Quand nos merdias en choeur brandissent la démocratie, je sors mon parapluie
Lisez cet article et vous comprendrez tout. Vous comprendrez comment on aiguise, finance et manipule au profit de l’Empire les aspirations (légitimes) des peuples. Le sujet a fait l’objet d’une minutieuse enquête.
Il y a des journaliste qui font vraiment leur boulot !
Hong Kong : un virus sous le parapluie
Le 3 février 2011, entre la chute de Ben Ali et l’imminence de celle de Moubarak, le sénateur américain John McCain fit une étonnante déclaration en pleine ébullition de la rue arabe : « Ce virus se répand à travers le Moyen-Orient » [1]. Il ne parlait pas du virus d’Ébola, ni d’une quelconque autre maladie hautement contagieuse, mais plutôt du fameux « printemps » arabe. Cette comparaison « épidémiologique » n’est, à vrai dire, aucunement fortuite de la part de ce spécialiste de l’« exportation » de la démocratie.
Le virus selon McCain
Son rôle dans les révolutions colorées [2] et le printemps arabe [3] a été clairement établi. En effet, en plus de son poste au Sénat américain, McCain est le plus haut responsable de l’International Republican Institute (IRI) qui, avec le National Democratic Institute (NDI), est un des quatre organismes satellites de la National Endowment for Democracy (NED).
Rappelons que la NED est financée par un budget voté par le Congrès et que ses fonds sont gérés par un conseil d’administration où sont représentés le Parti républicain, le Parti démocrate, la Chambre de commerce des États-Unis et le syndicat American Federation of Labor-Congress of Industrial Organization (AFL-CIO).
La NED, via ses organismes (en particulier l’IRI et le NDI), forme, réseaute, supporte et finance les activistes pro-démocratie (et surtout pro-occidentaux) à travers le monde, dans des pays ciblés par l’administration américaine.
Il en a été ainsi lors des révolutions colorées (Serbie, Géorgie, Ukraine et Kirghizstan), mais aussi lors de la révolution « verte » (Iran) [4] ou du « printemps » arabe [5]. La connexion entre la NED et le gouvernement américain a été mise en évidence, et ce depuis bien longtemps, par Allen Weinstein (un des fondateurs de cet organisme), qui a déclaré en 1991 que la NED faisait aujourd’hui ce que la CIA faisait secrètement il y a 25 ans [6].
Mais revenons à la notion de « virus » de la contestation « identifié » par McCain. Le sénateur, qui s’était contenté d’en circonscrire la zone « endémique » au Moyen-Orient, l’a rapidement élargi à d’autres pays de haute importance stratégique pour les États-Unis : la Russie et la Chine. En effet, il déclara en novembre 2011 : « Ce printemps arabe est un virus qui attaquera Moscou et Pékin » [7].
(Selon McCain, le printemps arabe devrait gagner l’Iran, la Chine et la Russie (14 septembre 2011 – vidéo en anglais non sous-titré)
Quelques jours plus tard, McCain précisa son point de vue envers la Russie en s’en prenant directement à Vladimir Poutine. Il twitta : « Cher Vlad, le printemps arabe s’en vient dans un quartier près de chez vous » [8]. Il faut dire que McCain aurait pu dire la même chose quelques années auparavant en remplaçant l’expression « printemps arabe » par « révolution colorée ». N’avait-il pas en vain tenté d’ « exporter » la démocratie en Russie postsoviétique avec son soutien au mouvement « Oborona » [9] ?
D’ailleurs, il faut se rendre à l’évidence que les événements qui ont secoué il y a quelques mois l’Ukraine — communément appelés Euromaïdan — s’insèrent dans ce continuum d’actions visant à discréditer Poutine, déstabiliser la Russie et limiter son champ d’influence géopolitique. Ce qui n’a pas pu se faire directement en Russie, pourrait se réaliser en utilisant l’Ukraine comme Cheval de Troie.
C’est dans ce cadre que McCain s’est déplacé en personne à Kiev pour s’adresser directement aux révoltés du Maïdan le 14 décembre 2013. « Nous sommes ici pour soutenir votre juste cause, le droit souverain de l’Ukraine à choisir son propre destin librement et en toute indépendance. Et le destin que vous souhaitez se trouve en Europe », a-t-il claironné [10].
Rappelons que le sénateur américain est en terrain connu lorsqu’il déambule dans la capitale ukrainienne. Effectivement, il s’était déjà rendu en Ukraine en février 2005 [11] pour y rencontrer ses « poulains » de la révolution « orange » qu’il avait largement financés. Mais, cette fois-ci, la différence était de taille : il n’a pas été gêné de s’afficher avec le leader de Svoboda, un parti ukrainien ouvertement ultranationaliste, xénophobe et prônant des valeurs néo-nazies.
La seconde contrée visée par le « virus » printanier de McCain est la Chine. Et tout comme la Russie, ce pays possède lui-aussi un Cheval de Troie : Hong Kong.
Comme l’explique si bien Xiao Chen, un journaliste chinois basé à Hong Kong, « Dans la rivalité entre les États-Unis et la Chine, Hong Kong est une importante pièce d’échec […]. Ce n’est pas facile pour les États-Unis de créer des troubles en Chine, mais c’est super facile de jouer les trouble-fêtes à Hong Kong » [12].
Le virus à Hong Kong
Les manifestations qui ont secoué cette région administrative chinoise sont une campagne de désobéissance civile très bien orchestrée, destinée à faire pression sur le gouvernement chinois pour la mise en place d’un réel suffrage universel pour les prochaines élections. Ces évènements ont, à bien des égards, tous les attributs d’un mouvement de contestation du type « révolution colorée ».
Quatre ingrédients sont nécessaires pour mettre en branle ce type de « révolution » : de jeunes activistes motivés et mobilisés, une idéologie non-violente d’opposition au pouvoir en place, de la formation adaptée à l’idéologie et du financement.
Dans le cas de cette ancienne colonie britannique, les principaux acteurs de ce mouvement de protestation initialement baptisé « Occupy Central with Love and Peace » (OCLP) sont essentiellement de jeunes étudiants hongkongais affiliés à la Fédération des étudiants de Hong Kong (HKFS) ainsi qu’un certain nombre de politiciens dissidents de la vieille garde hongkongaise. Le nom du mouvement fait référence au mouvement « Occupy Wall Street » avec une touche locale, « Central » étant le principal quartier des affaires de Hong Kong [13].
Logo de l’OCLP
Le modus operandi adopté lors des manifestations correspond fidèlement à celui déjà observé dans les pays touchés par les révolutions colorées (Serbie, Géorgie, Ukraine et Kirghizstan) et par le « printemps » arabe (en particulier la Tunisie et l’Égypte).
Il est actuellement de notoriété publique que des activistes de ces différents pays ont été formés par le Centre d’action et de stratégies non-violentes appliquées (Center for Applied Non Violent Action and Strategies – CANVAS). Domicilié dans la capitale serbe, CANVAS est un centre de formation des activistes en herbe qui est dirigé par Srdja Popovic, lui-même ancien leader du mouvement Otpor qui a joué un rôle majeur dans la chute de Slobodan Milosevic en 2000.
Ce centre est financé par l’IRI de McCain, mais aussi par d’autres organismes américains d’exportation de la démocratie comme Freedom House ou l’Open Society Institute (OSI) du milliardaire George Soros, illustre spéculateur financier américain [14].
CANVAS dispense des formations conformes à l’idéologie de résistance individuelle non-violente théorisée par le philosophe et politologue américain Gene Sharp. Le centre a publié un manuel intitulé « La lutte non-violente en 50 points » [15] dans lequel sont énumérées des méthodes d’action non-violente telles que l’utilisation de slogans et de symboles, la fraternisation avec l’ennemi, les actes de prière et cérémonie religieuse, les veillées et les chants, etc.
Srdja Popovic tenant la version serbe de « La lutte non-violente en 50 points »
Toutes ces techniques (et bien d’autres) ont été utilisées par les dissidents de différents pays formés par CANVAS. « La fraternisation avec l’ennemi » a été certainement la plus frappante.
Par « ennemi », on entend les forces de l’ordre à qui sont confrontés les dissidents. Ainsi a-t-on vu à Kiev, Bichkek, Le Caire ou Tunis, des activistes distribuant des fleurs ou des victuailles aux policiers ou aux militaires tout en fraternisant avec eux. De la même manière, à Hong Kong, on a aperçu des étudiants tendre des fleurs ou des victuailles aux bureaucrates de la ville, dès le petit matin [16].
Fraternisation avec « l’ennemi » selon CANVAS
Serbie (2000)
Ukraine (2004)
Kirghiztan(2005)
Tunisie (2011)
Egypte (2011)
Iémen (2011)
Plusieurs jours avant le début de leur mobilisation, les activistes de l’OCLP ont publié sur leur site un « manuel de la désobéissance », où ils expliquent, entre autres, la philosophie de la désobéissance civile et les règles de la protestation non-violente et émettent des recommandations en matière de nourriture et d’habillement ainsi que de judicieux conseils en cas d’arrestation [17].
Cette liste d’instructions du « parfait manifestant » est assez complète mais loin d’être originale. On se souvient que les activistes égyptiens du « Mouvement du 6 avril » (qui ont été des acteurs majeurs dans la chute de Moubarak) en avaient publié une similaire sur leur site. Elle était intitulée « Que vas-tu faire si tu es arrêté ? » [18]. Est-il nécessaire de rappeler que de nombreux militants du Mouvement du 6 avril ont été formés par CANVAS [19] ?
Logo d’Otpor (Serbie 2000)
Logo du Mouvement du 6 avril (Égypte 2011))
Le poing d’Otpor affiché à Hong Kong (Photo prise à Hong Kong le 1er juillet 2014 par Mai Perkins)
Chose rare dans un tel contexte : Srdja Popovic en personne a encensé le mouvement OCLP dans un article publié sur Slate, qualifiant ses membres de « manifestants les plus polis du monde » [20].
« Ce ne sont pas des jeunes idéalistes ; ce sont des opérateurs politiques avertis qui comprennent les secrets de la réussite de la résistance non-violente » affirme-t-il. Avant d’ajouter : « Avec son adhésion fidèle à la non-violence « Occupy central » a montré de la préparation, de la formation et de la discipline, une combinaison qui est très rare chez beaucoup de mouvements ».
Serait-il possible que Popovic soit impliqué dans cette formation ? Cela semble très plausible à en en croire son soutien inconditionnel à l’OCLP et la très large couverture des activités de ce mouvement sur sa page Facebook [22] ou sur celle de CANVAS [22]. Cela paraît encore plus évident si on en juge par la méticuleuse organisation des manifestations et leur mode opératoire. Même le changement du nom du mouvement de OCLP à une dénomination plus « canvassienne » comme « révolution des parapluies » n’est pas fortuite.
Logos de la « révolution des parapluies »
Le quatrième et primordial ingrédient dans ce type de « révolution » relève du volet financier.
En effet, malgré leurs apparences, ces protestations de masse ne sont ni spontanées, ni intrinsèquement autochtones. Elles sont le fruit d’une longue et minutieuse préparation et bénéficient d’un généreux financement d’organisations spécialisées dans l’« exportation » de la démocratie ainsi que d’une dithyrambique couverture médiatique d’envergure planétaire. Nul ne peut être contre la vertu, n’est-ce pas ?
Des jeunes, pour la plupart étudiants, qui manifestent « pacifiquement » et « amoureusement » contre la « dictature » afin de réclamer de la justice et de la démocratie. Quoi de plus noble ?
Mais, comme dit le proverbe, « la vertu, c’est comme les dents : plus c’est blanc, plus c’est faux ».
Le financement du virus
Intéressons-nous donc au financement des différents organismes qui gravitent autour de la dissidence hongkongaise ainsi que de leurs leaders.
Lorsqu’un groupe contestataire pro-démocratie prônant de surcroît la non-violence est en confrontation directe avec un gouvernement autoritaire, il y a inévitablement apparition d’un organisme « droitdelhomiste » dans le décor. À Hong Kong, ce rôle incombe au « Hong Kong Human Rights Monitor » (HKHRM).
Dirigé par Yuk-kai Law, le HKHRM est régulièrement subventionné par la NED. En effet, les rapports annuels de la NED montrent, qu’entre 2007 et 2013, cet organisme de défense des droits de l’Homme a reçu environ un million de dollars en financement direct [23].
En plus de son étroite relation avec la NED, le directeur du HKHRM est en contact avec Freedom House comme en témoigne son séjour aux États-Unis, tous frais payés par cet organisme [24]. La présence active de Freedom House à Hong Kong a aussi été observée par des spécialistes des relations sino-américaines [25].
Les rapports de la NED dont il a été question précédemment mentionnent également des montants octroyés au NDI en 2009 et 2012 « pour favoriser la sensibilisation à l’égard des institutions politiques de Hong Kong et le processus de réforme constitutionnelle et de développer la capacité des citoyens – en particulier les étudiants universitaires – de participer plus efficacement dans le débat public sur les réformes politiques […] ». Les montants cumulatifs pour ces deux années dépassent les 700 000$ [26].
Sur le site du NDI, on peut lire à ce propos : « Entre 1997 et 2011, le NDI a organisé une série de missions à Hong Kong afin d’envisager l’élaboration du cadre des élections à Hong Kong, le statut d’autonomie, l’État de droit et les libertés civiles ainsi que les perspectives et les défis de la démocratisation » [27].
Benny Tai est cofondateur du mouvement OCLP et un de ses leaders. Professeur agrégé de Droit à l’université de Hong Kong, il est aussi membre du Conseil de gestion du « Centre for Comparative and Public Law » (CCPL) de la même université.
Selon le rapport d’activités 2011-2013, le CCPL est un centre qui a pour but de « faire progresser les connaissances sur le droit public et les questions des droits de l’homme » [28].
La relation entre ce centre et le NDI est mentionnée dans le même rapport : « Le CCPL a reçu un financement de la National Democratic Institute (NDI) pour concevoir et mettre en œuvre un portail en ligne sur les modèles du suffrage universel où le grand public peut discuter et fournir des commentaires et des idées sur la méthode du suffrage universel qui est la plus appropriée pour Hong Kong ».
Pour lire la suite de l’article et consulter les nombreuses références de l’article :
http://www.michelcollon.info/Hong-Kong-un-virus-sous-le.html?lang=fr
Article initialement publié par le quotidien algérien Reporters, le mardi 14 octobre 2014