Activisme : Jouer sur les comportements consuméristes

Encore une idée parmi d’autres qui fleurissent actuellement. Soyons positifs, quelque soit les avantages, la durée, ou les inconvénients de telle ou telle initiative, retenons surtout l’intention. ÇA BOUGE ! Et ça, c’est bon signe.

__________________________________________________

Une Carrotmob, késako ? Encourager l’achat massif d’un produit afin de favoriser un comportement plus responsable. Nouvel outil de mobilisation collective, le concept aspire à transformer le système par sa base : la consommation. Reportage au cœur de la première carrotmob 2014.

Au bar de L’Absurde imposture dans le 18ème arrondissement de Paris, une soixantaine de personne ont défilé jeudi au comptoir, pendant toute une soirée, pour goûter le fameux cocktail « Bugs Bunny » : sur une base de purée de carotte, un jus d’orange pressé accompagné de pulpes de citron vert tempère l’amertume de la tequila, le tout réhaussé par un trait de sirop fraise. Voilà pour la recette de Clad, un des deux nouveaux propriétaires-gérants du bar. Vingt-cinq ans, mais déjà quelques idées pour utiliser le shaker.

Le cocktail a été concocté spécialement pour cette soirée, où déguisements de lapin et carottes en peluche agrémentent l’ambiance tamisée orange de la salle. C’est l’apparat de la ‘‘carrotmob’’, ce nouveau concept de manifestation collective aux allures écolo qui appelle à « donner du sens à sa dépense ». C’est-à-dire ?

Une carrotmob [« rassemblement des carottes »] est un acte de consommation dit « responsable », qui, parce qu’il est fait en groupe et sur un temps court, influence l’entreprise commerçante. Mais, à l’inverse du boycott qui représente l’incitation par le bâton, la carrotmob veut envoyer un message positif à travers le buycott (jeu de mots sur « boycott » et « buy », acheter) : le consommateur soutient l’entreprise partenaire par l’achat massif d’un bien ou d’un service qu’elle commercialise. En contrepartie, elle s’engage à changer ses pratiques pour les conformer aux exigences du « développement durable ».

Voici ainsi ce que renseigne le mur Facebook annonçant l’action Carrotmob : « En accord avec un commerçant choisi, un jour donné, nous réunissons la Carrot Community et nous venons tous ensemble consommer chez lui. L’opération lui permet donc de générer un gros chiffre d’affaires. En contrepartie, lui s’engage à le réutiliser dans une action de développement durable ».

Ce soir-là, le bar L’Absurde promet de changer de fournisseur d’électricité, pour passer chez Lampiris qui vend une électricité 100% verte. Et si la soirée a été vraiment bien arrosée, les patrons changeront également l’enseigne pour y mettre des ampoules basse consommation à LED.

Importé des Etats-Unis où la première carrotmob s’est tenue à San Francisco en mars 2008, cette nouvelle forme d’activisme joue d’abord sur la notion de communauté, entendue dans son sens le plus contemporain : utilisation des réseaux sociaux pour fédérer un mouvement citoyen, atteindre une taille critique et mobiliser ces consommateurs-militants.

Comme beaucoup des clients du soir, Alexis n’est pas un habitué du bar. Il est venu ici car il est convaincu de la démarche : « Je crois beaucoup en l’énergie qui est dépensée dans ce projet. C’est ce pouvoir de levier de la communauté qui est intéressant. Je suis là pour sentir qu’on peut faire changer les choses, même avec seulement un petit groupe humain ».

Faire changer les choses, c’est donc jouer sur les comportements consuméristes. Il s’agit d’encourager les citoyens à revoir leur mentalité et leurs habitudes de consommation. « Nous sommes tous des consommateurs. La carrotmob n’est pas là pour culpabiliser, mais pour montrer qu’il existe d’autres paradigmes de consommation. On allie l’utile à l’agréable » explique Florian Guillaume, responsable de la Carrot Community de Paris.

En 2010, il est un des instigateurs de la première carrotmob française, à Rochefort-sur-Mer, dans un petit bar à tapas qui souhaitait changer ses ampoules. « Nous n’étions alors pas nombreux, mais cela a tout de suite marché ».

Depuis, bien qu’encore sporadique, le concept se développe progressivement. On compte dix groupes locaux pour deux cent cinquante organisateurs inscrits dans la communauté. La carrotmob présente l’avantage d’être adaptable à tout type de commerce : elle a ainsi permis à la Bellevilloise d’isoler ses bâtiments à Paris, à Ecoffee d’aménager son camion au tri sélectif à Rennes ou à Be Yourself de construire un composteur à Lille. La dernière campagne a même mené jusqu’à un magasin Intermarché parisien, qui a réduit de 20 centimes en moyenne ses prix sur les produits issus du commerce équitable suite à l’action.

Mais ne serait-ce pas une ruse du capitalisme pour intégrer à la marge des petites actions sans bouleverser le système ? « Nous ne sommes pas là pour juger les acteurs avec qui nous travaillons, nous sommes là pour les faire changer » répond Florian. La philosophie des petits pas et de la méthode douce est invoquée, comme elle l’est souvent dans les milieux de la consommation éthique et responsable qui font face au rouleau-compresseur de la grande distribution.

Simon est plus sceptique. Il ironise : « Encourager la conscience consumériste de nos citoyens, c’est ça, la nouvelle écologie ? ». La marotte des débats entre militants écolo repointe le bout de son nez : quel compromis avec le système que l’on pourfend ? Faut-il l’intégrer pour influer de l’intérieur au risque d’y perdre son âme ou s’en tenir toujours à bonne distance pour garder la liberté de parole et la radicalité qui conviennent à nos valeurs ? Face à l’urgence de la crise écologique, quel doit être le régime de transition du système ?

Sous son bonnet orange couleur carotte, Pauline écoute la discussion. C’est elle qui a le mot de la fin : « Quand on est écolo, ce soir, c’est l’approche plaisir qui l’emporte ». Si la transition écologique passe par le changement des modes de consommation, la carrotmob a le mérite de montrer que celle-ci peut se faire dans la convivialité – mieux, dans une ivresse collective et raisonnée !


Source et photo : Barnabé Binctin pour Reporterre