Froid dans le dos : Les robots-tueurs

Interrogé sur France Culture, un représentant d’Human Rights Watch estimait hier que d’ici 20 ans les armées des pays riches auraient remplacé 30% de leurs soldats par ces machines

Pas encore d’actualité mais déjà redoutés

Dénués d’émotions et de peurs, les robots-tueurs pourraient devenir l’arme absolue dans un futur proche, à tel point que l’ONU se penche déjà sur la question. FRANCE 24 fait le point avec un spécialiste de cette technologie d’avant-garde.

Ils ne sont encore que fiction mais on se penche déjà sur une possible interdiction. Du 13 au 16 mai, le tout premier congrès international sur les robots-tueurs se déroule au siège des Nations unies à Genève, en Suisse. Ce rendez-vous informel, qui réunit un large panel d’experts en défense et en armement, a lieu dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (CCA), adoptée en 1980.

Au centre des discussions : le problème que posent les robots-tueurs en termes d’éthique de la guerre. Depuis deux ans, une cinquantaine d’ONG, Human Rights Watch en tête, mènent une véritable campagne d’information sur le sujet auprès de l’opinion et font pression sur les pouvoirs publics pour encadrer les “systèmes d’armes létaux autonomes” d’ici à la fin 2014. “À la différence de toutes les armes existantes, ces robots auront le pouvoir de déterminer le moment de prendre une vie humaine”, prévient HRW dans un document très à charge contre cette technologie.

Comment agissent les robots-tueurs ? Dans quelles circonstances sont-ils utilisés ? Où en sont les recherches en la matière et qui prévoit de les utiliser ? FRANCE 24 fait le point avec Emmanuel Remy, spécialiste des questions de défense.

FRANCE 24 : Comment fonctionnent les robots-tueurs ?

Emmanuel Remy : On peut définir comme robot-tueur tout système qui a l’autonomie d’interprétation d’une situation, d’analyse du risque et de prise de décision. Entre son capteur de danger et l’action réalisée, il existe tout une chaîne qui repose sur une sorte d’intelligence artificielle.

Aujourd’hui, lorsque l’on parle de robot-tueur, la connotation est surtout terrestre car on imagine une machine à forme humaine. Mais ce type de système concerne tout aussi bien les airs et les mers. J’ajouterais aussi qu’il concerne fortement le cyberespace. C’est même là qu’il est le plus à craindre dans l’immédiat car en agissant sur le web, le robot-tueur peut infliger des pertes financières (à défaut de pertes humaines) pouvant se chiffrer en milliards. Imaginez un robot-informatique capable de paralyser une ville entière, de neutraliser une centrale nucléaire ou de porter atteinte à une grande entreprise internationale. C’est, à mon sens, une menace bien plus concrète que les robots-tueurs qui appartiennent encore à un futur lointain.

F24 : Les robots-tueurs ne sont donc pas réellement d’actualité ? Pourquoi font-ils autant débat ?

E.R. : C’est avant tout une question d’éthique. Recourir à des robots-tueurs durant la guerre des tranchées ou le Débarquement en Normandie aurait été beaucoup plus simple car on avait des ennemis facilement identifiables qui se faisaient face dans un lieu donné. Aujourd’hui, les soldats n’ont plus affaire au même contexte. Nous ne sommes plus véritablement dans de grands conflits mondiaux où se déchirents les armés des pays engagés mais plutôt dans des situations de missions secrètes ou d’opérations de terrain en petits groupes. Et l’ennemi que l’on trouve en face peut très bien se trouver être un jeune fermier afghan qui nourrit ses bêtes le matin et prend la kalachnikov l’après-midi…

Ensuite, il existe un vrai frein psychologique. De nos jours, nous sommes capables de laisser un pilote automatique faire décoller ou atterrir un avion de ligne, mais on ne le fait pas, car le public n’est pas prêt, il a besoin d’un humain aux commandes. C’est pareil avec des soldats-robots.

Enfin, ce qui dérange chez les robots-tueurs, c’est l’image de “RoboCop” qui leur colle à la peau. Quand on parle de robot-tueur aujourd’hui, il ne faut pas imaginer un robot humanoïde, le fusil-laser au poing. En revanche, des systèmes robotisés existent déjà. C’est le cas des missiles qui en fin de trajectoire sont capables d’identifier une cible préalablement désignée. Autre exemple : les systèmes défensifs avec une ouverture de feu automatique lorsqu’une cible pénètre un territoire déterminé. En Israël, ce genre de dispositif défensif a été baptisé “Dôme de fer”. Il agit comme un parapluie qui se déploie automatiquement lorsque des tirs de roquettes en provenance des territoires palestiniens sont décelés.

Bref, on se dirige inéluctablement vers des armées qui possèdent des systèmes avec des degrès d’autonomie de plus en plus avancés – ce qui explique pourquoi ONG et pouvoirs publics se penchent sur la question – mais le vrai robot-tueur qui pense et interprète de façon déshumanisé, on en est loin.

F24 : Selon vous, quand les robots-tueurs entreront-ils en service ?

E.R. : D’un point de vue purement technologique, on voit bien que les robots font de plus en plus partie de notre quotidien. Ce n’est pas une évolution propre au principe guerrier. Du point de vue militaire, je pense que le robot-tueur ne sera pas déployé avant deux ou trois générations, dans des crises adaptées. Il faut que l’on s’y prépare culturellement et politiquement car ça va définitivement arriver.

D’ailleurs, dans un registre similaire à celui des robots-tueurs, on a déjà les drones militaires qui sont de plus en plus utilisés, en dépit des questions éthiques qu’ils posent eux aussi.

F24 : Justement, le débat sur les drones peut-il avoir une influence sur celui des robots-tueurs ?

E.R. : Oui, tout à fait. Ce que l’on reproche au drone, c’est d’être un engin sans pilote qui lâche des bombes à tout va. C’est également ce qui bloque chez le robot-tueur sauf que le drone, lui, reste toujours commandé par un individu qui décide ou non de l’emploi des armes. Il y a toujours une interprétation, un feu vert humain avant de tirer. Donc si les gouvernements parviennent à légiférer sur les drones, les robot-tueurs s’imposent comme l’étape suivante.

Source : France24