« On ne réduira pas les normes d’exposition aux ondes électromagnétiques »
Au Sénat, le PS détricote la loi sur les ondes au profit des lobbies
La proposition de loi sur les ondes électromagnétiques est en train d’être complètement transformée au Sénat, au profit d’un texte qui correspond point par point à ce que réclament les lobbies de la téléphonie mobile.
Après un premier passage chaotique à l’Assemblée nationale, la proposition de loi sur les ondes électromagnétiques est en train de subir une nouvelle cure d’amaigrissement au Sénat.
Laurence Abeille, la députée EELV qui a déposé la loi n’en revient pas : « On est furieux de ce qui s’est passé au Sénat. Le sénateur PS Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, s’est fait nommer rapporteur du texte à la place d’un sénateur écologiste ! » C’est un manquement à tous les usages, car la loi ayant été proposée par un parlementaire d’EELV, c’est logiquement un des membres de ce groupe qui aurait dû être nommé comme référent du texte au Sénat.
« Le procédé est très cavalier », déplore Laurence Abeille. D’autant plus que le texte sera débattu en séance le 17 juin, dans la « niche parlementaire » spécialement réservée au groupe écologiste pour mettre à l’agenda les textes qu’il souhaite (chaque groupe politique dispose de telles niches). Mais avant même d’être débattu en séance plénière, le texte a été largement modifié par la commission des affaires économiques du Sénat.
– Laurence Abeille –
Nier le lien entre ondes et santé
« La loi a été vidée de sa substance », dit Laurence Abeille. Même si elle avoue qu’avec Daniel Raoul comme rapporteur, elle s’y attendait : « Il m’avait dit qu’il ne voulait pas que la proposition de loi soit acceptée comme telle. »
« Il fallait remettre de l’ordre dans ce texte, c’est un brouillon qui nous est arrivé », répond le sénateur PS. Principale modification du texte, il a supprimé l’un des termes clés de la proposition de loi d’origine. Alors que le texte de Laurence Abeille proposait une « modération » de l’exposition aux ondes, sa nouvelle version parle de « sobriété ».
Daniel Raoul s’explique : « Modération signifie réduction de l’exposition aux ondes. Or il faut être cohérent, aujourd’hui on veut couvrir les zones blanches et grises et augmenter la couverture du territoire, notamment avec le développement de la 4G. La sobriété permet au contraire d’augmenter les installations. »
Etienne Cendrier, porte-parole de l’association Robins des Toits, confirme : « Il m’a reçu dans son bureau et m’a expliqué que la modération, il n’en est pas question, on ne réduira pas les niveaux d’exposition. » Selon le militant, le terme de sobriété est surtout bien pratique pour les opérateurs télécoms. « Cela peut signifier autant la baisse de l’exposition du public que la baisse de ses inquiétudes par rapport aux ondes », déplore-t-il.
Ce changement de terminologie se traduit d’ailleurs dans d’autres dispositions de la loi, selon Laurence Abeille. « Tous les dispositifs qui devaient permettre de limiter l’exposition aux ondes disparaissent », regrette la députée. Le nouveau texte « nie le lien entre ondes et santé », s’inquiète le sénateur écolo Joël Labbé, qui aurait dû être désigné rapporteur de la proposition de loi dans la chambre haute.
Les enfants ne seront pas protégés
Exemple avec la définition des point atypiques, ces zones où l’exposition aux ondes est plus importante qu’ailleurs. Elle est « ramollie », s’indigne Etienne Cendrier. Il invite à comparer les définitions dans le texte sorti de l’Assemblée nationale avec ceux qu’on trouve dans la nouvelle version, corrigée par la commission des affaires économiques du Sénat.
« Les points atypiques sont définis comme les points du territoire où le niveau d’exposition du public aux champs électromagnétiques dépasse sensiblement la moyenne observée à l’échelle nationale », indique le premier texte.
« Les points de mesure, situés dans les lieux de vie fermés, où les expositions du public aux champs électromagnétiques sont les plus fortes à l’échelle nationale et peuvent être réduites, tout en garantissant la couverture et la qualité des services rendus », précise la version corrigée.
L’interdiction du WIFI dans les établissements accueillant des enfants âgés de moins de trois ans, c’est-à-dire crèches et écoles maternelles, est cependant maintenue. En revanche, il n’est plus question de poser des restrictions dans les écoles primaires.
De même, le premier texte prévoyait d’interdire la publicité à destination des enfants de moins de quatorze ans pour les objets connectés comme les tablettes. Une mesure similaire à celle déjà en place pour les téléphones portables. La disposition est finalement supprimée.
« C’est le seul changement de fond, estime Daniel Raoul. On ne peut pas interdire la publicité pour les objets radioconnectés alors que le ministère de l’éducation nationale développe l’école numérique et encourage l’utilisation des tablettes. »
Les maires n’ont plus obligation d’informer
Pourtant Etienne Cendrier note d’autres reculades, comme la reconnaissance de l’électro-hypersensibilité. Alors que le texte sorti de l’assemblée prévoyait un rapport du gouvernement sur le sujet, désormais elle est simplement signalée comme sujet d’étude pour l’Agence nationale des fréquences.
Le rôle des maires, acteurs clés pour organiser la concertation en cas d’installation d’une antenne relais, n’est lui aussi plus envisagé de la même manière. Ils sont informés des projets d’antennes relais, mais ne sont plus contraints d’en informer leurs administrés par une information « claire et transparente ».
Face à cette réécriture de son texte, Laurence Abeille ne mâche pas ses mots : « Les lobbys ont fait leur œuvre, tout le travail que j’avais pu faire a été laminé par une offensive conservatrice. »
Selon elle, la position défendue par Daniel Raoul rejoint celle des opérateurs, qui s’expriment dans un communiqué de presse des organisations professionnelles des télécoms : « Les entreprises du numérique s’alarment du paradoxe d’une proposition de loi qui entend multiplier les obstacles au déploiement des réseaux mobile (…), au développement des objets connectés et d’une manière générale qui est source de décroissance et encourage la défiance face au numérique mobile et sans fil, sans fondement scientifique. »
Les opérateurs « ne veulent pas » d’une loi
Dans un communiqué en réponse, l’association Robins des toits constate ironiquement que « les représentants de la Fédération Française des Télécoms sont venus au Sénat rendre une visite sans doute amicale, la veille de l’examen de la proposition de loi par la Commission des Affaires Économiques du Sénat. »
« Nous avons vu tout le monde, y compris les associations », riposte Daniel Raoul. « Mais notre audition s’est très mal passée, témoigne Janine Le Calvez, présidente de l’association Priartem, qui milite aussi pour une limitation de l’exposition du public aux ondes. Il a été odieux, nous a à peine écoutés et montré que son opinion était déjà faite. »
Laurence Abeille et les ONG rappellent également que le sénateur PS est l’auteur d’un rapport daté de 2002, déjà très suspicieux quant aux effets des ondes sur la santé. Parmi les membres du comité de pilotage de ce rapport, le scientifique Bernard Veyret a été épinglé pour conflit d’intérêts : il est membre du comité scientifique de Bouygues Telecom.
Pour Etienne Cendrier, l’affaire est claire : « Le texte avait déjà été bloqué à l’Assemblée nationale par un artifice de procédure inédit. Au bout d’un an, il est enfin débattu et voté en première lecture. Maintenant c’est au Sénat qu’il n’est pas question que cette loi passe. L’industrie ne veut pas qu’on légifère sur le sujet. »
Mais les parlementaires écologistes ne s’avouent pas pour autant battus. Lors du passage en séance, le sénateur Joël Labbé compte bien déposer de nombreux amendements. « Il faut réintroduire le concept de modération, qui est essentiel », insiste-t-il. Pêle-mêle, il espère aussi remettre dans la proposition de loi « les procédures de concertation des populations, la prise en compte des personnes électro-hypersensibles, la protection des enfants », etc.
Laurence Abeille en appelle elle à la ministre de l’écologie Ségolène Royal pour sauver sa loi. « Lors de son audition en commission développement durable, elle s’était engagée à soutenir le texte », rappelle la députée.
Enquête de Marie Astier pour : http://www.reporterre.net/spip.php?article6013