Les choniques (humoristiques, quoi que…) d’un inscrit à Pôle Emploi
Moi, Yohan Grangier, 31 ans futur reconverti professionnel
212ème jour: après le bip
Juillet 2014
« Je suppose que vous avez le projet d’entrer en formation avec la Chambre des Métiers ».
Voilà. Après 212 jours, Pôle en est aux suppositions. Ce matin, ma conseillère, celle qui est dévouée corps et âme à ma cause, a laissé un message sur mon répondeur.
Qu’elle accepte mes plus plates excuses, je n’étais pas disponible, un peu comme elle lorsque je passe en agence et qu’elle est en congés, absente, ou présente dans les bureaux mais avec pour mission de ne recevoir personne. Pour cela, je sais donc qu’elle ne m’en voudra pas de ne pas avoir pu prendre son appel. Après coup, je dois bien le reconnaître, j’aurais été déçu de ne pas pouvoir immortaliser ce qu’elle avait à me dire, chose que j’ai pu faire grâce à son message vocal.
212 jours. On peut en faire des choses en 212 jours.
Personnellement, j’en ai fait pas mal en ce qui concerne ma reconversion professionnelle, à commencer par informer Pôle dès le 1er jour que je souhaitais entrer en formation de CAP Pâtissier avec la Chambre des Métiers. Ce projet, ce souhait, appelons cela comme on veut, avait été inscrit dans mon dossier de manière à assurer une certaine forme de suivi et pourquoi pas à générer des propositions ou autres conseils en lien avec ledit projet.
A chaque entretien avec un conseiller, j’ai cessé de compter aussi bien le nombre d’entretiens que de conseillers, je me trouve dans l’obligation de rabâcher ce pourquoi je suis là, reconversion professionnelle, CAP Pâtissier, création d’entreprise, toutes ces choses a priori fort simples à comprendre et à suivre puisque chaque conseiller saisissait une synthèse de l’échange à l’attention du prochain collègue. Enfin ça, c’est ce que je croyais. Il y a plusieurs explications au fait que je doive tout reprendre à chaque rendez-vous : soit les conseillers trouve ce que je raconte formidable et veulent en profiter un maximum, soit ils sont incapables de se servir de leur ordinateur et de leur logiciel et donc de retrouver ce qui s’est passé lors de l’épisode précédent, soit ils font semblant de saisir une synthèse à la fin de l’entretien et alors là chapeau parce qu’on y croirait vraiment. Enfin moi j’y ai cru en tout cas.
Pour entrer dans le vif du sujet, ce matin ma conseillère m’appelait pour m’informer qu’elle venait de récupérer la note de son collègue datée du 16 juin, ce collègue que j’avais rencontré pour lui demander d’envoyer un mail à celle qu’il a rebaptisé Madame Machin de la Chambre des Métiers.
Il a donc fallu trois semaines à MA conseillère pour jeter un oeil à cette information qu’en plus elle ne comprend pas. Et si elle m’appelle c’est justement parce qu’elle ne comprend pas.
Elle suppose que j’ai le projet d’entrer en formation avec la Chambre des Métiers. Après 212 jours, elle suppose. 212 jours. J’aimerais savoir écrire les chiffres en majuscules pour que tout le monde se rende bien compte de l’énormité. Alors elle voudrait que je passe la voir. Pour comprendre. Puisqu’elle ne comprend pas. Après 212 jours, elle ne comprend pas.
Chère madame, pour le bien-être de tous, il est préférable que je ne passe pas vous voir et que je fasse comme si votre message n’avait jamais existé. Je vais faire sans vous sur ce coup-là, comme je le fais depuis… 212 jours.
Mes conclusions ont été rapides, claires, concises. Pôle est le seul à pouvoir lancer pour moi le processus d’inscription au CAP Pâtissier. Comment va-t-il pouvoir réaliser cela correctement et dans les délais impartis alors qu’il en est encore à supposer que j’ai le projet d’entrer en formation ?
Pôle, n’oublie pas que je sais où tu habites.
BONUS
Lire ce billet, c’est important. Mais ce billet ne serait rien sans ce fameux message enregistré sur mon répondeur. J’aurais pu jouer au con mais je sais que je ne peux pas rivaliser, je me suis fait une raison, j’ai donc coupé le nom de ma conseillère. Vous verrez, cela ne gâche aucunement l’authenticité et la richesse du contenu.
DERNIÈRES NOUVELLES
Cher Pôle,
Ici tout va bien. Cela fait maintenant trois semaines que je suis revenu à l’école, au Centre de Formation d’Apprentis de la Chambre des Métiers. Mes nouveaux camarades de classe sont fort sympathiques, ou devrais-je dire grave cool, jeunes, ou plus simplement en âge d’être là. Contrairement à moi d’une certaine façon. Cependant je ne suis pas seul pour cette immersion dans l’ingratitude adolescente, une camarade adulte suit les mêmes cours que moi après avoir eu elle aussi cette idée folle un jour de retourner à l’école.
Nous sommes ainsi intégrés dans différentes classes de première et deuxième année de CAP Pâtisserie, dans différents cours, théoriques et pratiques, de la technologie, de la science appliquée à l’alimentation, de la Prévention Santé Environnement (PSE), de la gestion, du dessin et bien sûr de la pâtisserie.
Certains élèves me vouvoient, d’autres m’appellent « monsieur », il y a aussi ceux qui m’appellent « monsieur » mais qui me tutoient et bien entendu ceux qui me tutoient tout court dès le premier instant. Je les invite d’ailleurs tous à adopter cette dernière option.
J’ai des leçons à apprendre, j’ai même tout à apprendre, des contrôles, des notes, des appréciations, la totale. J’ai même un sac à dos, une trousse contenant un stylo à quatre couleurs et des feutres fluorescents ainsi qu’une superbe mallette de pâtissier contenant tout le matériel nécessaire à l’apprentissage de mon nouveau métier. Je m’approprie chaque jour un peu plus tous ces ustensiles grâce à un emploi du temps hebdomadaire essentiellement tourné vers la pratique.
Quant à mes profs, oui mes profs, je les perçois sous un jour sans doute bien différent du ressenti de mes petits camarades. Je les trouve très à l’écoute, pédagogues, curieux de nos parcours respectifs à nous autres adultes et candidats à la reconversion professionnelle et soucieux de nous apprendre vite et bien. Bien parce que c’est leur mission et vite parce que le temps nous est compté, nous avons deux ans de programme à assimiler en neuf mois. J’espère donc que cette fayoterie règlementaire m’apportera prochainement de bonnes notes.
Pôle, j’en conviens. Je t’ai quitté un peu fâché. Je ne t’ai pas vraiment quitté puisqu’on en parle, je fais toujours partie de tes disciples mais j’ai changé d’échelon. Je t’ai quitté un peu fâché mais rassure-toi, ou assures-t-en, je le suis toujours.
Enfin non ce n’est pas vraiment que je sois fâché et puis ce n’est pas vraiment pour moi, disons que je fais partie d’un tout, un tout pour lequel j’apporte ma maigre contribution. Je ne te suis pas, nous ne te suivons plus, personne ne te suit et tu nous le rends bien.
Quelques médias ont évoqué mon cas, des radios, de la presse écrite, ce qui fait que mes profs ou certains de mes copains de classe petits et grands ont eu connaissance de ma relation avec toi. Tous savent l’impossibilité de notre amour, ils connaissent mon côté taquin et tes aptitudes à ne rien faire.
Mais aucun d’entre nous, non, personne, ne pourra remettre en question ton sens de la fête, tes qualités d’ambianceur sur le marché du travail. Envisager de contrôler davantage tes abonnés pour éviter des « abus » grâce à des inspecteurs recrutés ou non à cet effet sans prendre la peine de te remettre toi-même en question, toi, tes équipes, tes agences, tes bureaux, tes ordinateurs, tes conseillères, tes conseillers…
Réfléchir à des indemnisations à la baisse ou sur des durées moins longues, Pôle, une fois encore ton ramage nous déplumera tous. Mais je te l’ai dit et répété, je ne te jette pas la pierre Pôle. Ces décisions qui viennent de si haut tu les prends toi aussi sur le coin du museau quand elles redescendent et tentent d’atterrir sur un terrain, non pas hostile, mais impraticable.
Tu dois faire face aux chômeurs mécontents, ceux qui pleurent, ceux qui râlent, ceux qui gueulent, ceux qui font des blogs. Parfois je te plains, pas longtemps. Ton incompétence et ton manque de moyens sont une sorte d’immunité faisant qu’on ne doit pas te tirer dessus, toi qui n’es pourtant pas une ambulance. Pardonne-moi Pôle, mais c’est un peu facile. Tu ne serais pas fautif, j’estime ne pas l’être non plus alors si ce n’est toi, est-ce donc mon frère de chômage ?
Celui ou celle qui comme moi a un projet, une envie ou tout simplement une question à laquelle toi seul peut en théorie répondre ? Nous autres ne sommes que des petites gens dont les revendications et mécontentements sont rapidement transformées en bavardages de comptoir. Lorsque nous évoquons le décalage entre la réalité du terrain et les décisions politiques, la seule réponse venant d’en haut est un projet de renforcement des contrôles nous concernant.
Radier les fraudeurs enverra une image d’autorité au peuple pour le rendre docile, les chômeurs délinquants décapités sur la place publique contribueront à l’inversion de cette fameuse courbe. Tu en veux du bavardage de comptoir Pôle, en voilà. Après tout cela, il paraitrait que je doive m’estimer heureux de mon cas personnel qui, il est vrai, a connu une fin plutôt heureuse. C’est une de tes conseillères qui m’a dit ça, par mail, sous couvert d’anonymat.
Sans doute n’avait-elle pas imaginé que je pouvais savoir d’où viennent les messages que je reçois. Pour elle je suis une honte pour tous les chômeurs, une sorte de profiteur ou je ne sais quoi, un petit impertinent qui ne se rend pas compte de la chance qu’il a de pouvoir te connaître toi, Pôle. Elle t’est dévouée corps et âme, prends soin d’elle, tu vas avoir besoin d’alliés.
Voilà Pôle, je voulais te donner ces quelques nouvelles en ayant une pensée pour ton personnel lui-aussi composé de petites gens parfois navrées de ne pouvoir faire son travail correctement. Je n’ai par contre rien à dire aux autres, ceux qui se foutent bien de savoir pourquoi nous sommes là face à eux, de ce dont nous avons besoin, quels sont nos questionnements et nos difficultés.
A ceux-là j’ai pourtant tellement à dire mais j’ai déjà passé 300 jours à le faire. Je vais désormais retourner à mon fouet, ma maryse, mes cul-de-poule sans oublier de te déclarer ma situation à la fin du mois et ainsi de suite jusqu’au passage de mon examen en juin 2015. Bientôt je serais en stage chez un artisan, cette période où tu me désignais comme de la main d’oeuvre gratuite en faisant mine de vouloir me protéger. Je te rends la monnaie.
Cordialement.