Si ce soir vous n’allumez pas la télé, nous vous proposons ce docu :
A l’occasion de la célébration par l’UNESCO des 40 ans d’Auroville, l’une des rares villes expérimentales des années 70 encore active aujourd’hui, Public Sénat s’est rendue sur place pour comprendre ce qu’est devenue «l’utopie d’Auroville».
Que sont devenus les pionniers ? Qui est resté sur place ? Qui est revenu ? Comment les enfants élevés avec cet « idéal » ont-ils vieilli ?
40 après, qu’est devenu le concept de cette ville qui vit toujours sans gouvernement, sans police, sans échanges monétaires.
Construit autour des flashes back d’un document réalisé en 1973 par Jean-Pierre Elkabbach et de témoignages des protagonistes de l’époque, le film d’Hélène Risser pose un regard actuel sur ce modèle qui continue d’attirer les
idéalistes du monde entier et notamment les jeunes.
Un document de 52 minutes inédit coproduit avec l’INA.
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NOTA : Je l’ai regardé, ça a l’air à peu près honnête. Par contre, si vous êtes routard, que vous sillonnez l’Inde, et que vous pensiez être hébergé gratuitement à Auroville, c’est raté. Ce n’est plus la belle époque des hippies.. Il faut payer, et d’après des témoignages directs, c’est assez cher, mais c’est le cas de la plupart des ashrams aussi..
EN COMPLÉMENT :
Auroville, drôle d’endroit pour une visite
Quarante ans, le bel âge, dit-on souvent. Le début de la sagesse. C’est en tout cas le nombre d’années que fêtera Auroville le 28 février prochain. Auroville ? Mais si, souvenez-vous, cette communauté utopique internationale fondée en Inde en 1968, en pleine époque hippie, par la Mère, compagne spirituelle de Sri Aurobindo, fondateur du “yoga intégral” et militant politique accusé un moment d’avoir commis des attentats au Bengale.
Située sur la côte de Coromandel, dans le Tamil Nadu, à une dizaine de kilomètres au nord de l’ancien comptoir français, la “cité de l’Aurore” se voulait être “une ville universelle où hommes et femmes de tous pays pourraient vivre en paix et en harmonie progressive au-delà de toute croyance, de toute politique et de toute nationalité” et dont le but était de “réaliser l’unité humaine”. Ce vaste programme répondait à un rêve fait dès 1954 par celle que l’on appelle la Mère, de son vrai nom Mirra Alfassa, née à Paris en 1878 d’un père turc et d’une mère égyptienne.
Cette artiste peintre, élève de Gustave Moreau et épouse de l’impressionniste Henri Morisset, rencontre Sri Aurobindo lors d’un voyage à Pondichéry en 1914. Ce n’est que six ans plus tard qu’elle le rejoint pour s’installer à l’ashram, dont elle prend les rênes en 1926, après que Sri Aurobindo eut décidé de se retirer du monde pour se consacrer à sa quête intérieure. Mirra décèdera en 1973, assassinée, raconte-t-on, par ses disciples. À défaut de pouvoir la déifier de son vivant, ce qu’elle refuse, ils la cloîtrent dans sa chambre et finissent par l’empoisonner pour l’ériger en déesse après sa mort. Aujourd’hui encore, il est impossible de faire un pas à Pondichéry sans apercevoir les portraits du philosophe et de la Mère qui trônent dans nombre d’échoppes ou de points Internet.
Il faut s’armer de patience et d’une carte détaillée pour rejoindre Auroville depuis Pondichéry. Même équipé de plans, il y a de fortes chances pour que vous vous égariez dans le dédale des routes et des chemins de cette cité perdue dans la jungle et bâtie selon un schéma urbain en forme de galaxie. C’est d’ailleurs l’objectif plus ou moins avoué. On ne veut pas de touristes. Pas question de devenir le Goa de la côte Est ! Alors histoire de compliquer la tâche des visiteurs, les panneaux indicateurs sont réduits au strict minimum. Et quand vous avez l’audace de le faire remarquer aux Aurovilliens chez qui vous arrivez après une bonne demi-heure d’errance, ils vous répondent d’un air évasif : “Ah bon ?!”
Une fois remis de ses émotions, le visiteur peine à se faire une idée objective de l’endroit où il se trouve. Il risque d’être déconcerté à la vue de ces Occidentaux, cheveux au vent sur leurs motos, qui ont l’air d’être en vacances permanentes. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Et de quoi vivent-ils ? “En fait, il y a autant d’Auroville que d’Aurovilliens”, commente Cécilia, une Française arrivée ici en 1994. La jeune femme habite une magnifique maison entourée d’un somptueux jardin tropical, située dans la Ceinture verte, à la fois zone tampon entre l’intérieur et l’extérieur, et poumon de la ville. Après avoir travaillé dans les deux écoles maternelles de la collectivité, elle anime à présent un atelier d’expression par la peinture selon la méthode d’Arno Stern. Son mari, lui, à l’exemple d’autres entrepreneurs d’Auroville (voir encadré) a créé une société d’architecture acoustique, active dans toute l’Inde, dont il reverse plus du tiers des revenus à la communauté. Les Occidentaux d’Auroville font partie d’une classe plutôt aisée…
Selon le dernier recensement officiel, Auroville compte 1978 résidents, dont 454 enfants. On reste très loin de l’objectif initial de 50 000 habitants. Quarante-quatre nationalités y sont représentées, dont une majorité d’Indiens (816). Parmi la population étrangère, les Français sont les plus nombreux (298) – un phénomène lié probablement aux origines de la Mère et au passé colonial français de Pondichéry –, suivis des Allemands (227), des Italiens (95), des Néerlandais (82) et des Américains (70). Malgré les faibles effectifs, les nouveaux venus doivent attendre plusieurs années avant de pouvoir s’installer dans leur propre habitation. Le site souffre en effet d’une grave pénurie de logements. Urbanistes, architectes et promoteurs obéissent souvent à des approches différentes. Toutes les décisions étant prises à l’unanimité à l’issue de laborieuses discussions, le résultat se traduit par une “paralysis from analysis” (paralysie due à trop d’analyse), comme le rapporte dans son numéro de décembre Auroville Today, le magazine édité sur place. À moins qu’il ne s’agisse tout bonnement de ce bon vieil instinct de propriété qui pousse certains à veiller jalousement sur leur territoire…
Avec une superficie totale de 20 kilomètres carrés, ce n’est pourtant pas l’espace qui manque. La ville est bâtie autour du Matrimandir, une sphère de 29,5 mètres de haut et de 36 mètres de diamètre, recouverte de disques d’or, qui se veut à la fois “l’âme d’Auroville” et son cœur géographique. Commencé en 1971 d’après les plans de l’architecte français Roger Anger, ce lieu de concentration silencieuse se compose d’une chambre intérieure de marbre blanc, ornée en son centre d’un globe de cristal de 70 centimètres de diamètre, et de douze pétales de pierre renfermant autant de salles de méditation. À l’intérieur, ni fleurs ni encens. Les lieux sont dénués de toute décoration ou icône religieuse, conformément aux instructions de la Mère. Mais encore une fois, ne vous attendez pas à pouvoir les visiter librement. L’accès y est strictement réglementé. Même le site d’observation du Matrimandir, situé dans les jardins environnants, requiert l’obtention d’un laissez-passer auprès du Centre des visiteurs.
Cependant, ces codes, principes et autres règlements qui régissent la vie de la communauté ne doivent pas occulter les prouesses technologiques réalisées par les Aurovilliens. Le tout dans un souci de développement durable et de respect de l’environnement. La naissance même de la cité s’est accompagnée d’une vaste opération de reforestation. Difficile d’imaginer que la jungle luxuriante qui entoure le site aujourd’hui n’était, au départ, qu’un vaste plateau désertique. La terre était alors si érodée qu’elle était dure comme de la pierre. Il a fallu créer un réseau de talus, de réservoirs et de barrages pour retenir l’eau qui, en cette région battue par la mousson, se fait ou trop rare ou trop abondante. Une fois le cycle de l’eau maîtrisé, la replantation pouvait débuter. Au fil du temps, le désert a cédé la place à une flore caractéristique des forêts tropicales sèches. L’anacardier y occupe une place de choix. Son fruit, la noix de cajou, est une denrée précieuse en Inde, qui en est le premier producteur mondial.
Dès le début, Auroville, par le biais de son Centre de recherche scientifique (CSR), a misé sur l’écologie et les énergies renouvelables. Une trentaine d’éoliennes et une centrale électrique solaire assurent une partie de l’approvisionnement énergétique de la communauté. Pour la construction des édifices du site, le CSR a perfectionné l’utilisation du ferrociment, matériau peu coûteux et très résistant. Il a également élaboré un procédé de fabrication de briques en terre compressée non cuite, moins chères, plus écologiques, plus imperméables à la mousson et antisismiques. Dans les cuisines, on a recours au biogaz, issu de la bouse de vache. Et à la Cantine solaire, qui sert quelque 700 repas par jour à un prix dérisoire, un concentrateur solaire, composé de 1 100 petits miroirs posés sur une structure en ferrociment, permet de cuisiner à la vapeur. L’agriculture y est biologique et alimente la banque de graines d’Annadana, un vaste réseau de production, de conservation et d’échange de semences en Inde et en Asie du Sud. Cette association s’est fixée pour mission d’aider les petits paysans à retrouver leur autonomie semencière, de lutter contre l’érosion de la biodiversité et de combattre la malnutrition en favorisant le développement de la culture potagère.
On l’aura compris, Auroville veut servir de modèle aux futures générations. Un modèle écologique mais aussi humain, “un pont entre le passé et l’avenir” comme il est écrit dans sa charte constitutive. “Auroville est une expérience qui continue à grandir, une aventure difficile à expliquer sans paraître prétentieux ou nébuleux”, conclut Anne, de l’équipe d’Outreach, chargée des relations avec les médias. Quant à “l’unité humaine” préconisée par la Mère, il faudra encore patienter. Car si, au départ, Auroville ne devait “appartenir à personne en particulier” mais “à toute l’humanité”, certains ont eu tôt fait de s’approprier les lieux. Après tout, la crise du logement qui rend pratiquement impossible l’installation de nouveaux venus ne révèle-t-elle pas un comportement élitiste et petit-bourgeois à mille lieues des aspirations initiales ? À trop vouloir vivre entre eux, les Aurovilliens risquent fort de transformer la belle utopie initiale en un vaste écovillage spirituel pour Occidentaux nantis en mal de destination exotique.
Régine Cavallaro pour http://www.lemonde.fr/voyage