REGARD DE SIOUX
« … A nos yeux, tout cela est beau et tout à fait approprié, symbole et réalité en même temps, expression de l’harmonie de la nature. Notre cercle se répand, sans fin, éternellement : il est la vie émergeant de la mort – la vie qui apprivoise la mort. »
« Le symbole de l’homme blanc est le cadre. le cadre de sa maison, des buildings où sont ses bureaux, avec des murs de séparation. Partout des angles et des rectangles : la porte qui interdit l’entrée aux étrangers, le dollar en billet de banque, la prison. le rectangle, ses angles, un cadre. De même pour les gadgets de l’homme blanc – boites, boites, et encore boites – téléviseurs, radios, machines à laver, ordinateurs, automobiles. Toutes ces boites ont des coins, des angles abrupts – des arêtes dans le temps, le temps de l’homme blanc, ses rendez-vous, le temps de ses pendules ses heures de pointe – c’est ce que les coins signifient à mes yeux, vous êtes devenus les prisonniers de toutes ces boites.. »
« Mais de plus en plus nombreux, certains jeunes blancs veulent cesser d’être des cadres, des encadrés, des aplatis et tentent de devenir ronds. Cela c’est bien. »
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« …Asseyons-nous ici, nous tous, au milieu de l’immense prairie d’où ne nous pouvons voir ni une autoroute, ni un grillage. N’ayons pas de couvertures pour nous asseoir, mais sentons le sol sous nos corps, la molle résistance de la terre, la présence des arbustes autour de nous. prenons l’herbe pour matelas, éprouvons sa dureté et sa douceur. Devenons pareils aux pierres, aux plantes et aux arbres. Soyons des animaux, pensons et sentons comme des animaux.
Écoutez l’air. Vous pouvez l’entendre, en éprouver le contact, vous pouvez sentir l’air, vous pouvez le goûter, Woniya Wakan, l’air sacré, qui de son souffle revivifie la création. Woniya, woniya wakan, – l’esprit, la vie, le souffle de vie, le renouveau, l’air signifie tout ça.. »
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« … C’est là que vous êtes les dindons de la farce. Vous n’avez pas seulement défiguré et châtré nos cousins à quatre pattes ; vous vous en faites tout autant. Vous avez transformé les hommes en pédégés, en employés de bureau, en pauvres diables qui pointent à heures fixes. Vous avez transformé les femmes en ménagères, autrement dit en mégères…
… C’est de la folie douce. Nous ne sommes pas faits pour endurer ça. Vous vivez dans des prisons que vous avez construites vous-mêmes, que vous appelez le « chez-soi », le bureau, l’usine.
Quelquefois, je me dis que nos pitoyables cabanes en carton goudronné valent mieux que vos maisons de luxe. Faire cent pas jusqu’à l’appentis par une claire nuit d’hiver dans la boue ou la neige, c’et de façon bien modeste, être encore en contact avec la nature. Ou bien l’été, dans nos coins perdus, laisser ouverte la porte des cabinets, et prendre son temps, écouter bourdonner les insectes, avec le soleil qui filtre à travers les minces planches du plafond et vous réchauffe – c’est encore un plaisir que n’avez même plus.
Les Américains vivent dans l’obsession du sanitaire. Pas d’odeurs ! Supprimez l’odeur des aisselles, la senteur de la peau ! Frictionnez-vous puis avec un petit tampon ou un vaporisateur, imprégnez-vous d’un parfum. Des trucs bien chérots, dix dollars la pièce, comme ça, vous serez rassurés, pour sentir bon, ça sentira bon. Le produit pour la mauvaise haleine. Ce lui pour l’intimité féminine. je les vois défiler tous à la télé. Bientôt vous produirez une race d’hommes sans ouvertures !
Je crois que les hommes blancs ont tellement peur du monde qu’ils ont créé qu’ils ne veulent pas le voir, pas l’éprouver dans leurs sens, pas en connaître l’odeur, ni en entendre parler. La pluie oula neige sur le visage, le vent glacial qui cingle, puis la fumée d’un bon feu pour se réchauffer ou sortir d’un bain de vapeur pour plonger dans un cours d’eau glacé – voilà qui fait se sentir vraiment vivant, mais cela, vous ne le voulez plus. Se calfeutrer dans des boites qui abolissent la chaleur de l’été et la dure bise de l’hiver, s’enfermer dans un corps désodorisé, écouter la reproduction haute-fidélité, au lieu des bruits de la nature, regarder un acteur de télé dans son numéro à sensations, alors que vous-mêmes d’en éprouvez plus, manger une nourriture sans goût – c’est votre façon de vivre, elle ne vaut rien…. »
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« … Vous ne voulez plus du volatile. Vous n’avez pas le cran de tuer honnêtement – de trancher la tête du poulet, de le plumer et de le vider. Ça c’est fini. Vous e voulez pas avoir mauvaise conscience. Alors, vous ramenez le poulet dans un sac de plastique impeccable, bien découpé, prête à être servi, sans saveur. Vos manteaux de vison ou de loutre, vous voulez ignorer le sang et le mal qu’il a fallu pour les faire. Votre idée de la guerre – se tenir assis dans un avion, bien au-dessus des nuages, ne jamais regarder au dessous des nuages – c’est toujours la non-culpabilité, la désensibilisation, le style de vie aseptisé, hygiénique.
Quand nous tuions un bison, nous savions ce que nous faisions. Nous nous excusions auprès de son esprit, nous essayions de lui faire comprendre pourquoi nous agissions ainsi, nous honorions d’une prière les os de ceux qui donnaient leur chair pour nous garder en vie, une prière pour leur retour à la vie, pour la vie de nos frères de la nation-bison, autant que pour notre peuple. Vous ne vouliez pas comprendre ces choses, c’est pourquoi nous avons eu le massacre de Washita, le massacre de Sand Creek, les femmes et les bébés tués à Wounded Knee, C’est pourquoi nous avons Song My et My Lai.
Pour nous, la vie, toute la vie est sacrée….. »
————————————————————« … Hommes blancs, vous répandez la mort, vous achetez et vendez la mort. Avec vos déodorants, vous sentez la mort mais vous avez peur de sa réalité. Vous n’osez pas la regarder en face. Vous avez rendu la mort hygiénique, vous l’avez cachée sous le tapis, vous lui avez dérobé son honneur…
… Mais les animaux possèdent un pouvoir, parce que le Grand Esprit est en eux tous, même une minuscule fourmi ou un papillon _ ou même d’ailleurs un arbre, une fleur, un rocher. L’homme moderne, l’homme blanc éloigne ce pouvoir de nous, il le dilue. pour aller à la nature, ressentir son pouvoir, le laisser nous venir en aide – il faut du temps et de la patience, le temps de penser de méditer sur la vie et sur le monde. Il vous reste si peu de temps pour la contemplation. Vous n’en finissez pas d’être pressés, toute cette hâte et cette précipitation rétrécissent l’existence… »
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EXTRAITS CHOISIS DE : « Mémoire Indienne » de Tahca Ushte et Richard Erdoes. 1972 édité en France en 1989.
LISEZ LE, C’est une vraie bible du peuple sioux, passionnant, plein d’enseignements, plein d’humour et de poésie aussi. C’est aussi le bouleversant récit du génocide des indiens.
J’ai choisi volontairement ces extraits dans lesquels Cerf Boiteux analyse notre société. Dans le livre, il met en face, la spiritualité Sioux ou indienne en général, et sa vision de l’univers.
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