du parquet, il y a bien eu « une infraction pénale ». Le 7 avril 2014, le tribunal de Dijon condamne Emmanuel Giboulot à 1 000 euros d’amende, dont 500 avec sursis, une peine légère alors que le délit est passible de six mois d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Qualifiant le jugement d’« injustifié » et dénonçant une « pensée unique » sur l’usage des pesticides dans les vignobles, il fait appel.

Lire l’entretien Le viticulteur bio condamné dénonce « une pensée unique sur les pesticides »

Son cas ne pourra pas faire jurisprudence, dans la mesure où certaines règles ont changé avec la loi d’avenir pour l’agriculture. Mais Emmanuel Giboulot estime avoir permis d’« ouvrir le débat » et d’« améliorer la situation ». « Cette année, seules seize communes ont été soumises à un traitement obligatoire contre la flavescence dorée. C’est la preuve que l’on n’est pas dans un schéma de pandémie et qu’il n’y a pas besoin de traiter l’ensemble du département, assure-t-il. C’est également grâce à la mobilisation des citoyens. »

TRÈS FORTE MÉDIATISATION

Le viticulteur Emmanuel Giboulot devant le tribunal correctionnel de Dijon, lundi 24 février, après son procès.

Le vigneron de Beaune a bénéficié d’une très forte médiatisation, jusqu’aux Etats-Unis, où même le New York Times lui a consacré un éditorial. A Dijon, ils étaient près d’un millier à le soutenir en première instance. Mais c’est surtout sur le Web que la mobilisation a été la plus forte. Une pétition, lancée par l’Institut pour la protection de la santé naturelle, association basée à Bruxelles, a rassemblé plus de 540 000 signatures, tandis qu’une page Facebook recueillait près de 130 000 « likes ».

La profession viticole, elle, ne voit pas d’un bon œil cette publicité faite à la filière. Le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB), après avoir dénoncé, en février, des « contre-vérités » véhiculées autour du cas d’Emmanuel Giboulot, avait rappelé « qu’à ce jour, il n’existe, hélas, aucune alternative pour lutter contre cette maladie très épidémique et mortelle pour la vigne », assurant que « la volonté de l’ensemble des acteurs impliqués [était] de réduire au minimum le nombre de traitements insecticides, ainsi que la surface concernée ».

>> Lire la note de blog  Le cas du vigneron qui refuse de polluer fait débat

Un constat d’échec auquel ne veut pas se résoudre Emmanuel Giboulot, qui travaille sur des alternatives. Avec le Service d’écodéveloppement agrobiologique et rural de Bourgogne (Sedarb), une association qui vise à promouvoir le bio dans le département, il mène des essais pour lutter contre la cicadelle grâce à des procédés naturels comme la silice ou l’huile de neem (margousier d’Inde). Les résultats devraient être prochainement dévoilés.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/12/04/le-viticulteur-bio-qui-ne-voulait-pas-traiter-ses-vignes-rejuge-en-appel_4533735_3244.html