Le retour de l’âge des cavernes
On avait un superbe village troglodyte à Chinon, sur les coteaux de la Vienne. Il a été évacué de force et rendu inhabitable à la fin des années 50. Ses habitants ont été relogés dans la cité HLM construite dans la plaine en dessous, au nom de la salubrité publique et du confort moderne.
L’endroit était magnifique et plein de vie, de l’habitat populaire sauvage hors permis de construire et PLU (plan local d’urbanisme). Mais c’était soi-disant un coupe-gorge, et comme un chemin de grandes randonnées le traversait et qu’il arrivait que des marcheurs débiles s’y fassent moquer, le Progrès a frappé et les Trente Glorieuses n’ont pas fait de quartiers (troglodytes).
Tout le monde reconnaît aujourd’hui la perte inestimable que le démantèlement de ce village constitue. Ceux de ces villages qui ont été sauvegardés et réhabilités, souvent colonisés par des artisans d’art et des plasticiens, constituent de véritables attractions pour les touristes en tout genre. Et les vestiges de celui de Chinon abritent l’une des seules églises troglodytes au monde, la chapelle Sainte Radegonde, un lieu de culte créé au VIe siècle par un ermite, avec des peintures rupestres datant du XIIe…
Il existe un important mouvement de défense et de promotion de l’habitat troglo. Avec des adeptes fervents, par choix ou par contrainte. À l’heure où l’on se dit qu’on a peut-être définitivement dépassé par chez nous le pic de PIB, à l’heure où la crise du logement s’installe durablement, on se demande si ces gens-là n’ont pas pris de l’avance sur le retour obligé à l’âge des cavernes. Car les caves demeurantes sont innombrables dans certains coins de France, et elles ne demandent qu’à être réoccupées à bas coûts.
Vivable ?
Mais est-ce vraiment vivable ? Pour en savoir plus, je suis allé passer un moment avec un chouette couple qui vit en troglo depuis 20 ans par conviction et avec passion. Lorense est travailleuse socio-cul et Yanos est sculpteur. Leur fils Isidor est né et a toujours vécu en troglo. Vous pouvez constater sur leur selfie qu’ils n’ont pas l’air d’être spécialement secoués ni d’en souffrir particulièrement.
Les inconvénients d’abord. L’humidité vient en premier. Pour l’atténuer, une bonne ventilation naturelle est essentielle, et c’est tout un art, ainsi qu’une exposition plein sud pour s’aider du soleil. La température ensuite. Elle est de 12 °C sans chauffage, été comme hiver, ce qui est déjà pas mal.
Pour que ce soit tenable et se sentir bien, il faut chauffer la pièce à vivre à 18 °C minimum avec un bon vieux gros poêle à bois glanés. On dort très bien dans la chambre à 12 °C, et même à moins, avec couettes et bouillottes, ou bien comme tout le monde faisait dans le temps : avec briques chauffées sur le poêle et édredons. Et Yanos ajoute que la température externe optimale pour le bon fonctionnement du cerveau est de 17 °C. Dont acte.
On me dit aussi que c’est excellent pour la vitalité des spermatozoïdes dans les testicules, donc pour la survie de l’espèce. Admettons. Certains se plaignent à juste titre du manque de lumière du jour, d’autres apprivoisent l’obscurité et drainent les rayons du soleil par des orifices et des baies vitrées en façade. La poussière est gênante aussi, parce que les murs sont vivants, le tuffeau desquame. Pour finir, il faut parfois cohabiter avec des chauves-souris, mais au fond, cet animal est charmant.
Avantages
Les avantages maintenant : un cadre naturel, des volumes hors norme, rien n’est carré ni en cube ni à angle droit, aucune surface n’est plane, on est dans la matière brute, dans le ventre de notre mère la Terre, la déco est évolutive avec des couleurs changeantes en fonction de la résonance de la lumière et des pigments de la pierre, l’acoustique est parfaite pour écouter de la musique, l’atmosphère est apaisante dans ces dédales de grottes sécurisantes.
C’est un délire architectural, tu veux une niche, un tunnel, une bibliothèque, un banc, tu prends le burin et le marteau et tu creuses dans la masse. Un rêve d’esthète. Y’a un môme de plus ? Tu lui creuses une chambre.
Sans prendre parti et sans savoir si je m’y ferais, bien que je trouve ça très tentant quand on est dans la dèche, je constate une chose : j’adore les sculptures de Yanos, de l’art contemporain enfin digne de ce nom, selon moi. Vous pouvez les voir ici et là. Son mode de vie troglo y est sans doute pour quelque chose dans sa manière de travailler la matière du dedans et en osmose…
Pour les ceusses qui veulent approfondir l’économie souterraine des intraterrestres, Lorense me signale deux figures emblématiques des troglonautes : Bernard Foyer, alias Nanard Pictus, le Pape des Troglos, et Jacques Warminsky, dont l’œuvre monumentale troglo L’Hélice Terrestre vaut vraiment le détour.
Mais ne croyez pas pour autant qu’il suffise de s’enterrer pour avoir la paix. Certainement pas. Vous auriez la puissance publique sur le râble comme n’importe quel SDF dans sa grotte en cartons. Si l’homme des cavernes se repointait aujourd’hui avec sa gueule enfarinée, on aurait tôt fait de le foutre en taule pour infraction au PPR (Plan de Prévention des Risques).
Michel Fiszbin,
Photo en tête d’article : Les vestiges du village troglodyte de Chinon. © MF/Hexagones