MOOC :Apprendre n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand.

Notre époque est celle de changements rapides et à tous les niveaux. L’enseignement universitaire n’est pas en reste, agité par une nouvelle technique d’enseignement appelée « mooc », venant des Etats-Unis où elle est née il y a deux ans (deuxième moitié de 2011). Mooc veut dire « massive online open course ou, en français, cours en ligne ouvert et massif.

1 – Les moocs, c’est quoi ?

 

 

 

Il s’agit de plateformes ouvertes d’enseignements à distance, profitant du haut débit généralisé et du taux élevé d’ordinateurs personnels, mobiles et tablettes. Le but de ces plateformes mooc est de proposer un grand nombre de cours universitaires… gratuitement.

 

Mais de quoi vivront les concepteurs de ces plateformes et ceux des moocs ? En faisant payer la certification.

 

Les avantages du mooc ? Parmi les plus souvent mis en avant :

 

  • faire profiter le plus grand nombre de cours de haut niveau ;
  • adapter l’enseignement à chaque élève.

Ce dernier assimile l’enseignement à son rythme. Pour cela, il doit visualiser des vidéos (souvent courtes, une dizaine de minutes), répondre à des questionnaires de compréhension en ligne et échanger sur des forums dédiés.

 

Avec les moocs, terminé la classe nivelée pour l’élève moyen qui n’est plus adaptée en raison des écarts de niveau trop élevés constatés entre les élèves d’aujourd’hui.

 

Dans le même ordre d’idée, les moocs permettraient d’en finir avec l’enseignement à l’ancienne, les systèmes fermés, les profs qui pérorent pendant des heures devant un amphi, racontant les mêmes blagues depuis quinze ans.

 

Daphne Koller, cerveau brillant et peu adapté au système classique, une des principales initiatrices des moocs, ne dit pas autre chose. Cela n’est pas entièrement faux comme approche, il y a aujourd’hui certainement des choses à changer et un vrai besoin d’évoluer pour le monde universitaire. A quelle vitesse le faire ? Qui doit l’initier ?

 

Un tout dernier objectif souvent moins mis en avant : économiser de l’argent. Les moocs seraient ainsi une solution à l’énorme endettement des étudiants aux Etats-Unis.

 

Les moocs ont de multiples avantages, mais on peut être moins enthousiaste que ce président d’université qui nous explique que certains de ses profs “n’ont quasiment pas dormi pendant six mois pour préparer leur mooc”, que ces moocs aideront les étudiants de son campus, les mères au foyer, les seniors et le Tiers-Monde, etc. Ce qui ne veut pas dire que les moocs n’auront pas un apport sans doute utile, à vérifier avec mesure dans les années qui viennent.

 

2 – Les moocs sont déjà là

 

 

Les premiers moocs mis en ligne ont bien une affluence “ massive ”, en dizaines de milliers d’inscrits. Sans surprise, ils sont un peu moins à aller au bout du cours, par exemple en le validant par un examen en ligne.

 

A ma connaissance, ces moocs ont été réalisés par des profs volontaires jusqu’à présent. Et ce malgré l’effort nécessaire pour concevoir ces moocs, effort unanimement reconnu comme démesuré, un grand nombre de moocs sont aujourd’hui disponibles sur Internet. Tout le monde peut en profiter ! Vous êtes anglophones ? Pourquoi ne pas suivre un ou plusieurs des prestigieux Top Five Mooc Courses tels que listés sur le blog Accredible ?

 

Plusieurs plateformes de moocs existent déjà. Coursera, la plateforme la plus connue aujourd’hui, et Udacity ont été conçues à Stanford. Dans ce premier cercle, il y a aussi une plateforme commune de Harvard et du MIT (excusez du peu) : EdX. En plus de ces plateformes lancées à coût de millions de dollars, un grand nombre d’autres plateformes existent aussi avec des outils de Google, des outils “ maison ”, etc.

 

Sur ces plateformes, plusieurs moocs, développés au Etats-Unis, ont vite vu le jour. L’Europe n’a pas tardé à suivre : la prestigieuse EPFL (l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) a longtemps été la seule en Europe à proposer un mooc sur la plateforme Coursera (objet : Scala, un relativement obscur langage de programmation informatique). Elle a depuis été rejointe par un grand nombre d’établissements en Europe.

 

Depuis la rentrée 2013, l’X (Ecole polytechnique) diffuse gratuitement des cours en ligne sur Coursera également : mathématiques appliquées, conception et mise en œuvre d’algorithmes, etc.

 

Dans le cadre de son initiative récente pour l’enseignement à distance, la ministre de l’Enseignement et de la Recherche, Geneviève Fioraso, a annoncé la création de “FUN”, France Université Numérique, plateforme de moocs française sur laquelle les premiers cours pourront être suivis début 2014.

 

3 – Quel avenir pour les cours traditionnels ?

 

 

Que penser de cette nouveauté ? Les moocs remplaceront-ils rapidement le bon vieux prof déclamant son cours en amphi, complété par des TD (travaux dirigés) et TP (travaux pratiques) ?

 

Prenons un cours en école d’ingénieur, “Introduction aux réseaux informatiques”.

 

Dans les dizaines d’écoles d’ingénieur, en France seulement, nous sommes sans doute plus de 50 personnes à enseigner ce cours. Si on décidait d’enseigner ce cours sous forme de mooc, on aurait alors l’émergence d’au plus trois-quatre moocs sur ce sujet, les meilleurs du genre.

 

Plus les moocs se répandent et plus les profs “ locaux ” seront remplacés par des profs rockstar ou businessmen prospères dont les vidéos sont utilisées par tous les autres profs, répondant aux questions des élèves et ajoutant aux moocs des séances d’exercices.

 

Ce changement se fera-t-il à marche forcée, par exemple pour cause de manque de moyens ? Sera-t-il vraiment dans l’intérêt de l’élève ? Comment nos nouveaux profs rockstars gagneront-t-il leurs revenus ?

 

L’intérêt de cette dernière question est l’influence de la source de revenus sur la construction du cours, un prof étant comme tout autre être humain, pas totalement insensible à ce détail. Je pense à un nouveau métier : certifieur de compétences (rappel : la certification est la seule source de revenus prévue aujourd’hui pour les moocs). Allez apprendre le cours algorithmes I sur le mooc de votre choix et je vous certifie votre connaissance ou compétence acquise (par un moyen ou un autre et avec une légitimité à construire)… Deux fois moins cher que la plateforme Coursera où vous avez suivi ce cours.

 

On le voit, le nouveau modèle économique est bien difficile à prévoir. Une autre question est le choix de la langue : un mooc par langue ? Un mooc universel en anglais ? Cela pourrait être possible pour certains sujets et nous en avons déjà un exemple avec une formation pratiquement universelle de l’entreprise Cisco portant sur la configuration des équipements pour Internet.

 

4 – Quelles perspectives pour les profs ?

 

 

Si la massification est vraiment réalisée, il y aura moins de profs à faire cours. Même les profs auteurs de moocs pourront vaquer à d’autres occupations, une fois leur mooc achevé. Que serait alors le futur du métier de prof ? Plusieurs scénarios pour l’enseignement universitaire peuvent être envisagés d’ici 2020 :

 

  • le métier de prof d’université rejoindra-t-il les métiers qui ont disparu avec les progrès de la technologie et de la société ?
  • Les profs deviendront des accompagnateurs de moocs ?
  • Les profs seront-ils remplacés par des “ animateurs numériques ” chargés de surveiller les élèves suivants un cours en ligne ?
  • Les profs évoluant en, ou remplacés par, des créateurs de moocs avec des acteurs spécialisés qui déclameront le cours. Un futur métier : acteur de mooc ?

Rappelons-nous, par analogie, que Gérard Depardieu n’était pas spécialiste de l’Histoire avant d’incarner brillamment à l’écran un grand nombre de personnages historiques…

 

5 – Une idée vraiment nouvelle ?

 

 

On pourrait écrire qu’un mooc n’est rien d’autre que l’enseignement en ligne et donc à distance, auquel on ajoute les termes (anglais) “massive” et “open” (gratuit). L’enseignement à distance date d’avant le numérique, il avait déjà été proposé à la fin du XIXe siècle. D’après Wikipédia, 4 millions d’Américains suivaient des cours à distance dans les années 20.

 

Alexandre Vialatte a écrit dans ses “Chroniques de La Montagne” publiées en mai 1963 :

 

“L’enseignement par les moyens audiovisuels va devenir extrêmement facile. Il suffira de tourner le bouton de la télé. Un professeur, du haut de l’écran, fera la classe à toute la France. […] On pourrait donc perfectionner la chose en imprimant la conférence du professeur. […] Allons plus loin, rêvons d’avenir. Qui empêcherait de rassembler au sein d’un même ouvrage toutes les leçons sur un même sujet, disons l’histoire, ou la géographie. […] On pourrait apprendre n’importe où, n’importe quand, tout ce qu’on voudrait.”

 

Malgré cela, cet enseignement à distance n’a pas, jusqu’à présent, beaucoup affecté la façon d’enseigner en université. Ainsi, des personnes, aux expériences reconnues, pensent que les moocs ne sont qu’une mode passagère. Je pense qu’elles se trompent. Les moocs se développeront et occuperont une place essentielle à court terme. En effet, les moocs arrivent dans un contexte favorable (en particulier le très haut débit) et avec un nouveau modèle de fonctionnement (vidéos courtes, questionnaires en ligne associés, forum, etc.). Il serait risqué de les balayer d’un haussement d’épaule.

 

6 – Destruction (créatrice !) du métier de prof

 

 

Luc Le Vaillant, dans Libération, parle de ce “ monde merveilleux de la destruction numérique des valeurs. Valeurs que cette nouvelle société recréera certainement. Oui, mais lesquelles ?”

 

Après tout, on ne fait plus sa farine chez le meunier du coin. Les couturiers, les chausseurs ou les ébénistes ont pratiquement disparu en France. Les journaux papiers et les agriculteurs sont en train de disparaître à leur tour. Les profs seraient-ils comme certains journalistes au milieu des années 90 qui ne se doutaient pas que l’arrivée d’Internet serait la cause de la disparition de leur métier une dizaine d’années plus tard ? Alors que faire ?

 

Suivre le modèle du Canard Enchaîné (ignorance presque totale de l’Internet) ? Peut-on être en désaccord avec une logique suicidaire consistant à donner sur écran ce qu’on vend sur papier (pour les journaux) ou dans une salle de cours ?

 

Cela n’est pas possible dans la plupart des situations. Les moocs sont déjà en place et, comme déjà évoqué, ils peuvent avoir des avantages pédagogiques.

 

Dans un article virulent contre les moocs, Jonathan Rees évoque sans ambiguïté (on est aux Etats-Unis) les profs et leurs familles qui perdront leurs sources de revenus (aux Etats-Unis, beaucoup de ces profs sont des contractuels). De plus, ces cours mooc seraient de moins bonne qualité.

 

Je trouve cette position intenable. Quels que soient les métiers en cours de disparition, est-ce que cela en sauvera beaucoup si on crée des associations du style “Sauvons la libraire de Trifouillis-Les-Oies” ?

 

Une réponse systématique à laquelle je ne crois pas, personnellement, est : “Oui, mais nous vendrons de l’innovation ”. Pense-t-on qu’on sera éternellement plus intelligent que les autres ?

 

7 – Le pire n’est jamais certain

 

 

Alors, les moocs, mode passagère ou dégradation de l’enseignement et paupérisation du métier de prof ?

 

Commençons par rappeler que la relation prof-élève est vraiment fondamentale dans l’acquisition d’un savoir. N’oublions pas l’importance du contact humain, en particulier le contact visuel, dans l’enseignement. On peut consulter les différents modèles d’enseignement, dont la théorie du conflit socio-cognitif, insistant sur le rôle actif du professeur dans le travail de transmission et, en particulier, l’échange direct. Le besoin de l’élément humain restera donc important pour transmettre des savoirs.

 

L’évolution des moocs sera plus lente que certains l’imaginent et il y aura un processus de maturation avec des évolutions de l’enseignement en ligne avant d’arriver à une vraie massification. Cependant, l’outil informatique et l’enseignement à distance occuperont assez rapidement une place de plus en plus grande.

 

Personne ne peut s’opposer au progrès et souvent, ce progrès s’avère plus positif qu’on ne peut le penser. Platon et encore plus Socrate auraient, de leur temps, condamné l’écriture.

 

Les moocs, allons-y, mais essayons de réfléchir un peu plus au modèle à mettre en place et restons vigilants face à certains acteurs qui les poussent pour des raisons éloignées de l’intérêt premier des élèves, comme la volonté de faire des économies budgétaires ou le souhait de changer en douce l’enseignement classique. Même si ce dernier en a bien besoin, ne faisons pas ce changement à marche forcée.

L’Auteur
Loutfi Nuaymi est maître de Conférences à l’Institut Mines-Télécom/Télécom Bretagne, au département Réseaux et Multimédia.

 

SOURCE : http://www.rue89.com

Image à la une : “Mooc” écrit dans une tasse de café au lait (SBF Ryan/Flickr/CC)

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