Réflexion pour se changer : De l’opposition à la non-violence
Ce sujet mérite toute notre attention dans une société où les motifs de colère et de protestation sont tellement nombreux et où la tentation de la violence est importante (et compréhensible).
Lorsque l’on a expérimenté et compris que nous renforçons ce à quoi nous nous opposons en levant de plus fortes résistances encore, il devient important d’envisager un autre levier de protestation.
Le texte est un peu long, mais les arguments sont développés avec soin et m’ont semblé intéressants, et je me plais à penser que vous aimez réfléchir… 🙂
A mettre en favori et à réétudier (ou contredire) en toute tranquillité.
Introduction et définition
La non-opposition et la non-violence sont fondamentalement liées. Car l’opposition n’est jamais loin de la violence, tout comme, par exemple, la drogue n’est jamais loin de la dépendance. Et l’opposition, comme la violence, impliquent que l’on considère l’interlocuteur sous l’angle du rapport de force. Il est probable que l’on choisisse la non-violence avant de choisir la non-opposition. Mais je pense que l’une ne va pas sans l’autre. Et dès lors, je ne pense pas que l’on puisse se poser des questions sur les limites de l’opposition, si l’on ne s’est pas d’abord positionné en faveur de la non-violence.
D’autre part, s’y intéresser n’impose en aucune façon de pratiquer. L’intérêt précède la pratique, mais n’y mène pas forcément.
Bien que les deux concepts soient assez différents, ils ont de nombreux points communs et, dans le texte qui suit, il arrive que certains paragraphes mêlent les deux notions au travers de certains exemples.
Avant d’entrer plus avant dans le développement, et bien qu’il s’agisse d’un terme que tout le monde connaît et utilise, il n’est pas inutile de redonner la définition du mot opposition. Celle du Petit Robert semble assez appropriée. Le dictionnaire en donne plusieurs. J’ai choisi de ne donner que la première, celle qui nous intéresse ici, et qui définit l’opposition entre personnes :
«Opposition : Rapport de choses opposées qui ne peuvent coexister sans se nuire; de personnes que leurs opinions, leurs intérêts dressent l’une contre l’autre. => antagonisme, combat, désaccord, heurt, lutte. Opposition de deux adversaires, de deux rivaux. => discorde, dissension, dissentiment, hostilité, rivalité.
En opposition : Entrer, être en opposition avec quelqu’un, sur un point particulier => conflit, contestation, dispute. »
La cinquième définition, donnée par le Petit Robert, parle de l’action d’opposition. Bien qu’elle soit proche de la définition ci-dessus, qui oppose elle, des personnes, je prends pour parti de ne pas intégrer cette partie de définition dans le présent texte, car l’opposition de laquelle nous parlerons concerne bien plus l’opposition entre personnes; et les actions de refus, de non-coopération, de résistance, n’impliquent pas forcément, nous le verrons, de s’opposer à des personnes.
Ce que nous considérerons sera donc surtout l’attitude mentale d’opposition face à des personnes.
Opposition et désaccord
Il existe une nuance fondamentale entre être en désaccord et s’opposer. Dans le désaccord, il y a le constat d’une différence, dans l’opposition, il y a l’inacceptation de cette différence. Et la solution aux problèmes que nous rencontrons, est plus facile à obtenir ou à découvrir quand on est dans un état d’esprit d’acceptation. En d’autres termes, le comportement d’opposition ne facilite pas la résolution des problèmes. Nous verrons même que dans la plupart des cas, il est un obstacle ou un frein.
La non acceptation mène au rapport de force, et donc :
à l’escalade;
à des comportements d’autorité et de soumission;
à l’injustice;
à la violence;
à l’intolérance, l’irrespect, l’intransigeance;
à l’incompréhension.
Toutefois, refuser de s’opposer ne consiste pas à renier nos opinions, à être hypocrite ou à se taire et adopter l’inertie.
Etre en désaccord, sans s’opposer, ne signifie pas non plus l’absence de colère, d’indignation ou de peur, en face de certaines situations, ou de certains comportements. La différence consiste principalement à considérer nos interlocuteurs, non en adversaires, mais en partenaires, ou en partenaires potentiels. Cela implique également de lier nos émotions à nous-mêmes et non aux autres, et à lier le déclenchement de ces émotions à des faits ou comportements et non à des personnes.
Par exemple, m’indigner quand mon patron me submerge de travail implique que la décision d’augmenter la quantité de mon travail déclenche ma colère et que c’est moi-même qui suis responsable de cette émotion. En considérant les choses ainsi, je reste capable de considérer mon patron comme interlocuteur potentiel, et non comme ennemi. Cela va également me permettre, si je ne cède pas aux émotions, d’être capable de tenter de le comprendre, surtout de comprendre les raisons de sa décision, non pas en fonction de ce que je peux interpréter, mais en fonction de ce que je ferai pour les connaître véritablement, en les demandant. Cela me laissera également la possibilité d’élargir mes choix face à cette décision, voire, de négocier sans me braquer sur le refus ou sur le chantage. Les désaccords font partie de notre quotidien, mais nous ne sommes pas obligés d’opter quotidiennement pour l’opposition.
Quelles sont les situations qui éveillent nos envies de nous opposer
L’opposition peut se manifester dans tous les domaines de la vie, de façon exprimée ou non-dite, collective ou individuelle. C’est l’opposition d’une communauté face à un pouvoir institutionnel, d’un employé face à son patron, d’un enfant face à son professeur ou son parent, d’un conjoint dans le couple, d’un voisin. Cela peut aussi être l’opposition face à un inconnu qui nous vole la priorité au volant, d’un collègue ou ami avec qui nous sommes en désaccord. Ce sont toutes les situations qui peuvent mener au conflit : quand on n’est pas d’accord; quand on ne peut pas accepter une situation; ni se laisser faire; quand on veut se défendre; quand nous considérons avoir raison; et que nous voulons imposer nos vues à nos adversaires.
Nous sommes dès lors dans un rapport de force. C’est nous ou eux. Et si ce n’est pas nous qui avons le plus de force, ou le plus de pouvoir, il va falloir trouver une autre moyen pour s’opposer et tenter de gagner gain de cause.
Les choix pour se tirer d’affaire ne manquent pas : l’agressivité, la violence physique, la manipulation sous forme de culpabilisation, de pression, de mensonge, de chantage ou autre. Que la réaction soit franche ou malhonnête, elle risque de porter ses fruits, mais, ni avec le consentement réel de toutes les personnes concernées, ni de manière stable, durable.
Il existe pourtant d’autres choix, qui, s’ils ne portent pas forcément des fruits dans l’immédiat, ont plus de chances sur le long terme de convaincre nos adversaires/partenaires et de manière très probablement durable ou définitive.
Quelles sont les raisons apparentes ou avouées pour lesquelles on s’oppose?
a) « Pour ne pas »
En apparence, il y a beaucoup de raisons possibles pour lesquelles s’opposer. Mais si on regarde de plus près, elles sont en général plutôt rares, car quand on répond à la question, la réponse qui vient, commence en général par « pour ne pas ». Pour que quelque chose n’arrive pas, ou pour que quelque chose n’existe plus, est un objectif bien maigre à offrir à la partie adverse. D’ailleurs, si un objectif alternatif nous était présent à l’esprit, on ne songerait probablement pas à s’opposer, mais à mettre en oeuvre cet objectif.
Il arrive parfois que deux objectifs soient en opposition, et qu’il faille contrer l’un pour faire aboutir l’autre, mais bien souvent, l’objectif de l’un, est l’absence de ce que l’autre tente de mettre en place ou de maintenir tel quel, sans proposition alternative. Et ce n’est pas pour autant que les objectifs consistant à supprimer un obstacle, soient négatifs dans leur essence, loin de là. Qui pourrait nier les bienfaits de l’abolition de l’esclavage ou de la peine de mort, par exemple? Cependant, ils le sont dans les moyens utlisés pour y accéder, et c’est cela qui mène au conflit.
b) L’esprit de vengeance
Quand nous ne sommes pas d’accord et ne comprenons pas les mobiles de l’adversaire, il est plus facile de le juger, a priori, comme incompétent ou mal intentionné, que de chercher à comprendre les raisons qui l’ont poussé à agir à l’encontre de nos intérêts.
Ne vous est-il jamais arrivé de choisir un comportement de vengeance vis-à-vis de quelqu’un en disant : « comme ça il-elle comprendra » ? C’est à dire que vous choisissez de lui faire le tort que vous estimez avoir subi de lui ou elle, dans le but qu’il-elle comprenne ce que c’est que de le subir.
Or quand quelqu’un se venge d’un tort qu’il prétend avoir subi de vous, que comprenez-vous, sinon : « que c’est un-e emmerdeur-se », « qu’il-elle n’a rien compris », « qu’il-elle est de mauvaise foi », « qu’est-ce qui lui prend? », etc. … avec parfois l’envie, une fois encore, de lui rendre la monnaie de sa pièce.
Je pense que ce genre d’attitude est vraiment très liée au type d’éducation que nous avons reçue, ce qui est expliqué plus loin dans le texte.
Dans le même cadre et par rapport à la violence, Jean-Marie Müller énonce ceci :
“C’est toujours l’autre qui a commencé. La violence est toujours une réponse à la violence de “l’autre-qui-a-commencé”. Dès lors : “Il n’a que ce qu’il mérite”; “Il n’avait qu’à pas commencer.” “C’est bien fait pour lui.” Et bien! Non, précisément, ce n’est pas bien fait : faire violence, ce n’est jamais bien faire, ce n’est jamais faire le bien. Que l’autre ait commencé, ce n’est pas une raison pour continuer. Car si l’autre a eu tort de commencer, je n’ai certainement pas raison de continuer.”
extrait du livre : « Le principe de non-violence ».
L’attitude de vengeance est souvent aveugle, elle fait entrer dans un engrenage, duquel il est de plus en plus difficile de sortir, car plus les actes de vengeance, posés de part et d’autre, s’accumulent, moins il devient accessible de pouvoir arrêter le processus. C’est avant d’entrer dans le processus qu’il faut pouvoir s’arrêter, refuser d’écouter nos impulsions, ou du moins, refuser de les transformer en actes ou en paroles, pour mieux rester lucide par rapport à ce que nous recherchons. Car est-ce bien « avoir raison », « avoir le dernier mot », ou « pouvoir se permettre de continuer quand l’autre a commencé » qui importe le plus? Est-on vraiment obligé d’accompagner la colère que suscite une situation, par de la haine, pour ceux qui l’ont créée? Car si l’on veut améliorer cette situation, ce n’est pas en méprisant ceux qui en sont à la source, qu’on obtiendra leurs faveurs. L’expression « c’est bien fait…. pour lui », qu’utilise Jean-Marie Müller, en la reliant à « faire le bien » peut nous amener à changer notre état d’esprit. Car, sans faire fi de la colère qui peut être présente, seule notre « bienveillance » pourra porter des fruits durables, même si ce n’est pas garanti.
Dénoncer pour amener d’autres à se rallier à l’opposition : l’exemple des associations militantes
Souvent, pour s’opposer, on va tenter d’accumuler la force de son côté; soit la force du nombre, soit celle de l’autorité, ou encore celle de la menace, du chantage.
Un moyen de créer la force du nombre consiste à informer pour dénoncer; c’est ce que font énormément d’associations qui travaillent dans le registre de l’opposition pour tenter de faire plier leurs interlocuteurs. Souvent leurs actions ne se limitent qu’à la tentative de propagation d’information de dénonciation d’un problème, via le lancement de pétitions, via des conférences, des débats, la publication de textes, articles, livres, et parfois aussi via des actions spectacles, dans le but d’être médiatisé et de toucher le public le plus largement possible.
Toutes les associations ne sont pas dans ce registre bien sûr. Certaines agissent « pour » quelque chose, certaines agissent « contre » quelque chose, certaines informent tout court, d’autres informent pour agir « contre ». Il y a de tout, et cela dépend principalement de l’état d’esprit des membres qui en font partie.
Je pense aux associations écologistes par exemple. L’une va informer le citoyen pour le stimuler à calculer son empreinte écologique; l’autre va l’informer dénonçant le nombre de tonnes de CO2 que les pays rejettent chaque année et condamner ces faits. Les deux pourront, par exemple, expliquer la conséquence du rejet de CO2 sur le réchauffement climatique, mais l’une le fera pour rendre possible une prise de conscience chez le lecteur/auditeur, qui pourra amener à un changement de comportement, amenant lui-même à une diminution des rejets de CO2; l’autre le fera pour amener le lecteur/auditeur à s’opposer avec elle, et venir grossir les rangs des opposants, dans le but d’amener un gouvernement à légiférer pour une diminution de la pollution, et cela dans un rapport de force (le pouvoir des masses), plutôt que dans le but de proposer au gouvernement les alternatives non polluantes. Les deux démarches sont complètement différentes. Les premières associations sont en général dans l’action solidaire, les autres plutôt dans l’activisme. Et beaucoup d’associations travaillent dans les deux registres.
Je pense aussi, que dans ce cadre, la publicité qui est faite par les associations d’opposition via les mass-médias, n’est que la partie visible de l’iceberg. Car, ailleurs, d’autres effectuent un travail de fourmi nettement moins spectaculaire, mais nettement plus constructif. C’est ce que Gandhi exprimait de la façon suivante :
« Les arbres qui tombent font beaucoup de bruit, les forêts qui germent ne s’entendent pas. »
Beaucoup d’altermondialistes l’ont compris, et c’est la raison pour laquelle ils ont préféré le terme « alter » à celui d’« anti »-mondialiste. Car leur but n’est pas de « contrer » la mondialisation, mais bien plus de proposer une autre mondialisation. Mais tous ne sont pas au clair avec ces notions. Car si l’on dit qu’ « un autre monde est possible » en s’acharnant dans les actions de dénonciation, non seulement on ne change pas d’attitude, c’est à dire qu’on reste dans le même registre d’attitudes que ceux que l’on dénonce, mais de la sorte, on ne propose rien de neuf non plus.
Car même lorsqu’il s’agit d’informer, la plupart du temps, seuls ceux qui recherchent cette information, se sentiront concernés par elle, et écouteront le message, qu’il soit dénonciateur ou constructif. De plus nous avons tous des croyances de toutes sortes. Et quand nous cherchons à nous informer, nous n’allons pas forcément chercher l’information la plus objective, mais surtout celle qui va confirmer nos croyances. Sans compter qu’il est difficile de persuader sur base de l’information uniquement. Les témoignages et les images peuvent aider à influencer, l’exemple parfois aussi. Mais le plus souvent, nous ne sommes atteints que lorsque nous expérimentons nous-mêmes, lorsque nous vivons les choses, lorsque nous les ressentons profondément, lorsqu’elles nous concernent de près, lorsqu’elles nous imprègnent. Le discours seul, convainc rarement. Informer a donc ses limites.
Ce que je mets en doute, c’est l’efficacité de la démarche qui se limite à informer et à dénoncer dans le but de faire changer les choses. Cependant, l’information n’est pas néfaste en soi. En effet, un discours qui ne convainc pas, n’est pas vain pour autant. S’il ne convainc pas ceux à qui il est adressé, il peut interpeller d’autres qui en ont connaissance, mais aussi, il se pourrait fort bien qu’il fasse écho ultérieurement, quand l’expérience rejoindra le contenu de l’information, et que l’impact n’ait donc pas lieu dans l’immédiat. Il n’est dès lors jamais vain de s’exprimer maintenant, mais mieux vaut le faire sans attente directe.
Mais au-delà, un message constructif sera mieux perçu et mieux entendu qu’un message d’opposition. Tout simplement car il donne envie d’aller vers quelque chose et révèle déjà les moyens pour agir concrètement, alors que le message d’opposition révèle en filigrane une sorte d’appel à l’aide face à l’impuissance d’être entendu, et cela n’est en général pas très mobilisateur.
L’opposition engendre : l’opposition, ou la soumission ….. temporaire.
C’est en fait déjà au niveau du mode de pensée qui sous-tend l’attitude d’opposition, que nous biaisons nos objectifs. Car en nous opposant, nous ralentissons, et parfois même, nous nous empêchons d’arriver à nos fins. Notre attitude va entraîner des comportements qui, bien souvent, ne pourront pas être acceptés par l’interlocuteur. Car l’opposition est un sérieux obstacle au dialogue et à la négociation. Dans le pire des cas, elle peut couper la communication, et faire place aux stratégies de violence, que ce soit entre nations, entre populations, dans l’éducation, au travail, en amitié ou dans le couple; l’opposition se passe dans le registre du rapport de force. Quand on ne veut pas que l’autre agisse dans un sens et qu’on ne peut l’aider ou l’amener à agir autrement, on ne peut que tenter de le forcer, imposer, empêcher. Et cela ne peut être que considéré comme inacceptable par l’interlocuteur quel qu’il soit, sauf s’il peut entrer dans le registre de la soumission; ce que font les enfants devant les éducateurs, les employés devant un patron, ou un pays vaincu par la guerre. Et toute personne ou groupe de personnes qui se soumet, ne comprend, en général, pas véritablement le point de vue de celui qui a le pouvoir, et rien ne l’amènera à le comprendre; ce qui entrainera que le rapport de force doit subsister pour maintenir la soumission, et que la personne au pouvoir, si elle ne maintient pas sa force, sera menacée de le perdre. En fait, bien souvent, nous nous opposons quand nous n’avons pas défini clairement nos objectifs, de manière consciente et positive, et que nous mettons l’entière responsabilité de la situation sur les épaules de nos adversaires, sans prendre conscience de notre propre part de responsabilité qui est en jeu.
L’opposition permet d ‘obtenir gain de cause, parfois. Mais ce n’est pas toujours durablement, et rarement en faveur d’une amélioration des relations entre protagonistes, ce qui n’augure pas la résolution facile de problèmes futurs entre eux.
Une attitude négative, violente, injurieuse, face à ceux auxquels on s’oppose (quelle que soit la nature de l’enjeu), ne va jamais aller dans le sens de la compréhension mutuelle.
Quand nous réagissons en opposition à d’autres, nous le faisons en général en présupposant que l’autre est : soit de mauvaise foi; soit n’est pas capable de comprendre. Mais les autres ne sont pas plus de mauvaise foi que nous ne pouvons prétendre l’être nous-mêmes. Etes-vous conscient régulièrement d’agir en toute mauvaise foi? Je ne pense pas qu’il y ait grand monde qui puisse répondre par l’affirmative. Notre cohérence subjective intérieure nous en empêche.
Et s’opposer à quelqu’un en subodorant sa mauvaise foi, va être compris comme injuste par la personne concernée, et ne peut que la stimuler à maintenir sa propre position, à se sentir mal comprise, ou injustement attaquée ou blamée, etc. Et, non seulement elle va maintenir sa position, mais cela va la renforcer pour la défendre, et donc, à s’opposer à son interlocuteur. Et une fois cette situation installée, il est, en effet, difficile de se comprendre, de négocier, et de faire évoluer les points de vue. Par contre, cette situation favorisera le campement sur les positions, voire l’adoption d’une attitude encore plus rigide, la surenchère, l’agressivité.
Car quand on « défend » une cause, on reste sur la défensive. Quelqu’un qui explique quelque chose en étant sur la défensive est nettement moins convainquant. De plus, si on défend sa cause devant des gens qui défendent la cause inverse, on est presque sûr de ne pas convaincre, car en étant chacun sur la défensive, on n’est pas du tout à l’écoute de l’autre, et dans ce cas, les opinions, non seulement ne peuvent pas se rapprocher, mais elles vont de surcroît probablement se figer, et provoquer le blocage dans l’évolution des discussions, négociations etc.
En parallèle au fait que l’opposition stimule plutôt l’incompréhension mutuelle et favorise la stagnation des positions; elle a tendance à déresponsabiliser. On pense que l’autre est responsable, voire coupable. Nous, nous avons raison, nous sommes dans notre bon droit, du côté de la justice, et nous sommes tout simplement des victimes. Nous pensons comprendre le point de vue de l’autre (à partir du nôtre), en pensant tout simplement que s’il n’est pas de mauvaise foi, c’est qu’il n’a pas compris, et du reste, qu’il n’est pas capable de comprendre; ce que l’on prouve, à force de ne pas lui expliquer ce qui compte vraiment pour nous dans la situation. Or nous ne sommes pas plus capable de le comprendre, car si nous le comprenions, nous changerions d’attitude et ne choisirions pas de nous opposer.
Dans ce contexte, bien souvent, l’opposition mène à l’inverse de ce que nous recherchons. Car quand nous nous opposons à quelqu’un ou à un groupe, cela fonctionne comme un château de cartes. Les cartes placées en opposition se maintiennent debout. En s’opposant, nous maintenons debout ce qui nous oppose. En nous opposant à quelqu’un, à quelque chose, nous maintenons le problème, nous aidons nos adversaires à camper dans leurs positions, à les rendre plus rigides, nous stimulons l’incompréhension mutuelle, et nous nous aidons nous-mêmes à rester dans l’opposition et à ne pas avancer, ou si peu.
S’opposer est aussi souvent un mode de fonctionnement qui nous fait croire que nous agissons pour nos objectifs, et qui nous donne pas mal de fil à retordre pour maintenir cette opposition, et pour dénoncer le problème autour de nous, sans finalement rien obtenir. Elle consiste dès lors à agir (et perdre pas mal de temps et d’énergie), pour faire du vent. Mais souvent, nous n’en sommes pas nous-mêmes conscients. Et de la sorte, elle nous empêche d’agir réellement là où quelque chose est possible.
Quand l’opposition perdure, elle mène forcément à une détérioration de la situation, quelle que soit l’échelle du problème rencontré, et peut dans certains cas bloquer la situation pour des années, des décennies.
Le fait que l’oppositon nous maintienne dans le problème, peut engendrer pas mal de souffrance. En nous opposant, nous nourrissons les émotions les sentiments et les pensées négatives, liés à la colère, à l’indignation, parfois au mépris ou à la culpabilité. Il n’est pas facile d’accepter ce qui est, quand cela ne fait pas sens pour nous, quand cela ne répond pas à notre besoin de cohérence, d’intégrité ou de justice.
Cependant, si cette acceptation est possible, elle va permettre d’évoluer dans la situation et bien souvent d’en sortir bien moins meurtri ou affaibli. Se laisser porter par le courant, même si celui-ci ne nous paraît pas favorable, permet de diminuer la souffrance, et de mobiliser l’énergie ailleurs. Il ne s’agit pas de se laisser engloutir par des problèmes sans lever le petit doigt, mais bien plus d’arrêter de ruer dans les brancards, afin d’être capable de voir émerger des solutions.
Se laisser porter par le courant face à un problème, ne signifie pas forcément abdiquer face à nos objectifs ou ne pas être fidèle à nos opinions. Cela permet par contre de diminuer la souffrance, et de prendre la distance face à la situation, et c’est cette distance qui permettra de changer la perspective et de résoudre les choses par une autre voie. En d’autres termes, en lâchant prise par rapport à l’idée de solution qui nous vient a priori face à un problème, nous nous donnons plus de chances de trouver une solution véritablement satisfaisante.
A l’inverse, résister au courant peut épuiser. Car s’opposer va amplifier la souffrance engendrée par le problème et nous aveugler face aux sorties de secours.
Probablement que souffrir quand on est dans le courant et dans l’acceptation, n’empêche pas d’être heureux, alors que souffrir quand on n’accepte pas, devient insupportable et fait notre malheur.
On peut se représenter la situation à l’image d’une balance à énergie. Quand un problème existe quelque part, on peut le représenter comme une quantité d’énergie d’un côté de la balance, le côté problématique. Plus on investit son énergie par rapport au problème, plus le côté problématique aura de poids, même si l’énergie consiste à combattre le problème. Et si la solution est bien ailleurs que dans le problème, elle se trouve de l’autre côté de la balance. Et donc, une fois qu’on investit son énergie du côté solution de la balance, c’est de l’énergie qui à la fois donne du poids à la solution, et, comme elle n’est pas investie dans le problème, c’est de l’énergie qui disparaît du poids du problème. C’est en quelque sorte un double gain. Plus on investit dans les solutions, moins on donne de poids au problème, et de la sorte, on finit par inverser le rapport des poids, et à un moment, le problème finit par disparaître de lui même, vidé de toute son énergie, vidé de tout son poids, pour laisser émerger la solution.
Et cela rejoint l’image du verre à demi plein qui se remplit quand on regarde la partie pleine (voir l’article « Le boomerang des pensées »). Le tout n’est pas de chercher à ne plus s’opposer à 100% ou à être 100% non violent, mais de faire le choix dans cette direction, et de poser des pas dès qu’on en a l’occasion, dans cette direction.
Ce qui est à l’origine de l’attitude d’opposition
La peur est la première des raisons qui nous entraînent dans des comportements d’opposition, et elle est parfois tout à fait légitime. Mais pas toujours.
Notre ignorance peut nous amener à éviter la communication et la négociation par peur d’échouer, et parfois aussi par notre incapacité à essuyer un refus lorsque nous faisons une demande. L’ignorance va nous mener vers la peur et le choix de l’opposition.
Un autre moteur de l’opposition peut être la colère. Plutôt que gérer nos pulsions ou attendre de reprendre notre calme, nous nous opposons de manière abrupte, plus menés par l’urgence de nos émotions que par celle de la situation en général.
Que ce soit la peur, la colère, ou l’ignorance, nos actions ne sont souvent pas tant orientées « pour » mener quelque chose à bien, que « contre » ce que l’autre veut mener à bien. Et tant que nous serons dans ces attitudes-là, nous serons incapables de changer le processus. Il est nécessaire de d’abord devenir conscient de ce qui nous pousse à nous opposer. Car ce sont bien la peur, la colère et, en moindre mesure, l’ignorance, qui vont paralyser : notre créativité (pour trouver des solutions alternatives), notre bienveillance, notre générosité, notre souplesse, notre empathie; et ainsi, nous figer dans l’attitude d’opposition « contre » tout ce qui ne nous convient pas.
Un autre moteur de l’opposition est la victimisation. Si l’on se considère comme victime d’une injustice, sans possibilité d’adopter un autre regard sur la situation, l’attitude est de chercher un coupable, et c’est bien à lui que l’on va s’opposer, car c’est sur lui que nous mettons toute la responsabilité de la situation, du problème que nous vivons. Mais en évacuant toute notre responsabilité de la situation, nous évacuons dans le même temps toute possibilité d’initier nous-mêmes une solution. Cette déresponsabilisation nous rend soumis à la situation, nous remet dans la situation de l’enfant qui obéït, ou se rebelle, sans choisir la voie de la communication, de la créativité, de l’alternative. Cela fige les rôles et empêche de trouver une solution satisfaisante pour tous.
Se considérer comme victime c’est prendre le rôle qui justifie celui du bourreau, c’est entrer ou rester dans le scénario duquel on voudrait à tout prix sortir. Car prendre un rôle de victime, c’est participer à un jeu. Pour ne plus participer, mieux vaut accepter de prendre ses responsabilitiés, plutôt que de les mettre toutes sur le dos du bourreau; ce qui signifie, dans la pupart des cas : sortir du jeu, ou ne plus en accepter les règles et créer nos propres règles.
« Pour perpétuer un problème, rien de plus sûr que le reproche. Porter la faute sur les autres revient à nier son propre pouvoir, alors que la prise de conscience permet de dépasser le problème et de contrôler l’avenir. » Louise L. Hay « Transformez votre vie » Ed. Marabout p. 54
Changement de cadre de référence
Je pense qu’avant de pouvoir changer nos schémas de comportement il importe de pouvoir être capable de reconnaître les schémas dans lesquels nous sommes jusqu’à présent, et je pense que c’est là que le bât blesse en général.
Car qui est capable de s’avouer tout de go (sans avoir fait un travail sur soi au préalable) que sa tendance, devant une injustice, par exemple, est : la violence, la manipulation, la plainte?
Or, sauf rare exception, nous fonctionnons tous (parfois, souvent ou tout le temps) dans ce registre. Et ceux qui le réfutent le plus souvent sont sans doute ceux qui ont le plus de chemin à faire.
A moins que ce ne soient ceux pour qui les comportements de violence, de manipulation et de plainte sont perçus comme tout à fait corrects, à surtout ne pas remettre en question.
Tant qu’on n’a pas compris dans quel registre on a l’habitude de fonctionner, on ne peut voir qu’il existe d’autres cadres de pensée. Un peu comme il me paraît utile d’apprendre à mentir, pour devenir véritablement capable de choisir consciemment de ne pas mentir, et pour en comprendre l’utilité morale.
Et il n’est pas simple de comprendre le cadre de référence dans lequel on est, ni de savoir qu’il y a d’autres cadres de références possible. On peut se le représenter via l’exemple du poisson qui ignore ce qu’est l’eau, tant qu’il n’a pas fait l’expérience de l’air. Tout comme nous ignorons a priori la présence de l’air tant que nous ne connaissons pas le vent, l’eau ou l’étouffement.
Et tant qu’on n’est pas conscient de ce qu’est réellement l’opposition, parce que nous baignons dedans, on ne la considère pas comme un problème, et on se demande pourquoi s’y attarder, acceptant souvent ses conséquences, comme inéluctables, et souvent incapables de voir son inefficacité.
Pour prendre réellement conscience de ce qu’est l’opposition, ce qu’elle évoque en nous, quelle est son origine et comment la reconnaître, cela vaut la peine d’aller regarder du côté de ce qui fait notre environnement (l’air ou l’eau) et en premier, ce dans quoi nous avons baigné dans l’enfance, à savoir les méthodes d’éducation, encore toujours utilisées.
Punitions comme récompenses, jalonnent ces méthodes d’éducation, encore actuellement. Or ce sont des moyens pour conditionner, mais ils empêchent le réel apprentissage, ils empêchent la conscience d’émerger. Et nous sommes en grande majorité, les fruits de ce genre d’éducation.
Cela veut dire que tout, dans notre mode d’apprentissage, a été basé sur l’autorité, donc sur le rapport de force, sans compter la partie compétitive.
Tout cela entraîne pas mal de dérives :
– manque d’assurance : on ne peut agir avec confiance que quand nos pairs nous approuvent, incapables de nous considérer nous-mêmes comme notre propre référence;
– on juge, et on se laisse juger;
– on accepte l’autorité des experts, quand ils nous disent qu’ils sont experts, quitte à se laisser manipuler, sans plus nous fier à notre propre bon sens, à notre intuition, à nos propres connaissances, à nos expériences, nos ressentis;
– on compare, et ne cesse de comparer : il faut être aussi bien, ou mieux que les autres. Et quand on n’arrive pas à faire aussi bien, on est dans la frustration ou la honte constante;
– et bien sûr, quand on n’est pas d’accord : on s’oppose, pensant que c’est ainsi qu’on va obtenir le changement que l’on désire : sans être conscient que :
d’une part dans pas mal de circonstances, on pourraît accepter la frustration de ne rien obtenir, et d’autre part qu’il y a toujours des situations autres, ou intermédiaires, qui ne sont frustrantes pour personne. Mais cela ne fait pas partie de nos registres de pensée.
On peut prendre l’exemple des élèves qui se groupent pour chahuter le professeur en classe. Plutôt que de prendre leurs responsabilités, et proposer, intervenir, s’exprimer, créer (car ce n’est pas possible ou car ils n’imaginent pas cela possible); ils se rebellent, ou ils agissent derrière le dos, voire même ils se moquent, ils méprisent, ils se jouent du professeur.
Et plus tard, une fois adulte, pourquoi ne continueraient-ils pas?
C’est un peu comme si l’humain était incapable de sortir de l’enfance. Il est vrai qu’il est des situations, plutôt nombreuses, où il n’y a pas d’autres solutions face à un enfant que d’exercer une autorité. Mais à l’âge adulte, l’humain responsable dans la plupart des situations, devrait être suffisamment mûr pour sortir de ces rapports-là. Or nous fonctionnons encore tous, ou quasi, dans ce registre.
Une autre manière d’aborder le cadre de référence, c’est le langage. En effet, notre langue est souvent bien pauvre pour nous aider à changer. Le français n’a pas la palme dans ce domaine, bien qu’il ne soit pas mal dans son genre. Déjà en français, comment peut-on nommer une personne avec qui nous serions en désaccord, mais pas en opposition. La langue ne le propose pas. Soit elle parlera d’un interloctueur, ce qui fait fi du désaccord, soit elle enverra l’interlocuteur dans une situation de compétition en parlant d’adversaire, d’ennemi, d’opposant. Je n’ai eu d’autre choix dans ce texte que d’utiliser le mot adversaire pour désigner la personne, le groupe ou l’entité avec qui ou avec le-a-quelle on est en désaccord.
Un autre exemple, en français, et dans bien d’autres langues aussi, pour la notion de « non-violence », nous sommes obligés de prendre un terme qui nie la violence, alors que le concept renvoie à bien d’autres notions. C’est comme si le concept inverse de la violence ne nous était pas accessible en pensées, puisqu’il n’a pas de représentation dans la langue.
En clin d’oeil féministe, c’est comme si, on avait donné le nom « homme » à la personne de genre masculin, et qu’on avait donné le nom « non-homme » à la personne de genre féminin.
Quand nous parlons de « combat pour la non-violence », nous utilisons deux concepts qui contiennent la notion de violence, pour un objectif qui en est totalement dénué.
Il y a, à mes yeux, quelque chose de dramatique à ce niveau. Car comment penser sainement, si les mots que nous utilisons nous amènent à penser violent.
Jusqu’à présent notre meilleur outil pour traduire notre pensée est le langage. Mais le langage est culture aussi, et, par retour, il imprègne notre pensée. Avec tant de violence dans la langue, nous sommes presque forcés de penser violent.
Je ne suis pas sûre qu’il faille changer la langue pour autant. Mais apprendre à être pleinement conscient de ce que nous disons (conscient quand on utilise un mot qui fait référence à la violence pour parler de choses qui font référence à la bienveillance) me paraît un bel apprentissage à faire.
Et pour en revenir au concept d’opposition. Quand nous agissons : « pour ne pas » il s’agit encore d’une forme atténuée, d’opposition. Et le langage est vraiment ici le reflet du mode de pensée. Il s’agit de la différence entre « aller vers » et « fuir ». Nos actions sont totalement différentes quand nous avons un objectif de type « aller vers » que quand nous n’avons pas d’objectif, en fuyant. Et je dis bien : pas d’objectif, car justement quand on fait dans le négatif : on ne construit rien.
Tout ce qui consiste à quitter une situation sans savoir vers où aller, en comparaison à l’attitude qui consiste à aller vers une situation bien précise, choisie; entraîne un choix aléatoire de la destination. Si vous ne voulez plus de pluie, vous allez fuir les endroits où il pleut, sans garantie qu’il ne pleuvra pas ailleurs. Si vous choisissez d’aller vers le soleil, vous définirez une destination très précise, où la probabilité de soleil est maximale.
La plupart d’entre nous sommes incapables d’exprimer nos désirs, nos projets ou nos objectifs par des affirmations. Souvent nous savons très précisément ce que nous ne voulons pas, et nous ignorons totalement ce que nous voulons. C’est un peu comme si nous marchions à reculons, incapables de regarder dans la direction où nous mènent nos pas, et finalement, en avançant à l’aveuglette, le regard tourné vers les problèmes que nous voulons quitter, en étant dos à nos objectifs. Avouez qu’il y a de quoi marcher de travers et se tromper de chemin! Et c’est bien là l’erreur, car tant que nous n’avons pas pris conscience de ce que nous voulons réellement, nous aurons bien plus de mal à trouver les meilleures solutions à nos problèmes.
La communication non-violente (entre autres) aide à être plus au clair avec cela : elle nous propose, devant le problème, de définir le besoin qui n’est pas comblé, afin de pouvoir chercher ce qui va combler ce besoin, plutôt que fuir ce qui ne convient pas à le combler.
La langue française (et aussi la plupart des langues occidentales) n’ont même pas de mots pour exprimer l’action solidaire et constructive. Quand on a un objectif constructif, (qui n’est donc pas dans l’opposition), on utilise encore les mots : « lutter pour », « se battre pour », etc. car il n’en existe pas d’autres. Le langage nous force à rester dans nos modes de pensée de départ (guerriers, violents, dans l’opposition), nous empêche de passer à l’étape supérieure.
Un autre élément important de notre environnement, dans lequel 98 à 99% des individus baignent plusieurs heures par jour, c’est la télévision. En s’imprégnant des modèles, des conseils et des informations télévisuels, nous nous identifions au monde que la télé nous propose. Et cette télé nous propose beaucoup de violence, beaucoup d’opposition, beaucoup de manipulation.
Il est presque vain de tenter de se détacher de cette influence, tant que l’on reste client du petit écran. Et rien ne va nous y stimuler vu que, sauf exception, tout notre entourage est imprégné et influencé par les mêmes modes de pensée. Le modèle prédominant véhiculé par la télévision est le rapport de force, soit via les fictions présentant la violence, l’autorité, les jeux de pouvoir sous tous leurs angles, soit via les transmissions d’informations ou de connaissances via des experts, des spécialistes nous reléguant dans un rôle passif, soumis, non pensant : ils pensent pour nous.
La compassion, la solidarité, la tolérance, la générosité, la coopération, la collaboration, la créativité, la négociation; font bien pâle figure dans le contexte télévisuel, et sont rarement suscités chez le téléspectateur, excepté pour lui soutirer de l’argent à des fins humanitaires, qui ne le concernent, en général, pas directement.
Les crimes, les vengeances, les violences, les manipulations, les mensonges, les jeux de pouvoir, les situations de compétition, les comportements autoritaires et paternalistes ou de soumission, ou encore l’agressivité; sont, à l’inverse, omniprésents dans la plupart des programmes diffusés, quelle que soit leur orientation.
Comment envisager de ne pas reproduire tout cela dans notre propre vie, si nous n’avons plus vraiment accès aux alternatives. Ces modes de pensée et de fonctionnement nous sont divulgués quotidiennement, insidieusement, au compte goutte, et très peu de téléspectateurs remettent en question ce qu’ils regardent. Et souvent, ceux qui le font, s’estiment suffisamment critiques pour ne pas être piégés. Mais peut-on être critique par rapport à ce qu’on n’est pas en mesure de percevoir?
Si ces gens étaient réellement critiques, ils ne pourraient plus accepter le contenu télévisuel actuel. Et comme 98 à 99% de la population a la télévision pour référence, il n’y a pas place pour un discours différent. Rien, ou si peu, ne peut remettre en question l’hégémonie de son conditionnement.
d) La recherche du profit et du pouvoir
Deux autres aspects de notre société qui poussent vers les comportements d’opposition, sont les valeurs qui définissent la structure de cette société de consommation, à savoir : le profit et le pouvoir. Ces deux tendances mènent intrinsèquement à l’individualisme et à la compétitivité. Et dans ce cadre, comment pourrait-on se défendre et être gagnant sans s’opposer à ce qui fait obstacle pour y arriver?
L’opposition fait bel et bien partie de notre culture, mais ce n’est pas inéluctable. Rien ne nous interdit d’évoluer vers autre chose. Seules certaines figures d’exception, comme Gandhi et quelques rares autres, ont choisi un autre chemin. Pour le reste nous sommes encore tous dans le bain de l’opposition.
Le changement
Une fois qu’on a compris en quoi consiste réellement l’opposition et ses conséquences; ce qui n’est que le tout début d’une prise de conscience, il devient possible de l’observer partout.
C’est alors nettement plus convainquant que toute explication. Ce qu’on a compris intellectuellement prend du relief lorsque c’est observé dans la réalité. C’est là que s’opère réellement le changement du cadre de référence (de pensée). Il suffit de se prendre au jeu, même sans y croire, pour les détails comme pour les choses importantes : tenter de l’observer : et ça devient presque évident assez rapidement. Et une fois qu’on a accès au nouveau cadre de référence, on est toujours capable de raisonner dans l’ancien, on le comprend toujours, mais il ne satisfait plus, car il ne fait plus autant sens que le nouveau. C’est ce qu’on appelle un changement de paradigme. Et apprendre à fonctionner selon ce nouveau cadre de référence, ne sera que le résultat d’un long chemin d’apprentissage ultérieur.
La prise de conscience opère avec le temps. Car une fois qu’on est informé, qu’on prend conscience (ce qui sont deux étapes différentes) : on commence à mesurer le problème, à connaître ses conséquences, on commence à être capable de l’observer plus clairement, autour de soi d’abord, sur soi ensuite. Car il est nettement plus facile d’observer les erreurs des autres que de s’avouer les siennes propres. Pourtant cela fait partie de l’apprentisage, car sans ce regard lucide sur soi-même, on ne pourra que poursuivre la quête des changements à l’extérieur, alors que c’est sur soi-même que le travail peut avant tout être effectué.
Or cela vaut la peine d’analyser ce qui, en nous, nous pousse à nous opposer. Bien souvent ce sont nos peurs qui guident nos pensées et nos actions. Car il ne s’agit pas tant de pointer la faute ailleurs, que de voir qu’on est soi-même dans quelque chose que finalement on ne désire pas. Et pour ne pas le désirer, il faut d’abord le voir. Et comme il s’agit surtout de quelque chose par rapport à soi-même, il n’y a pas de faute, de coupable, mais il y a des choix possible.
Une autre tendance que l’on peut faire évoluer, c’est la souplesse dans le changement même. Beaucoup de gens sont rétifs à quitter les comportements d’opposition, d’agressivité, voire de violence, car ils veulent arriver au but dans l’immédiat, et faute d’y parvenir, ils estiment alors que c’est tout simplement inaccessible. D’une certaine manière, ils pensent que si on n’est pas capable de ne pas s’opposer dans toutes les circonstances, c’est que l’oppositon reste la meilleure solution. Bien sûr, quand on commence à changer, on trouve rarement l’attitude adéquate, alternative à l’opposition, du premier coup. En se préoccupant de l’objectif, et en trouvant au fur et à mesure les moyens, on peut voir jusqu’où on peut aller. Rien ne sert de dire à l’avance qu’on ne pourra jamais aller assez loin. Juste, nous ne sommes pas encore capables de voir assez loin pour savoir jusqu’où on ira. Toujours est-il que le changement est un travail que l’on fait sur soi, et qu’il ne s’agit pas de techniques à appliquer.
1) Poser le problème correctement
Une erreur très courante, dans une situation qui ne nous satisfait pas, consiste à chercher des solutions avant même d’avoir posé correctement le problème. Et nous sommes très souvent dans ce mode de fonctionnement. C’est celui dans lequel on ne cesse de parler du problème, croyant entre autre, que le dénoncer est une manière de le résoudre.
Or on ne peut pas sortir d’un problème si on ignore qu’il existe, ou si ce problème est mal circonscrit. Il faut donc en premier le connaître et bien le poser. Savoir que ce n’est pas en se regardant comme victime, ou en observant les autres comme victimes ou bourreaux; mais en étant capable de voir notre propre responsabilité dans l’enjeu (la responsabilité n’impliquant pas la notion de culpabilité).
Et de la même manière, le fait de s’attarder au problème sans arriver à passer aux solutions est intrinsèque au fait qu’on n’a pas encore bien assimilé en quoi consiste le problème, car le désir d’en sortir est assez naturel ensuite. Reste alors à choisir les vraies solutions.
2) Résoudre un problème, ce n’est pas le rendre inexistant
Un changement important également, consiste à ne plus considérer qu’il faille annuler ce qu’on ne veut pas, pour obtenir ce qu’on veut.
Il n’est pas toujours nécessaire de détruire une maison pour en construire une autre, la rénovation répond parfois mieux aux besoins. Il n’est pas nécessaire d’interdire l’agriculture non biologique pour pouvoir cultiver biologiquement. Il n’est pas nécessaire de bannir la voiture pour pouvoir marcher, faire du vélo, prendre les transports en commun.
Bien sûr, détruire ou interdire, peuvent être des possiblités à envisager, mais elles sont souvent difficile à faire admettre à ceux qui tiennent au maintien de ce qui est déjà. Et cela vaut, à plus forte raison, quand on navigue dans le domaines des relations, non basées sur des constructions matérielles. En effet il n’est pas nécessaire d’évincer quelqu’un ou de le faire taire, de le forcer, ou de le convaincre; pour satisfaire nos propres désirs ou besoins. Il existe souvent d’autres chemins qui respectent les besoins de tous. Si l’on fixe clairement les besoins auxquels répondre, et les objectifs à atteindre, on aura plus facilement accès à des idées innovantes et satisfaisantes pour tous.
3) Chercher la solution ailleurs que dans le problème
Si s’opposer fait bien partie du type de raisonnement problématique, ce serait alors ailleurs qu’il faut chercher. Pour moi il reste aussi pas mal de cas où je ne vois pas comment faire autrement que m’opposer, et pourtant, je pense que c’est bien là notre handicap : tant qu’on n’est pas capable de voir qu’on peut agir autrement, on reste dans nos problèmes. On les perpétue, on les reproduit, on les multiplie.
4) Quand il n’y a pas d’alternative à l’opposition : l’urgence
Cependant, il y a des situations où la non-violence, la négociation, la médiation, la patience, l’acceptation, le compromis, la compassion, la compréhension, l’abnégation, etc., n’ont pas leur place, car l’urgence est là. Le débat sur l’opposition n’est plus alors à l’ordre du jour. En particulier, lorsqu’on assiste à quelque chose de violent sur lequel on peut agir, soit par la force (force physique ou ascendant psychologique), soit pour détourner l’attention du ou des auteurs de cette violence. C’est le cas lorsqu’on est spectateur d’une scène de violence entre deux personnes, et en particulier sur des enfants, et que l’on juge pouvoir avoir un ascendant sur l’auteur de violence. Et ce n’est sûrement pas facile d’intervenir en toute conscience (et non sous l’emprise de l’impulsion), car il est presque évident que la violence sera en retour dirigée contre nous.
A ce titre la citation de Gandhi ci-dessous, est des plus explicites :
« S’il fallait absolument choisir entre la violence et la lâcheté, je conseillerais la violence (…) mais je crois que la non-violence est infiniment supérieure à la violence. »
C’est sans doute tout un apprentissage à effectuer pour y arriver. Car dans l’urgence, il n’est pas toujours facile de faire la part des choses. Tout un débat intérieur se met en route, et on n’est jamais sûr de faire le bon choix. Quand réagir et s’opposer s’avère être le mauvais choix, il peut avoir des conséquences pires que de ne rien faire. Car, la question qui se pose souvent est : « Qui suis-je, pour intervenir auprès de gens que je ne connais pas, ou pas assez? ». C’est un peu le même débat que lors de violences entre deux pays, ou inter-ethniques, inter-religieuses, quand on parle du droit d’ingérence. A titre individuel, je pense que le principal est d’agir en âme et conscience, et en étant relié à notre bienveillance plutôt qu’à nos impulsions, notre colère, ou notre indignation.
5) Refuser l’urgence apparente
Un piège fréquent consiste à ne pas faire la différence entre l’urgence réelle de la situation, telle que décrite ci-dessus, et l’impression d’urgence que créent nos impulsions via les émotions de peur, de colère ou autre. S’il n’y a pas danger de mort, de destruction, ou de choc imminent, s’il n’y a pas un délai extrêmement court à respecter (pour une décision ou une action); rien n’empêche de prendre le temps, de se poser.
6) 90 à 99% des situations ne nécessiteraient pas l’opposition
Devant toute situation problématique, la question de l’opposition se pose toujours. Plus on apprend et plus la proportion de résolution sans opposition peut augmenter. Et je pense que 90 à 99% des situations que nous rencontrons, peuvent se passer d’une attitude d’opposition. Je n’exclus pas que 100% soient concernées.
1) Ne pas chercher à avoir le dernier mot
Une des premiers apprentissages est celui de ne plus jamais chercher à avoir le dernier mot dans une discussion, quitter l’attitude de vouloir avoir raison. Et cela n’implique pas tant le fait de laisser dire, que celui de lâcher prise face à nos propres impulsions pour rétorquer. Une bonne école à ce jeu-là c’est d’apprendre à se taire face à de la provocation. C’est l’exemple le plus clair qui montre à quel point s’opposer peut-être néfaste. Si quelqu’un provoque, le mieux c’est d’ignorer, de laisser faire, de s’en aller. Car en ripostant, on le stimule à 500% et on reçoit en retour 5 fois plus de provocation.
2) Agir quand on est dans le bon état d’esprit
Quand on se sent agressé, ou qu’on fulmine de colère face à une situation jugée injuste, et où la première réaction serait de réagir violemment en exprimant de la colère; s’il n’y a pas urgence, il est possible de se replier sur soi et de chercher d’autres solutions, de calmer sa colère (ça prend parfois pas mal de temps, surtout au début de l’apprentissage). Cela permet d’interpréter l’attitude de l’opposant de différentes autres manières (que la première qui vient à l’esprit, et qui paraît évidente si on n’y prend pas garde), en tentant de comprendre ses propres raisons possibles d’agir ainsi. Il est donc possible de prendre le temps pour ne pas réagir dans l’immédiat, et voir s’il y a moyen de réagir du mieux que l’ont peut, pour calmer la tension, voire s’il y a moyen de se parler, d’exprimer nos positions réciproques, de tenter de comprendre, de rassurer la personne qui nous a agressé si nécessaire (car souvent on agresse quand on se sent menacé), de faire comprendre les raisons de notre colère, tout en exprimant que ce n’est pas pour autant que nous lui en voulons. Et pour cela il faut que cela soit sincère. Cela demande souvent du temps pour y arriver.
De plus, il faut savoir que si nous attendons de ne plus être sous le coup de l’émotion, notre réaction sera différente. Notre état d’esprit, notre humeur peut changer en nous concentrant sur d’autres préoccupations, en laissant passer du temps, et de manière plus importante encore, après une nuit de sommeil. Si nous sommes d’humeur à râler, nous plaindre, geindre, nous opposer, critiquer, nous indigner, mépriser, etc., nous ne serons bons à rien. La difficulté, en général, est d’une part, de se rendre compte que tel est notre état d’esprit. Car en général, nous sommes plus à même de voir quand nous sommes serein et de bonne humeur que l’inverse, et surtout, nous serons plus incliné à le reconnaître, ce qui est bien plus difficile dans le cas de la mauvaise humeur. Or quand nous sommes dans le versant négatif de l’humeur, non seulement nous sommes incapables de voir des solutions créatives à nos préoccupations, mais nous sommes surtout enclins à nous opposer, agresser et ruer dans les brancards. Et il suffit parfois de quelques heures de sommeil pour que la solution s’impose à nous au réveil, apparaissant alors comme évidente. Elle n’a rien à voir avec l’opposition, elle est de l’ordre de la créativité, de l’alternative, de l’inattendu, du truc auquel on n’aurait pas pu penser tant qu’on était dans l’état d’esprit précédent. Parfois même, le problème ne nous apparaît même plus comme un problème, et la solution consiste à abandonner le sujet.
Lorsqu’on a envie d’imposer sa solution à l’autre, car on estime la sienne totalement inacceptable, s’il n’y a pas urgence, on peut se retenir de réagir dans un premier temps pour voir comment réagir autrement dans un deuxième temps. Et si vous vous piégez à répondre agressivement dans l’immédiat, impulsivement, vous pourrez observer les dégâts occasionnés, soit sur la personne, soit sur vous-mêmes (le retour de flamme qui ne manque jamais d’arriver).
Un autre changement d’attitude possible est celui de pouvoir alléger sa position, nuancer, relativiser, être capable de regarder ce qui nous heurte, avec d’autres lunettes, comme si nous étions quelqu’un d’autre. Cela permet de se montrer moins intangible, moins intransigeant. Que le, ou les besoins, qui sont à l’origine de notre position, soient intangibles, oui, mais pas forcément la position, car il existe des milliers de manières de répondre à nos besoins.
4) Enquêter sur la position de l’adversaire
Ensuite, qu’est-ce qui, chez l’autre, nous paraît si menaçant ou si injuste dans son attitude. Et qu’est-ce qui pourrait faire que je ne le regarde plus comme menaçant?
Cela nécessite de comprendre son point de vue, soit en le devinant, soit en le cherchant, soit en le lui demandant. Mais cela nécessite également de pouvoir accéder au point de vue qui se trouve au-delà de ce qui est exprimé. Car ce qui est exprimé, dans la discussion, dans la négociation, est bien souvent coloré par l’attitude défensive (autoritaire, agressive soumise, …), sans compter les aspects inconscients de son attitude. C’est un apprentissage qui prend énormément de temps. Il exige d’être, au préalable, au clair avec soi-même, nos propres sentiments, émotions, pensées, besoins; d’être capable de s’en distancier, et être capable de se distancier des émotions déclenchées lors de la confrontation avec l’autre, de manière à vraiment pouvoir l’écouter. Encore une fois, la Communication Non Violente, ainsi que d’autres méthodes d’apprentissage de la communication relationnelle, peuvent nous permettre d’y arriver.
5) Changer la manière de s’exprimer (être moins menaçant)
Il existe des manières d’exprimer ses opinions sans que cela puisse être ressenti comme menaçant pour la personne qui pense l’inverse. Se défendre devant quelqu’un qui a peur, fait grossir le problème. La bienveillance peut le faire diminuer. Mais c’est un art qu’il faut apprendre à maîtriser. Admettre le bien fondé de l’opinion de l’autre, exprimer parfois nos propres doutes, nos peurs, peuvent nous mettre finalement moins en danger que décréter nos vérités de manière indiscutable. De même, quand nous parlons aussi à la première personne, sans exprimer nos arguments comme « la vérité », mais comme notre conviction. En montrant par là notre acceptation de l’opinion divergeante de l’autre. L’idéal est de donner plus d’énergie à l’écoute et la compréhension qu’à l’expression, sans être soumis ou poli pour autant. Le faire de manière authentique et bienveillante. Très peu de gens sont capables de cela.
6) Différence entre s’opposer et ne pas coopérer
Souvent la confusion persiste entre s’opposer et ne pas coopérer. Je vais me référer à un exemple assez connu en France. En 2004, un commentaire plutôt maladroit de Patrick Le Lay, PDG de TF1, a été publié dans un livre : « Les dirigeants face au changement, Baromètre 2004 » (Editions du Huitième jour).En voici la phrase la plus connue :
« … pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (…). »
(plus d’informations sur le site :
http://www.acrimed.org/article1688.html
En réaction à cette phrase malencontreuse, qui a choqué de nombreux téléspectateurs, une action d’opposition s’est mise en place. Un mot d’ordre est passé entre téléspectateurs via le net (forum, sites, et emails en chaîne) de boycotter la chaîne le 22 septembre de la même année.
J’ignore le nombre de personnes qui ont suivi ce mouvement. Mais le message était clair : « nous n’acceptons pas d’être traité de la sorte. » Tel était le message conscient émis; mais en réalité, l’action elle-même, signifiait tout autre chose pour les destinataires. Elle signifait que, même lorsque les téléspectateurs savent qu’ils sont considérés de la sorte, et manipulés par TF1, d’une certaine manière, ils s’en accomodent bien, puisqu’ils acceptent de se soumettre à ce régime 364 jours sur 365. Quel bel encouragement donc pour poursuivre cette politique décadente.
D’autres téléspectateurs, sans doute moins nombreux, ont eu une autre réaction. Ils n’étaient pas d’accord et n’ont même pas jugé utile de le faire savoir. Ils ont décidé de ne plus regarder TF1. Et comme ils ne sont pas dupes, et savent que les autres chaînes, tant qu’elles fonctionnent à l’audimat et à la publicité, suivent le même genre de raisonnement que celui de TF1; ils ont tout simplement éteint le poste de télé. Ils ont arrêté de coopérer avec cette mascarade, sans pour autant s’y opposer. Si certains restent intéressés à se faire manipuler, ils ne se sentent pas pour autant le pouvoir de les convaincre, mais prennent leurs responsabilité à titre personnel.
La réelle opposition dans ce cas, consiste plus à aller manifester devant les fenêtres de TF1, à écrire des pétitions, à écrire des articles qui les dénigrent, à boycoter leurs émissions, à créer ou participer à des associations qui tentent de leur mettre des bâtons dans les roues etc.
Par contre, éteindre le poste, c’est refuser quelque chose qui ne nous convient pas, c’est mettre sa limite, mais ce n’est pas tenter de l’empêcher d’agir ou de le faire disparaître pour autant.
Dans de nombreux cas, quand nous n’avons pas le pouvoir ou l’ambition de négocier avec ceux avec qui nous sommes en désaccord, il est possible tout simplement de ne pas coopérer avec eux, sans chercher à s’opposer. Juste, il suffit de tourner le regard vers autre chose. Et parfois, cela peut paraître lâche, mais ce n’est qu’une apparence.
Car quand nous n’avons pas le pouvoir de changer les choses dans un domaine, il nous reste le pouvoir d’affaiblir l’impact de ce domaine dans nos vies, et peut-être dans la vie des autres, en mettant tout le poids de notre énergie, de notre action, du côté de l’alternative.
Les attitudes d’opposition, et les attitudes alternatives amènent parfois à des comportements très similaires, peut-être même identiques. Car si je boycote par exemple toutes les multinationales, pour refuser d’aider à les faire vivre, je suis dans l’opposition. Et si j’achète local, fait main, éthique, biologique ou naturel, je ne suis pas dans l’opposition, mais dans l’alternative. Pourtant, dans les deux cas, le résultat sera que je n’achèterai pas chez les multinationales.
Cependant dans la deuxième attitude, l’objectif est de faire vivre les travailleurs et artisans locaux, pas de faire disparaître les multinationales. L’énergie, les pensées sont orientées totalement différemment.
7) La concession ou l’alternative
Trop souvent nous envisageons nos problèmes et solutions potentielles de façon manichéenne. La solution sera noire ou sera blanche; problématique, ou satisfaisante. C’est soit moi qui gagne, soit moi qui perd, quand l’autre gagne. Tout au plus, peut-on imaginer une solution intermédiaire où chacun fait des concessions, et où la rancoeur persiste, car soit l’autre m’empêche d’avoir une solution comme je la rêvais, soit je culpabilise car j’empêche l’autre d’obtenir sa solution totalement satisfaisante, voire, les deux à la fois. Si je me bats avec mon voisin sur la taille de la haie, il la veut de 2 mètres de hauteur, je la veux de un mètre de hauteur. Soit je gagne gain de cause, soit il gagne gain de cause, ou peut-être choisirons-nous d’avoir une haie d’une hauteur de 1,50. Personne ne sera gagnant, personne ne sera perdant, mais personne ne sera non plus totalement satisfait. Et pourtant, s’il la veut de 2 mètres de hauteur c’est pour qu’il n’y ait pas la possibilité de regards indiscrets vers son jardin, et si je la veux de 1 mètre de hauteur, c’est dans le but d’avoir plus de lumière, et plus de soleil vers mon potager. Pourtant, qui dit qu’en réaménageant nos deux terrains, la place de mon potager, la place de la haie, et l’espace privé de chacun, nous ne pourrions trouver une solution qui satisfasse tout le monde, sans devoir plus discuter de la taille de la haie, et en étant doublement satisfaits, de la solution, et des relations de bon voisinage que nous aurons gagnées?
8) L’utilité de la fuite, l’esquive, le silence, sans pour autant être lâche
Il existe certaines opportunités où se taire vaut mieux que répondre. Et il n’est pas toujours facile de savoir ce qui est le plus adéquat. Car se taire peut signifier également : laisser faire ou lâcheté. L’esquive ou la fuite ne sont pas préférables à l’opposition, mais peuvent être parfois temporairement utiles. Le tout est d’apprendre à connaître les conséquences de nos actes. Si ignorer a des conséquences pires que s’opposer, il vaut mieux s’opposer, mais il y a peut-être aussi mieux à faire que s’opposer. Si à l’inverse, laisser faire n’a pas de conséquences, et que s’opposer stimule ce à quoi on s’oppose, on est mieux de laisser faire. Je pense que tout ça est très subtil pour l’application. Et on ne sait pas toujours quel est le bon choix. Un truc toutefois : quand laisser faire est quelque chose de difficile à faire, c’est en général que c’est cela qu’il vaut mieux faire : en écoutant, réprimant provisoirement ou maîtrisant nos impulsions. Par contre, quand laisser faire est la solution la plus facile, c’est en général justement de l’indifférence, de la facilité, de la lâcheté, et soit on n’en est pas tout à fait conscient, et on ne se posera pas de question, soit ce choix de facilité peut nous mener à nous demander s’il n’y aurait pas mieux à faire. Et « mieux » n’est pas forcément s’opposer, il y a mieux parfois que s’opposer.
Dans beaucoup de conversations, discussions ou négociations, même sans la présence de provocation, il vaut parfois mieux se taire que répondre.
Quand quelqu’un a des certitudes indéboulonnables qui sont totalement contraires aux nôtres, parler avec lui-elle de ces certitudes en exprimant nos propres opinions va dans la plupart des cas le conforter dans ses certitudes, et il n’y aura pas de réel échange, juste un dialogue de sourds avec risque que cela puisse dégénérer.
Même en politique cela fonctionne de la sorte. Plus on s’oppose à une politique, plus cela lui donne de la force. Seul le rapport de force peut alors la faire tomber, mais il faut alors le maintenir dans le temps, car dès que ce rapport de force s’inverse, cette politique revient de plus belle.
9) Changer individuellement, avant de s’investir dans certaines actions collectives
Une attitude souvent critiquée, est le choix de la priorité de l’action individuelle sur l’action collective. Or, là aussi, il s’agit d’un changement de cadre de référence. Les actions collectives, solidaires, militantes, n’ont que peu de poids tant qu’elles sont portées par des citoyens fonctionnant sur le mode de l’opposition. C’est pourtant la tendance générale quand on se réveille citoyen (quand la conscience citoyenne se réveille chez une personne), d’agir d’abord à un niveau social ou politique, avant d’agir à un niveau individuel, c’est observable partout. Or, inverser cette priorité peut très vite être jugé comme de l’individualisme, de l’égoisme. Mais il s’agit bien plus de ne pas se mêler de faire du tort tant qu’on n’est pas apte à agir constructivement. Le réel individualisme se trouve parmi les surconsommateurs (anesthésiés par la pub et les mass médias), pas parmi ceux qui se sentent impliqués socialement. Et pour faire sa part, en refusant certaines activités collectives d’opposition, il ne faut pas tant de la paresse ou de la lâcheté, qu’une certaine détermination, et le courage de ne plus suivre la masse, en se décalant bien souvent de l’attitude de ses contemporains.
Finalement, les attitudes nouvelles possible sont multiples et sans limite de diversité. Il n’y a jamais, ou rarement, de réponses toutes faites : pour telle situation, telle attitude. C’est bien plus en fonction, d’une part, de chaque situation particulière, et d’autre part, de notre vécu et de nos réactions intérieures, que l’attitude la plus appropriée à adopter peut nous apparaître ou pas. Et il y a donc pas mal de chemin à faire avant d’avoir des réponses.
La non-violence comme alternative : à l’opposition, à la violence, et à la manipulation.
1) La non-violence ne s’oppose pas à des personne
Une fois le cadre de référence changé par rapport à l’opposition, il n’y a pas beaucoup plus d’éléments à ajouter pour mener à la non-violence. Celle-ci se caractérise avant tout par la bienveillance à toute épreuve de celui qui la pratique.
La non-violence dans son essence, ne s’oppose pas à des personnes. Elle se contente de ne pas coopérer avec ce qui fait problème. L’opposition est en quelque sorte à la source de la violence. C’est pourquoi il me paraît important de parler d’abord de l’abandon de l’attitude d’opposition avant d’aborder le concept de non-violence.
La non-violence est de l’ordre du désaccord. Elle peut s’exprimer de toutes sortes de manières : par le refus, la non-coopération, la recherche de communication/négociaton, le silence, l’absence; mais elle n’utilise pas la destruction, la souffrance, l’agressivité, le chantage, le sabotage, le mépris. Elle se caractérise par le respect des interlocuteurs et surtout, comme déjà exprimé, par la bienveillance envers eux.
L’abord de la non-violence se fait rarement par le biais de la non-opposition. Elle surgit en général d’abord par une position d’ « opposition à la violence ». Et cela commence le plus souvent par la condamnation de la violence institutionnalisée (la guerre) : ce que l’on nomme pacifisme.
Le pacifisme est la première porte à franchir pour accéder à la non-violence. Il est un désir de paix, un combat pour la paix, mais qui ne définit pas la nature des moyens pour y arriver. Le pacifisme n’exclut pas le rapport de force (certaines pratiques de non-violence non plus d’ailleurs – certains militants se défendent d’être non-violents en pratiquant le sabotage par exemple.) Or, juger négativement un problème, ne veut pas dire : voir la solution. Car en effet, certains pacifistes sont prêts à faire la guerre pour avoir la paix. Ce sont ceux qui s’arment pour empêcher la guerre. Dans ce registre, certains vont ainsi condamner certains types de violence, par exemple, celle qui tue, celle qui torture, mais continuer à l’accepter ailleurs, par exemple en acceptant l’agressivité ou la manipulation. D’autres encore vont condamner la violence physique mais pas la violence verbale et psychologique. D’autres encore vont condamner la violence sur des personnes ou des animaux, mais pas les destructions matérielles.
Il est assez facile de condamner la violence à l’extérieur de soi, tout en maintenant et ignorant celle que l’on porte en soi (voir à ce sujet l’article au sujet de notre propre violence). Et la condamnation de la violence est encore assez loin du choix de la non-violence. C’est un peu comme la différence pour un junkie, entre reconnaître sa dépendance, et faire le choix de ne plus toucher à la drogue, et le mettre en pratique. Condamner la violence est un jugement intellectuel, il n’implique en rien la capacité de gestion des émotions, ni celle de s’exprimer et d’agir toujours en toute bienveillance. Le but du pacifisme est donc le même que celui de la non-violence. Ce sont les moyens qui peuvent différer. La non-violence recherche la cohérence tant dans le but que dans les moyens, car comme le dit Gandhi : « Parce que la fin est dans les moyens, comme l’arbre est dans la semence, et aussi sûrement que la roue du char suit le pas du boeuf. »
La seconde étape consiste alors à devenir conscient que nous portons en nous, la même violence que celle que l’on condamne, car nous avons tous en nous la faculté d’être violent. Se présente alors le choix d’apprendre à la reconnaître, à la connaître, et ensuite à la gérer jusqu’à parvenir à ne pas l’utiliser. Il s’agit bien plus d’un chemin d’évolution psychologique et spirituelle que d’une compréhension intellectuelle ou d’un choix idéologique.
La non-violence n’est donc pas du pacifisme. C’est un chemin, et on le commence par un combat pour la paix, mais plus on avance sur ce chemin, plus on comprend qu’il s’agit d’une attitude de coeur bien plus que d’un objectif à poursuivre.
Le désir de devenir non-violent n’est pas un choix définitif, ni même un choix clair à définir. Il se construit et se définit petit à petit et est à refaire à chaque nouvelle situation. Et plus on comprend les valeurs qui sous-tendent la non-violence, plus on veut l’appliquer le plus largement possible.
Pour ma part, j’inclus dans la violence tout ce qui agresse, c’est à dire aussi la violence verbale et la violence insidieuse de la manipulation etc., et aussi tout ce qui est de l’ordre du rapport de force, quand on tente d’imposer à l’autre sans lui laisser aucun choix. Donc toutes les violences : tant physiques que psychologiques.
De la même manière, j’estime que la violence n’est pas à bannir tant qu’on n’est pas capable de choisir d’autres voies que la violence ou la lâcheté. Il est cependant de notre ressort de chercher à éviter de se trouver dans des situations qui mènent à la violence, ou de les engendrer nous-mêmes.
Personne ne peut vraiment prétendre être totalement non-violent, ou alors l’exception de l’exception. En général on choisit la non-violence au coup par coup, en ratant parfois (souvent) le coche.
Comme déjà expliqué plus haut par l’image de la balance, s’investir vers la non-violence, c’est mettre le poids de notre énergie, de nos intentions, de notre évolution du côté de la bienveillance, de la tolérance, du respect, de la générosité. Et plus on pèse dans cette direction, plus on allège le côté de la violence, de l’opposition, et de tout les sentiments et attitudes négatifs en général.
Et comme pour l’opposition, la violence est profondément inscrite dans notre culture, via le langage comme déjà décrit plus haut, et via notre éducation. Le fait d’avoir été éduqué dans la violence, physique comme psychologique, va rendre à nos yeux la violence toujours justifiable.
Je pense sincèrement que notre difficulté à aborder le concept de non-violence, et plus loin, de non opposition, n’est pas du tout intellectuel, mais lié au fait que c’est inscrit en nous depuis notre plus jeune âge.
ce titre les deux extraits suivants, respectivement tiré du « Manifeste contre la violence »éducative » » http://parents.autrement.free.fr/article.php3?id_article=13 et d’un article sur la violence éducative écrit par Olivier Maurel http://www.harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=article&no=2644, laissent apparaître de manière évocatrice l’incohérence de nos modes de fonctionnement, pourtant admis communément par tous.
;« Pourquoi est-il permis de frapper un enfant alors qu’il est interdit de frapper un homme adulte, une femme, une personne âgée et, en prison, le pire des criminels? Nos lois ne permettraient-elles d’agresser que les plus faibles? Les enfants ont le droit d’être élevés sans violence, ce qui ne signifie pas sans fermeté. »
« …….. une gifle ou une fessée inculque en un seul geste et d’un seul coup (c’est le cas de le dire!) une formidable leçon d’immoralité et d’antidémocratie. Elle leur apprend en effet que :
– Quand on n’est pas d’accord avec quelqu’un, on a le droit de le frapper, même si on l’aime.
– Quand on est grand et fort, on a le droit de frapper les êtres petits et faibles.
– Quand quelqu’un vous frappe ou vous menace, il faut se soumettre à lui.
– La violence est un mal mais c’est aussi un bien, puisque c’est “pour son bien” qu’on frappe l’enfant. »
B/ Processus de la non-violence
Le processus de la non-violence consiste à dire : « Je ne suis pas d’accord avec vous, je ne peux donc pas coopérer avec vos actions, et je vais tout faire pour obtenir ce que je cherche, mais jamais je ne vous ferai le moindre tort pour l’obtenir : je ne ferai rien dans le registre du mépris, de la destruction, de la médisance, etc., et j’accepte toutes les conséquences que vous déciderez de me faire subir, y compris, celle de ne rien obtenir, de perdre la liberté, voire, de perdre la vie. Je maintiendrai simplement ma position jusqu’à ce que l’on puisse en parler et trouver une solution qui nous convienne de part et d’autre. »
Et cela consiste à penser : « Je vous veux tout le bien du monde, mais je respecte les limites de ma cause, et son importance est telle, que, en âme et conscience, je ne peux me soumettre à votre demande/exigence, et accepte de subir les conséquences que vous me ferez subir si vous ne comprenez pas l’intérêt du changement que je demande. »
« J’agis pour ma cause mais ce n’est pas contre vous. »
Pour choisir la non-violence, il faut connaître sa propre violence, l’avoir acceptée, être capable de la gérer pour arriver à choisir de ne pas l’utiliser. La personne qui agit selon la non-violence sait qu’en ayant une certaine position, en ne s’opposant pas, et en ne coopérant pas, elle sera perçue comme agresseur. Et tout l’art de la non-violence est de ne justement jamais s’opposer, mais de maintenir sa position bien ancrée, quelles qu’en soient les conséquences, jusqu’à parfois la mort, dans les registres les plus extrêmes.
Il est possible, même probable dans les cas les plus sensibles, que l’interlocuteur, ne comprenne pas vraiment le sens de ce qui lui est proposé, et comprenne à l’inverse, cela comme de l’opposition, et de l’agression, et y réponde par de l’agression. Mais si on reste non-violent jusqu’au bout, quelle que soit l’agression qui nous est adressée, nous n’y répondrons jamais. Ce qui désarme littéralement l’interlocuteur. Il se peut qu’il augmente alors ses agressions pour nous pousser à agresser en retour. Mais tant que nous subissons son agression en maintenant notre position, il ne peut rien faire. Et c’est là toute la magie de la non-violence. Il y a un moment, où quelqu’un dans le groupe de l’interlocuteur va finir par, lui aussi, ne plus vouloir coopérer avec ses pairs, car il voit les injustices commises, et le non sens de tout ça. Et c’est le début d’un changement vers la négociation, et la recherche de nouvelles solutions qui n’ont jamais été essayées auparavant. Et cela peut prendre longtemps, des années, mais aussi des générations, voire des millénaires.
Ce qui caractérise essentiellement la non-violence, c’est le regard que l’on porte sur la personne d’en face : il est toujours bienveillant, quels que soient les actes odieux ou injustes qu’elle puisse commettre ou avoir commis. Etre non-violent implique intrinsèquement d’avoir de la considération dans l’absolu pour la personne avec qui on est confronté, de tenter de la comprendre – ce qui, en aucun cas, ne justifie ou n’excuse des actes injustes – et de tenter d’obtenir d’elle un changement vers plus de justice, vers le respect de notre personne. Cela étant valable aussi pour les groupe de personnes.
La citation suivante de Martin Luther King, illustre à merveille cette attitude :
« A nos adversaires les plus farouches nous disons : “à votre capacité d’infliger la souffrance, nous opposerons notre capacité d’endurer la souffrance. A votre force physique nous répondrons par la force de nos âmes. Faites-nous ce que vous voulez, et nous continuerons à vous aimer. Nous ne pouvons, en toute bonne conscience, obéir a vos lois injustes, car la non-coopération avec le mal est, autant que la coopération avec le bien, une obligation morale. Jetez-nous en prison, et nous vous aimerons encore. Envoyez à minuit dans nos communautés vos cagoulards perpétrer la violence et nous laisser à demi morts, et nous vous aimerons encore. Mais soyez assurés que nous vous conduirons a l’épuisement par notre capacité de souffrir. Un jour nous gagnerons la liberté, mais pas pour nous seuls. Nous lancerons à vos coeurs et a vos consciences un tel appel que nous vous aurons gagnés en chemin et que notre victoire sera une double victoire. »
Gandhi, quant à lui, illustre l’attitude de ceux à qui s’adressent les actions non-violentes, via la citation suivante :
« D’abord ils vous ignorent, ensuite ils se rient de vous, puis ils vous combattent, puis vous gagnez. »
On peut l’expliquer de la manière suivante.
Les idées et opinions qui nous déstabilisent, nous font peur, nous ne pouvons en général pas les accepter d’emblée. Nous allons tout d’abord les ignorer : on ne comprend même pas de quoi on parle, ou on préfère faire semblant que ça n’existe pas. Ensuite on les méprise, on en rit : cela nous paraît tellement tordu que ça ne vaut pas la peine de s’y intéresser, autant en rire. Ou alors on en rit, espérant que la moquerie aidera à évacuer le sujet sans devoir passer à la confrontation. Une fois que l’idée fait son chemin et prend de l’importance, elle semble être porteuse d’une certaine force : on se sent alors menacé par rapport à nos valeurs habituelles : il faut alors la combattre, l’empêcher de passer. Et à un certain moment, la compréhension se fait, la menace disparaît, et l’idée est adoptée.
La non-violence s’adresse réellement aux gens qui n’ont pas encore compris ou admis l’existence d’une injustice, et c’est pourquoi elle implique en général l’idée de pouvoir être maltraité, de pouvoir souffrir, voire d’en mourir.
Dans les cas de Gandhi ou Martin Luther King par exemple, elle s’adressait aux Anglais colonisateurs qui n’avaient pas encore compris que le colonialisme est injuste, ou aux blancs qui n’avaient pas encore compris qu’un noir est un être humain comme un autre. Et face à des gens qui sont dans une telle incompréhension, il faut s’attendre à des attitudes extrêmement violentes en retour, jusqu’au crime (Gandhi et Martin Luther King ont tous les deux été assassinés pour leurs idées, et par le fait qu’ils agissaient de manière non violente).
Pourtant, lorsque des gens ayant agi dans la non violence, se font tuer; la condamnation générale est telle, que les responsables de ces crimes font perdre bien plus de crédit à leurs opinions qu’ils ne croyaient en gagner.
Certains comprennent l’attitude non-violente comme une faiblesse, une incapacité à répliquer par l’agression. Or c’est tout le contraire, en la choisissant on peut se porter comme bouc émissaire, c’est intrinsèque à la démarche. Il faut donc beaucoup de courage pour se proposer intentionnellement comme cible à quelqu’un qui a envie d’attaquer.
Image à la une : http://beautifultrouble.org