A quoi ressemblera votre assiette dans 20 ans ?
Espérons que ce monsieur a tort… Malheureusement, je n’en suis pas sûre du tout…. Bon appétit, m’sieur dames !
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A mesure que la science évolue, nos assiettes changent. La cuisine n’est plus qu’une affaire de tabliers et de toques, les blouses blanches et les tubes à essai s’y invitent volontiers. Zoom sur notre nouveau mode de consommation et les nouvelles tendances alimentaires.
Atlantico : Nous sommes pressés, les pauses déjeuners sont écourtées quand elles ne sont pas sautées. Pour ne pas plonger dans la « malbouffe », nous consommons des bouillons tous prêts à incorporer dans nos plats, nous achetons des fruits déjà épluchés et coupés, nous prenons des compléments alimentaires… Jusqu’où notre mode de vie peut-il modifier l’apparence mais surtout le contenu de nos assiettes ?
Périco Legasse : C’est une question de choix de vie.
On considère aujourd’hui qu’on peut s’alimenter comme si l’être humain était une machine qui devait se contenter d’absorber de l’énergie. On va de plus en plus vers le « prêt-à-manger » après le prêt-à-porter. Je ne sais pas où cela va s’arrêter parce que pour l’instant on a des produits qui sont décortiqués, pelés, cuits…
J’imagine le moment où on aura le produit pré-digéré. Déjà sur le plan des consistances, quelques fois, c’est pré-mastiqué ; c’est-à-dire que ce sont des poudres, des gélatines… Le système dentaire sert de moins en moins. Le but de ce processus est de consacrer de moins en moins de temps possible à l’alimentation et de pouvoir l’assimiler le plus rapidement possible. C’est un choix de vie qui fait abstraction de la culture de l’aliment : l’organisme est une voiture dont il faut faire le plein de carburant et c’est tout. L’agroalimentaire met à la disposition du consommateur un conditionnement, une préparation simple et rapide.
En effet, les produits seront conditionnés de telle manière qu’il ne faudra qu’ouvrir une barquette et avaler le plat semblable à une pâtée ou une purée (quelque chose de très peu solide). Et ensuite, vous partirez vite devant l’écran de votre télévision, vous regarderez des spots de pubs qui vous vendront d’autres produits à consommer encore plus rapidement. Voilà vers quoi tend la société de consommation : elle veut que le citoyen soit une machine à consommer, à dépenser son salaire pour consommer des produits préfabriqués, industriels – que ce soit dans l’alimentaire, dans les loisirs…
C’est une façon du monde contre laquelle le citoyen-consommateur peut, à défaut de s’insurger, ne pas se laisser manipuler. L’alimentation la plus simple et la moins chère peut consister à aller chercher à un endroit précis un produit brut, à l’acheter dans sa fraîcheur, ou sortant d’usine, transformé par lui, chez lui, avec le même résultat mais en consacrant un peu plus de temps, et pas forcément plus d’argent. D’ailleurs, à mon avis, ces produits-là sont moins chers que les produits industriels. Un produit transformé par l’industrie revient plus cher au kilo qu’un produit brut.
Aujourd’hui, le consommateur a le choix entre du sur-mesure tout prêt ou il décide d’acheter librement son alimentation en fonction de ce qu’offre le marché
Comment les goûts alimentaires évoluent-ils d’une génération à l’autre ? Quelle est actuellement la tendance à l’œuvre et comment pourrait-elle évoluer dans les prochaines années ?
La tendance industrielle majoritaire, celle mise au point par l’industrie agroalimentaire, est tournée vers le succès : une saveur sucrée, basique, une saveur simple, facile à absorber, et, donc addictive – c’est la saveur de l’enfance. Et on sucre tout y compris les plats salés.
L’autre tendance, aujourd’hui, est de retrouver le goût des choses, c’est de se soucier de savoir d’où vient le produit, quelle forme il a, à quel saison on le cultive, comment l’accommoder. On apprend à le cuisiner avec des nuances aromatiques, gustatives. On lui donne différentes texture. On veut comprendre ce que l’on mange, il y a de la curiosité, on recherche la diversité dans son alimentation.
La société est partagée entre ces deux tendances. La première tendance citée gagne des adeptes même s’il y a une résistance, et cette résistance perdurera toujours dans une frange de la population (entre 5 et 10%, ces chiffres évolueront peut-être).
Outre les changements de comportement alimentaire, quels facteurs pourraient nous contraindre à revoir le contenu de nos assiettes ?
La démographie planétaire fait en sorte que nous ne pourrons pas continuer à consommer de cette façon (par exemple des viandes qui nécessitent des cultures intensives demandeuses de céréales, d’eau). L’humanité sera contrainte – pourvu qu’elle ait laissé les cultures en l’état – de manger des produits de la saison et de l’endroit. On ne pourra pas importer un produit au-delà de 100 km. Il y aura, dans cette perspective, évidemment des zones avantagées. Par exemple, nous mangerons mieux en Espagne, en France, en Italie, aux Etats-Unis, plus généralement, dans les pays de zone tempérée, qu’au Groënland ou dans le sud de l’Australie.
L’humanité ne survivra pas si elle ne fait pas attention à sa manière de cultiver la terre.
Comment va-t-on nourrir 10 milliards d’individus demain ? On le pourra, très paradoxalement, qu’en abandonnant la productivité. Pour que l’on puisse nourrir tout le monde, il faut que l’on respecte la terre. A force de la saturer, elle ne pourra plus rien donner. On sera obligé de manger juste ce dont on aura besoin. Le manger tout, tout le temps, partout, toute l’année sera terminé. On mangera ce qu’il y aura à l’endroit et au moment donné.
Certains de nos aliments pourraient-ils disparaître ? Quels substituts alimentaires sont en cours de recherche ?
Beaucoup d’aliments ont déjà disparu : beaucoup de variétés animales domestiques, beaucoup de variétés maraichères. Mais il en reste encore énormément, il faut les préserver. Néanmoins, si l’agriculture industrielle telle que conçue aujourd’hui n’est pas remplacée par une agriculture respectueuse de l’environnement, nous connaîtrons la disparition d’autres variétés : ces variétés ne seront plus cultivables, on ne trouvera pas les surfaces ou l’état des sols sera tels qu’on ne pourra plus les produire, auquel cas on sera obligé de développer une alimentation artificielle.
L’agroalimentaire, aujourd’hui, a les moyens de tout reproduire artificiellement. Des gens envisagent déjà l’option de créer de la viande avec des éléments biochimiques. A la place des campagnes, nous aurons des machines et des bioéléments chimiquement transformés en aliments et distribués dans les grandes surfaces. C’est une solution possible qui est pour moi synonyme de fin de l’humanité car je ne pense pas que l’être humain puisse vivre de manière épanouie en ne se nourrissant pas des produits donnés par cette terre mais par des machines. On est un peu dans la sociologie-fiction mais le problème, à mon avis, va se poser assez vite…
Depuis une vingtaine d’année, des gens effectuent des recherches notamment avec le projet européen Inicon qui part du principe qu’il pourrait ne plus avoir dans certaines régions de la planète de production agricole naturelle, et, qui réfléchit à une alimentation artificielle. Une alimentation artificielle qui aura les mêmes goûts qu’une alimentation naturelle grâce à des essences ou des arômes de synthèse. On a d’ailleurs pu reproduire artificiellement la totalité des goûts et des saveurs de la planète. On envisage que certaines populations, un jour, ne se nourriront que par ce procédé.
Grands chefs, industrie agroalimentaire et scientifiques sont-ils en train de revisiter nos plats traditionnels ? Si oui, quels sont les projets les plus fous ?
Ils ne revisitent pas. Les grands chefs apportent leur signature, leur nom, leur photo sur des produits industriels pour convaincre les consommateurs. Quant aux industriels cherchent à donner à leurs produits une légitimité, une valeur culturelle. Au final, le produit reste industriel.
Quand les grands chefs signent avec les industriels, c’est normalement pour apporter leur savoir. En fait, on se rend compte qu’il n’en est rien parce qu’ils ne contrôlent pas la production.
Le cuisinier catalan Ferran Adrià, lui, cautionne complètement la nourriture industrielle. Il met son savoir au service de l’industrie. Il est même à l’origine de la gastronomie industrielle. Il s’est demandé si toutes saveurs peuvent être reproduites par une machine. Il pense que oui et il l’a prouvé.
Il n’y en a qu’un qui a vraiment réfléchi là-dessus, c’est Michel Guérard. D’ailleurs ses projets n’ont pas aboutis parce qu’ils étaient coûteux. Il voulait vraiment allier haute cuisine et l’agro-industrie.
Comment imaginez-vous le contenu-type d’un déjeuner dans 20 ans ? Comment s’équilibreront plaisir et nécessité ?
Je pense qu’il y aura des fractures sociologiques et écologiques à tel point que certaines populations seront contraintes de se nourrir de façon technico-industrielle. A côté de cela, il y aura une élite qui se sera donnée les moyens et consommera des produits sortis du sol. Donc il y aura d’une part une partie de l’humanité qui se nourrira avec une alimentation à visage humain (en fonction des saisons), et, d’autre part ceux qui « iront à la pompe » pour apporter de l’énergie à leur organisme. Ces derniers ingurgiteront certainement des gélules ou des pastilles équivalant à un repas complet (avec toutes les calories, les vitamines, les matières énergiques nécessaires). Le repas ne prendra pas plus de 40 secondes. On peut imaginer qu’on vende des kits d’alimentation qui serait le repas de la journée.
Périco Légasse est journaliste et critique gastronomique. Il est aujourd’hui rédacteur en chef de la rubrique « art de vivre » à l’hebdomadaire Marianne.
SOURCE : Atlantico.fr