Histoire de l’hypnose publique : « Vive la crise »

40 ans de formatage et de manipulations dans les médias.. La pédagogie de la soumission

Pourquoi les français sont-ils si amorphes devant une réalité économique qui dégrade leur vie quotidienne année après année ? Mais enfin, pourquoi une telle passivité, impensable dans les années 60 ?

Tout à commencé vraiment il y a 40 ans en 73 avec le fameux « choc pétrolier » qui marque le début de la fin des 30 glorieuses. Là, on a commencé à nous expliquer que cette catastrophe économique mondiale aurait des conséquences inévitables sur le chômage, la montée des prix et qu’en petits citoyens responsables et obéissants il fallait commencer à se serrer la ceinture. Le processus de dégradation de tous les avantages sociaux et économiques qu’avait mis en place le Conseil de la Résistance d’après-guerre était enclenché.  Le lent démantèlement d’une classe ouvrière prompte à réagir, l’éclatement des syndicats trop politisés, l’anesthésie progressive des étudiants partagés entre New Age et « rêve américain »  et la multiplication  du poste de télé dans toutes les couches de la population ont eu peu à peu raison de la réactivité de la population.

Avec cette boite à créer des mensonges de plus en plus raffinés et sournois au fur et à mesure que les technologies du son et de l’image progressaient, la mondialisation présentée comme une fatalité incontournable s’installait dans l’esprit du téléspectateur fasciné.

Le pouvoir financier mondial allait imposer avec des moyens inédits sans aucune vergogne ses propres règles d’enrichissement avec l’aide de ceux dont ils étaient et sont les propriétaires, les médias.

Cette analyse à très gros traits,  pourrait apparaître comme celle d’une vieille gauchiste paranoïaque 🙂 mais il y a des preuves :

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Le 22 février 1984, Antenne 2 diffuse une émission surprenante par sa violence idéologique. Son objectif est de faire comprendre que les services publics, les protections sociales et l’État redistributeur des richesses, c’est ter-mi-né ! Christine Ockrent annonce au journal télévisé de 20 heures qu’un Conseil des ministres exceptionnel a pris des mesures d’urgence, dont la baisse de 20 % des allocations des chômeurs ou l’établissement d’une liste de médicaments qui ne seront plus remboursés. Le téléspectateur est sous le choc : ces mesures sont en conformité avec le tournant libéral pris sous le masque de la « rigueur » et de la « désinflation compétitive » par le gouvernement socialiste depuis 1983.

Yves Montand apparaît et annonce que «ce flash est un faux. Vous avez eu peur, et c’est normal car vous vous y attendiez !». Selon lui la France connaît aujourd’hui «une véritable mutation» et doit entrer « dans un monde nouveau». Il se charge donc avec enthousiasme et cynisme d’expliquer les raisons de la crise de manière « aussi passionnante qu’un film ».

Yves Montand montre, reportages à l’appui, que les privilèges des Français sont tellement intégrés dans la vie quotidienne qu’ils paraissent « naturels ». Après la demande d’un treizième mois de salaire, d’un quatorzième, et pourquoi pas d’un dix-septième : toujours plus ! Or ces privilèges, « c’est fini ! » proclame avec vigueur Yves Montand. Michel Albert est aussi présent. C’est un oligarque comme les aime le libéralisme avec des fonctions dans la finance combinées avec du pouvoir dans les institutions européennes et dans les médias, et enfin au cœur de l’État avec la responsabilité de la planification dans le développement de l’économie. Il n’hésite pas à parler d’un « retournement historique, l’Europe commençant à glisser vers le sous-développement ». La violence de la charge étant jugée insuffisante, il menacera même l’Europe, si les mesures drastiques ne sont pas prises, « de devenir une sorte d’Afghanistan » !

Les experts libéraux de droite comme de gauche, assumant désormais la liberté totale des mouvements du capital, ponctuent de leur savoir cette émission, comme Denis Kessler, diplômé d’HEC et futur numéro deux du Medef, ou Alain Minc, inspecteur des finances après être sorti major de sa promotion de l’ENA, qui était en 1984 directeur de la compagnie Saint-Gobain. Ce dernier personnage est emblématique de ces libéraux qui peuvent conseiller les présidents de la République de la gauche libérale ou de la droite extrême : François Mitterrand ou Nicolas Sarkozy.

La conclusion d’Yves Montand : « Notre bateau tangue, il menace de couler. Que le gouvernement soit de droite ou de gauche, on ne peut plus gouverner ce bateau. Les recettes politiques ne marchent plus. Toutes les issues sont bloquées. Les idéologies, c’est de la blague, ça ne sert plus à rien. » Yves Montand présente en apothéose une rencontre idyllique entre Reagan et Thatcher, certainement dépourvus de toute idéologie, et un reportage-fiction dans lequel les ouvriers d’une entreprise préfèrent se mettre à temps partiel avec un demi-salaire plutôt que d’être confrontés au chômage.

L’histoire bégaie. Les spéculateurs ont mis en péril la finance mondiale. Les travailleurs devront payer les pots cassés. Après Thatcher, ils ont eu Blair. Après Sarkozy, nous avons Hollande. Il va falloir que l’histoire parle clair.

Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon

http://www.humanite.fr/politique/vive-la-crise-520519

et aussi : http://www.regards.fr/web/vive-la-crise-une-fable-de-trente,7497