Coopérative ou pas une banque reste ce qu’elle est : Une banque
Parfois les apparences sont trompeuses. Et lorsque des banques se présentent comme éthique et solidaire, on découvre qu’elles financent des partis politiques comme l’UMP et que leur activité de crédit ne diffère pas tellement des autres. Et si l’on se passait de crédit ?
Rien n’était laissé au hasard. Je me trouvais devant la fleur d’une magnifique plante carnivore, aboutissement de millions d’années d’évolution dans le seul but de paraître ce qu’elle n’était pas. J’étais dans le bureau d’une conseillère du Crédit Coopératif pour ouvrir un compte courant.
Sur son bureau, dispersés négligemment, des dépliants de diverses ONGs, Agir contre la faim, vous voyez le genre. Au mur, un calendrier de Médecins sans frontière, ou WWF, ou je ne sais quelle autre admirable organisation.
Tout était fait pour séduire, et tout sonnait creux. Je me sentais un peu comme dans un décor hollywoodien où les maisons ne sont que des façades en bois, peintes avec de fausses fenêtres. Le lecteur s’en doute, j’étais très mal à l’aise.
Après avoir écouté la messe de ma « conseillère », je signai rapidement les documents nécessaires à mon absolution bancaire, à apaiser ma conscience, qui me faisait culpabiliser d’avoir passé quatre années à la BNP, et m’échappai rapidement de ce lieu criant le faux.
Mon malaise devint nausée lorsqu’en sortant de ce bureau suspect, j’interceptai – bien indiscrètement – une conversation au guichet. Le ton commençait à monter entre un homme et la guichetière. « – S’il vous plaît, j’ai besoin de cet argent pour m’acheter à manger ! Je vous demande juste une avance sur la fin du mois ! »
L’homme semblait effectivement dans la détresse. Ses habits étaient dépareillés et usés. Mal rasé, il avait la mine d’un vieil homme malmené par la vie, attendant son RSA ou sa pension de retraite pour faire quelques courses. Son interlocutrice lui répondit d’un ton sec et hautain : « – Monsieur, nous ne donnons pas de l’argent comme ça. Il y a des règles. Nous sommes une banque. Sortez s’il vous plaît. »
Voilà l’expérience que j’ai eue d’une banque solidaire, le Crédit Coopératif. J’en suis toujours client, en attendant de trouver mieux. Banque sociale, banque solidaire ? Je ne sais pas si tous ces beaux oxymores peuvent devenir réalité, mais je lance un appel aux internautes francophones pour trouver en urgence des traductions françaises pour les termes « greenwashing » et « socialwashing ». Ecologitose, lavage social, … ?
Une finance trop solidaire ?
L’année dernière, une information dans un article de Rue89 a attiré mon attention. L’article parle des difficultés financières rencontrées par l’UMP pour payer ses dettes. « Si elle veut garder son QG, l’UMP a donc un peu plus de quatre ans pour rembourser 55 millions d’euros, sans compter les intérêts. Si elle n’y parvient pas, les quatre banques concernées se partageront l’immeuble, à proportion de leurs prêts respectifs : – (…) – Crédit Coopératif : 5 millions. »
Quelle surprise ! J’ouvre donc sur le site du Crédit Coopératif voir plus précisément ce qu’ils appellent « financer l’économie solidaire », et vais sur la page « Une gestion raisonnable ». Les informations confirment que le Crédit Coopératif est une banque absolument éthique et solidaire : « Le Crédit Coopératif accompagne des associations, fondations, congrégations, syndicats… grandes ou petites structures, qu’elles agissent localement ou aient une vocation internationale, elles font la preuve de leur utilité, dans tous les secteurs d’activité. Elles sont bien souvent proches de l’intérêt général. »
L’auteur de ce texte semble avoir oublié de citer, après les syndicats, les partis politiques. Après tout, pourquoi pas ? Le Front National aussi a certainement besoin de temps à autre d’emprunter, il faut bien que quelqu’un s’y colle… A moins que ce prêt soit un crédit pour le logement ?
L’UMP était alors dans une situation difficile, on comprendra qu’ils avaient besoin d’aide pour se loger, tout comme les sans-abri et sans-domicile. Heureusement qu’il y a une banque sociale pour financer l’UMP !
Voici la ligne directrice du Crédit Coopératif en matière de crédits et investissements : « En cohérence avec sa Déclaration de Principes, le Crédit Coopératif finance les secteurs et les projets résolument ancrés dans l’économie réelle, qui apportent des réponses utiles à la construction d’une société durable, respectueuse des personnes et de leur environnement, et qui sont jugés viables d’un point de vue économique.
Si son champ d’activité reste par nature ouvert, il a identifié certains secteurs sensibles pour lesquels des exigences minimales seront appliquées, et d’autres qui s’avèrent trop éloignés de ses valeurs ou qui nécessitent un niveau d’expertise technique élevé pour analyser leurs impacts sur la société et l’environnement et discerner les pratiques acceptables.
Le Crédit Coopératif fait le choix de ne pas s’y investir, pour mieux se concentrer sur son cœur de métier. En application de ces principes, des lignes directrices ont été définies : Orientations en matière de crédits et d’investissements. »
Heureusement, le champ d’activité de la banque « reste ouvert ». Et puis, il est vrai que le programme de l’UMP est reconnu par tous comme apportant « des réponses utiles à la construction d’une société durable, respectueuse des personnes et de leur environnement ». J’épargne au lecteur le triste déferlement de railleries qui me vient à l’esprit.
J’espère que Pierre Rabhi et son association Terre et Humanisme savent bien ce qu’ils font en s’associant avec le Crédit Coopératif.
Ce mois-ci, la NEF devrait voter lors d’une Assemblée Générale Extraordinaire la création de sa banque. Jusqu’à présent dépendante du Crédit Coopératif pour toutes ses opérations bancaires, la NEF aura alors le droit d’exercer une activité et des opérations bancaires, à l’instar de toute autre banque. Il reste à espérer que dans son projet de banque éthique, la NEF saura éviter les pièges dans lesquels est tombé le Crédit Coopératif…
Financer un projet sans banque et sans crédit
Le crédit tel qu’il est pratiqué aujourd’hui est une maladie de l’économie qui se répercute dans toutes les sphères de la société.
Plus que le manque de logements, le crédit est responsable de l’augmentation exponentielle des prix de l’immobilier. Si je ne veux pas perdre d’argent, je dois vendre mon bien au moins au prix initial d’achat plus les intérêts que j’ai payés à la banque pour mon crédit, ce qui peut augmenter jusqu’à XX% le prix initial du bien à chaque cycle d’achat vente.
Nous vivons dans la seule période de l’histoire où les hommes doivent s’endetter pendant 20 ou 30 ans, c’est-à-dire la majorité de leur vie active, pour payer leur logement. Et pendant toute cette période, je dois payer l’échéance de ma banque tous les mois sans faillir, sous peine de me faire saisir mon bien. Le moindre problème de rentrée d’argent, la moindre période de réorientation ou d’inactivité professionnelle peut se révéler fatal.
Actuellement, je mets sur pied un projet de ferme en agriculture vivrière. Et pour ce faire, je n’ai pas plus l’intention de me financer auprès du Crédit Coopératif que d’une autre banque.
Pourquoi ? Pour ma ferme, si j’emprunte, je devrai être toujours plus productif, plus rentable, vendre toujours plus, etc., pour être en mesure d’honorer ma signature.
Je devrai non seulement générer un revenu de subsistance pour moi-même, mais aussi payer le crédit et ses intérêts, tout cela dès le lancement de ma ferme ! Dans ce genre de situation, la rentabilité et la productivité se font au détriment de la qualité de mes produits et de mes principes éthiques.
Alors, pour monter mon projet, je m’auto-finance. J’ai réuni une petite somme d’argent en travaillant. La famille et les proches peuvent aussi aider, pas seulement financièrement : coup de main, soutien psychologique, prêt de matériel, transmission de savoirs.
Plutôt que de faire un crédit et de lancer un projet sur les chapeaux de roues, avec des objectifs herculéens et une rentabilité à court terme, je préfère rester modeste et commencer petit.
J’utilise la dernière méthode à la mode : l’effectuation, comme l’appellent les gourous du management. Telle que je l’ai comprise, cette méthode consiste à faire en fonction des opportunités et des moyens du bord. En d’autres temps, on l’a appelée le « système D », ou encore la démerde. On a mis tout ce temps pour découvrir que beaucoup d’entrepreneurs qui réussissent suivent une méthode aussi évidente !
Tout ce qui est grand dans ce monde a un jour commencé petit. Même Reporterre ! Et quand on est petit, on a besoin de petites sommes d’argent, que l’on peut gagner soi-même en travaillant, puis en touchant le chômage. Oui, le chômage, ce méchant loup à abattre, est un excellent moyen de lancer un projet alternatif.
Pour ceux qui culpabiliseraient, je présuppose qu’un projet « alternatif » est bénéfique sur le long terme à la société (par exemple, mieux nourrir, mieux vivre, moins de pollution, etc.), remboursant alors indirectement les allocations perçues.
Si tout se passe bien, le projet pourra grossir, progressivement et dans des proportions raisonnables, en fonction de l’argent qu’il aura généré. On évitera ainsi de contribuer à l’enrichissement de nos chers banquiers et de prendre beaucoup de risques, tout en économisant de l’argent.
Car en plus de payer des intérêts monstrueux à la banque, si mon projet venait à échouer, je serais alors condamné à payer mon crédit jusqu’à ce qu’il soit totalement remboursé. Sans crédit, je suis libre. Demain, je peux arrêter ma ferme, prendre deux années sabbatiques pour faire le tour du monde, changer de métier, disparaître. Personne ne viendra me demander de comptes.
Aujourd’hui, je ne risque rien et j’entends pousser les radis.
Source : William Hirigoyen via un courriel à Reporterre
Photos :
Chapô : Broca et Wernicke
Siège UMP : Rue89
Radis : Mon potager carré
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SOURCE DE L’ARTICLE : http://www.reporterre.net/spip.php?article5811