Pain, vin, fromage : Laissez-les fermenter !
L’industrie agroalimentaire vire les bactéries de nos assiettes. Mais pourquoi ingurgiter une nourriture aseptisée quand la plupart des germes sont bons au goût et pour la santé ?
Outre-Atlantique, les Français ont la désagréable réputation d’être sales. Mais nos cousins d’Amérique ont le travers inverse : obnubilés par l’hygiène, ils ont la phobie des bactéries. Passons sur les effets délétères pour la peau de cette passion pour le propre et focalisons-nous sur leur assiette : fromages pasteurisés aromatisés aux exhausteurs de goût et conserves de corned-beef gavés d’antibiotiques. Normal, évoluant collées les unes aux autres dans des milieux de plus en plus aseptisés, les bêtes d’élevage sont moins résistantes aux microbes qui arrivent à s’infiltrer. Yummy…
D’après le site américain Treehugger « la préoccupation culturelle visant à la stérilité totale a pour effet la perte de beaucoup de bonnes bactéries dans notre alimentation ». La journaliste auteure de ces lignes rappelle qu’en se privant d’aliments fermentés – un processus lié à la présence de microorganismes –, ses concitoyens perdent des alliés pour leur digestion et leur santé.
Des bactéries qui s’éloignent de nos assiettes
Sans que cela ait été formellement démontré par les scientifiques, on présume en effet qu’une alimentation pauvre en produits fermentés a « des conséquences sur le système immunitaire, le syndrome du colon irritable, la digestibilité de certains composés, l’apport de vitamines », liste Sylvie Lortal, directrice de l’unité de recherche Science et technologie du lait et de l’œuf de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique).
Les Français, qui se targuent d’être gourmets, sont-ils exposés à ce phénomène ? « Oui. Il y a en effet une réduction drastique des quantités de microbes que nous ingérons via l’alimentation », expose la chercheuse. Or, la fermentation permet une meilleure conservation de l’aliment et une diversification des goûts (Voir encadré). Pour autant, insiste la nutritionniste Béatrice de Reynal, « nous continuons à consommer beaucoup de produits fermentés : du pain, des produits laitiers, de la choucroute, du vin, de la bière, du cidre, du café, etc. ».
Mais, à l’exception des produits fermentés artisanaux, les aliments de consommation de masse sont aujourd’hui d’abord chauffés ou pasteurisés, afin d’éliminer les bactéries qui y sont naturellement contenues. « Puis on les réensemence en rajoutant des levains afin que la fermentation se fasse vite et bien. Mais ces levains contiennent un très faible nombre d’espèces de microorganismes. Or, plus la diversité microbienne est importante, plus le produit a une grande richesse aromatique », poursuit Sylvie Lortal.
Presque plus de cas d’intoxications alimentaires
Avant que nos aliments ne soient largement standardisés – et au passage affadis – par les industries agroalimentaires, ils fermentaient de façon naturelle, avec les bactéries présentes dans l’environnement. Ce procédé de conservation, qui ne nécessite pas de garder les aliments au froid, a plus de 8000 ans. « Pour faire le saucisson, on tuait le cochon et on le laissait pendouiller dans la cheminée », rappelle Béatrice de Reynal.
Le risque que les mangeurs s’empoisonnent au botulisme, aux salmonelles, à la listeria… était bien présent. La stérilisation a ainsi évité des milliers d’intoxications alimentaires et de décès (on n’en compte plus qu’une vingtaine environ chaque année en France), au prix d’une perte de goût mais aussi de propriétés bénéfiques pour la santé : « Les roqueforts fabriqués dans des laboratoires stériles grâce à des bactéries sélectionnées ne nous aident plus à synthétiser la vitamine B9, qui était l’un de leurs grands avantages », cite en exemple la nutritionniste.
Plutôt que de rétablir un équilibre intestinal un peu chahuté en avalant des probiotiques en compléments alimentaires, autant manger un yaourt ou boire un verre de cidre fermier. Mais attention, si votre intestin n’y est plus habitué, cette boisson pleine de micro-vies pourrait tout aussi bien vous filer une diarrhée carabinée…
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Les raisons de l’aseptisation de notre alimentation
Pourquoi les fermentations d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui ? A cela, Sylvie Lortal voit trois raisons :
La réglementation européenne – et notamment ce qu’on appelle le Paquet hygiène adopté en 2006 – rend l’industriel agroalimentaire responsable de la qualité hygiénique de son produit, alors qu’il était avant simplement tenu de mettre en place une surveillance adéquate. « Cela a poussé vers une sécurisation par les acteurs des filières. Mais en éliminant tous les microorganismes à risque, on élimine aussi de plus en plus les utiles ».
Grâce aux avancées technologiques, il n’est désormais plus toujours nécessaire de recourir aux microorganismes pour obtenir des textures et des goûts satisfaisants. « Cela intéresse d’autant plus le fabricant que le microbe complexifie souvent un procédé. C’est un acteur vivant, pas toujours évident à maitriser, a fortiori quand on a affaire à des écosystèmes microbiens complexes et riches. La tendance lourde est donc de réduire le nombre d’espèces microbiennes en présence, d’utiliser toujours les mêmes voire de les supprimer quand la technologie le permet. »
Les conditions de production, de récolte et de stockage des matières premières se font dans un environnement de plus en plus propre.
SOURCE : terra.eco.net