La nature a gagné contre Monsanto. La crysomèle est devenue résistante à ce qui devait l’éliminer

Après des années à prédire que cela arriverait, et après des années de refus par les entreprises, par les agriculteurs et par les organismes de réglementation de prendre leurs avertissements au sérieux, les scientifiques ont constaté l’évolution rapide de chrysomèles des racines du maïs devenues résistantes aux maïs Bt.

Le maïs Bt a été génétiquement modifié pour être toxique pour les insectes nuisibles. La chrysomèle des racines pouvait causer des milliards de dollars de dommages aux cultures des États-Unis. Le maïs Bt, dont le nom vient du Bacillus thuringiensis, un gène produisant la toxine pesticide qu’il contient, représente désormais les trois quarts des récoltes de maïs aux États-Unis. La vulnérabilité de ce maïs pourrait être désastreuse pour les agriculteurs et pour l’environnement.

« Si les pratiques de gestion ne changent pas, ça va seulement empirer », a déclaré Aaron Gassmann, un entomologiste de l’Université de l’Iowa et co-auteur d’un rapport publié le 17 mars par l’Académie nationale des sciences et décrivant la résistance à la chrysomèle des racines. « Il faut un changement fondamental dans la façon dont la technologie est utilisée. »

Planté en 1996 pour la première fois, le maïs Bt est rapidement devenu très populaire parmi les agriculteurs américains. En quelques années, les populations de chrysomèles et de la pyrale du maïs, un autre ravageur du maïs, ont chuté dans tout le Midwest. Les rendements ont augmenté et les agriculteurs ont réduit leur utilisation d’insecticides classiques qui causent plus de dommages écologiques que la toxine Bt.

Au début des années 2000, les scientifiques qui étudient l’évolution de la résistance aux insecticides ont averti de problèmes imminents. Toute chrysomèle des racines qui pourrait survivre au gène Bt aurait le champ libre pour se reproduire, et si les plantations n’étaient pas bien gérées, la résistance pourrait émerger rapidement.

La clé d’une gestion efficace, disaient les scientifiques, était de préserver des refuges plantés avec du maïs non Bt. Car dans ces zones, la chrysomèle des racines resterait sensible à la toxine Bt. Et en s’accouplant avec des vers résistants au Bt qui par hasard viendraient évoluer par là, ils pourraient empêcher la résistance de s’accumuler dans le pool génétique des chrysomèles.

Un comité consultatif convoqué en 2002 par l’EPA (Agence pour la protection de l’environnement) suggérait qu’au moins 50 % des champs de maïs soient consacrés à ces refuges non Bt. Mais les entreprises semencières ont résisté à ces recommandations – et c’est l’EPA elle-même, qui a mis la proportion de refuges entre 5 et 20 %. De nombreux agriculteurs n’ont même pas suivi ces recommandations.

On arrive en 2009, quand Gassmann reçoit des rapports de dommages importants causés par la chrysomèle des racines dans les champs de maïs Bt dans le nord de l’Iowa : elles sont devenus résistantes à l’une des trois variétés de maïs Bt. (Chaque variété produit un type de toxine Bt différente.) Il a décrit cette résistance dans une étude de 2011, et au même moment des rapports sur des récoltes détruites par la chrysomèle des racines du maïs Bt arrivaient de certaines parties de l’Illinois, du Minnesota, du Nebraska et du Dakota du Sud. Celles-ci ne représentent pas un seul foyer, mais plutôt l’émergence croissante de la résistance.

Dans sa nouvelle étude, Gassmann décrit d’autres incidents de la résistance au Bt dans d’autres régions de l’Iowa. Il a également trouvé des chrysomèles devenues résistantes à une deuxième variété de maïs Bt. De plus, le fait d’être devenue résistante à une variété augmente les chances de résistance à une autre. Cela signifie que le maïs modifié pour produire plusieurs toxines Bt – dites variétés empilées – ne sera pas vraiment efficace pour ralentir l’évolution de la résistance de la chrysomèle, comme on l’espérait initialement.

Comme l’explique Gassmann, « les agriculteurs continueront à utiliser le maïs Bt qui reste efficace contre d’autres organismes nuisibles mais, comme la chrysomèle des racines devient plus résistante, les agriculteurs ajouteront des insecticides, ce qui augmentera leurs coûts et fera perdre les avantages écologiques obtenus à l’origine par l’utilisation de maïs Bt. »

Pour l’entomologiste Bruce Tabashnik, de l’Université de l’Arizona, « la résistance au Bt est un problème de plus en plus grave, et la taille des refuges doit être considérablement et immédiatement augmentée. » Lui et d’autres scientifiques ont poussé l’EPA à doubler les exigences de refuges actuels, mais jusqu’ici sans succès.

« Les entreprises de biotechnologie ont fait pression avec succès sur l’EPA pour des réductions importantes sur les exigences de refuge », a déclaré Tabashnik .

En plus d’augmenter la taille des refuges, les agriculteurs doivent aussi varier les cultures plantées sur leurs champs, plutôt que de ne planter que du maïs saison après saison, explique Gassmann. Les ruptures dans le cycle du maïs perturbent naturellement les populations de chrysomèles, mais le prix élevé du maïs a encouragé les agriculteurs à continuer la mono culture, « qui est l’habitat idéal pour la chrysomèle des racines. »

Shields se plaint aussi des difficultés auxquelles lui et d’autres chercheurs universitaires ont dû faire face pour étudier le maïs Bt. Jusqu’en 2010, lorsque les entomologistes des grandes universités agricoles ont réussi à obliger les fabricants de semences de leur permettre d’étudier le maïs Bt, cette culture était hors-limites pour eux. Si cela n’avait pas été le cas, dit Shields, la résistance aurait été détectée plus tôt, et peut-être ralentie avant qu’elle ne devienne un problème grave.

« Une fois que nous avons eu le droit d’accès, la résistance a été étudiée en un an », a déclaré Shields. « Avant, nous constations les échecs, mais nous n’étions pas autorisés à tester la résistance. »

Il y a une leçon à tirer pour les futures caractéristiques des cultures, conclut Shields. Nous nous attendions bien, dès le départ, à ce que la chrysomèle des racines devienne résistante, mais l’industrie des semences Bt, en cherchant à maximiser les profits à court terme, a volontairement ignoré l’avis des scientifiques indépendants. La prochaine caractéristique antiparasitaire « tombera sous la même pression », pense Shields , « et l’insecte gagnera. On gagne toujours en misant sur l’insecte, si les cultures ne sont pas gérées intelligemment. »


Source et photo : Wired / Traduction pour Reporterre par Elisabeth Schneiter.

Photos :
. chapô : Wired
. épandage de pesticide : Grist