Les projets fous des géo-ingénieurs pour réparer le climat
Envoyer du soufre dans la stratosphère ou fertiliser les océans avec du fer : des scientifiques tentent de refroidir la planète par tous les moyens.
Devant l’incapacité des nations à œuvrer ensemble dans la lutte contre le réchauffement climatique, des scientifiques ont commencé à explorer une alternative audacieuse : refroidir la planète.
Substitutif ou palliatif, la géo-ingénierie regroupe les techniques qui permettraient, non pas de réduire nos émissions, mais de freiner voire inverser le dérèglement.
John Holdren, le conseiller scientifique d’Obama, l’envisageait en 2009 comme une voie à explorer en dernier recours, un plan B « si nous sommes suffisamment désespérés ».
Depuis, la géo-ingénierie s’est taillée une place considérable dans les débats sur le climat, et de nombreux projets ont bourgeonné dans l’esprit des scientifiques.
Des miroirs dans l’espace
Certains de ces projets relèvent clairement de la science-fiction. L’Américain Roger Angel a par exemple proposé en 2006 d’envoyer des milliards de petits engins en orbite, tous équipés d’un miroir, pour réfléchir 1% du rayonnement solaire. Un projet qui coûterait la modique somme de quelques milliers de milliards de dollars.
Mais d’autres projets sont scientifiquement beaucoup plus solides. Celui du météorologue et prix Nobel néerlandais Paul Josef Crutzen s’est rapidement imposé comme le plus plausible. Son idée : projeter des particules de soufre en haute atmosphère pour contrer le rayonnement solaire.
La technique s’inspire d’un phénomène naturel mais transitoire : les éruptions volcaniques de grande envergure (le Pinatubo en 1991 par exemple) dont les colonnes de fumée soufrée atteignent aisément la stratosphère, provoquant un rafraîchissement régional de quelques années.
Ainsi, des millions de tonnes de soufre seraient dispersées en continu grâce à des tuyaux, des avions ou des ballons.
Le début de la mobilisation
La recherche en géo-ingénierie est prise très au sérieux par les Etats, qui ont tous commandé des audits sur ses potentiels et effets à long terme. Les Britanniques ont ouvert le bal : en septembre 2009, la Royal Society publiait une étude de 12 mois qui ciblait deux domaines de recherche :
- la capture du CO2 atmosphérique, regroupant les techniques visant à créer des « puits de carbone » naturels ou artificiels (fertilisation des océans avec du fer, reboisement massif, etc.) ;
- la gestion du rayonnement solaire, regroupant les techniques de réfléchissement chimique ou mécanique (injection de particules d’eau, de soufre, repeindre le désert en blanc, etc.).
La Chine s’est également lancée dans la course, et on apprenait hier que la CIAparticipait au financement d’une étude de l’Académie nationale des Sciences sur le sujet, une étude dont le coût avoisine les 500 000 euros. En France, l’Agence nationale de la recherche a lancé l’année dernière un atelier de réflexion sur ce thème.
Des expériences ont déjà eu lieu
Certaines équipes de scientifiques impatientes ont même déjà voulu tenter des expériences de géo-ingénierie à petite échelle. Le projet britannique Spice avait ainsi pour but d’étudier les effets de l’injection d’aérosols dans la stratosphère sur le réchauffement climatique, en étudiant et modélisant les éruptions volcaniques.
Un des pendants du projet – abandonné depuis pour conflits d’intérêts sur les brevets – consistait à mener une expérimentation en envoyant des particules d’eau dans l’atmosphère, grâce à un tuyau d’un kilomètre de long.
Une autre initiative menée au large du Canada a en revanche bel et bien abouti. Le Guardian révélait en octobre dernier qu’une société américaine avait déversé 100 tonnes de sulfate de fer dans l’océan Pacifique, menant ainsi la plus grande expérience – et la plus controversée – jamais enregistrée en la matière.
L’objectif : fertiliser l’océan, ou plutôt stimuler le plancton grâce aux particules de fer, avec la promesse (outre de capturer du carbone absorbé par le plancton) de ramener les saumons dans cette zone géographique. Un succès apparemment, mais dont les conséquences environnementales sont encore douteuses.
« Il y a encore beaucoup à apprendre »
Ces expériences pourraient se multiplier dans les années à venir, face à la lenteur de la réduction des émissions de dioxyde de carbone. Une dynamique qui n’est pas sans inquiéter certains scientifiques, comme le météorologue Olivier Boucher :
« Il ne faut pas occulter ces techniques, mais nous n’avons pas besoin de nous lancer tout de suite dans des expérimentations. Il y a encore beaucoup à apprendre de la modélisation et de l’étude des éruptions volcaniques. »
Des scientifiques ont par exemple émis l’hypothèse que le dernier petit âge glaciaire soit en réalité la conséquence d’une réaction météorologique en chaîne déclenchée par une série d’éruptions volcaniques de longue durée.
Refroidir le climat … et assécher la planète ?
De nombreuses études et publications récentes sont venus renforcer le scepticisme à l’égard de la géo-ingénierie. La complexité de la machinerie climatique oblige à prendre en compte d’autres données, la pluviométrie par exemple :
« Certes, on peut refroidir le climat. Mais on ne peut pas maintenir à la fois la température et les précipitations au niveau où elles sont aujourd’hui. Projeter des particules dans la stratosphère engendrera des modifications dans le niveau des précipitations à l’échelle régionale. »
Pour preuve, un article dans Nature Climate Change établissait un parallèleentre les grandes éruptions volcaniques (et donc la projection d’aérosols dans l’atmosphère), et les sécheresses dramatiques qui ont accablé le Sahel.
La pluviométrie chuterait en réalité sur presque l’ensemble du globe, pouvant atteindre une réduction de vingt centimètres annuels en Eurasie et Amérique du Nord.
Un coût dérisoire à court terme
Un des arguments régulièrement avancés par les défenseurs de la géo-ingénierie : ce serait une alternative particulièrement bon marché, comparée aux efforts consentis pour la réduction des émissions.
Les estimations font rêver : certains experts estiment qu’inverser complètement le changement climatique ne coûterait qu’une centaine de milliards de dollars, tandis que d’autres vont même jusqu’à invoquer une somme cent fois moindre. Olivier Boucher n’est pas convaincu :
« Il y a effectivement un consensus pour dire que cette technique est relativement peu chère. Mais je ne pense pas que ces estimations court-termistes soient faites très rigoureusement. »
Non seulement il faut prendre en compte le coût des externalités – c’est à dire les coûts liés aux impacts indirects sur les populations (l’agriculture après assèchement de certaines régions du globe par exemple) – mais aussi l’augmentation du prix des moyens mis en œuvre sur la durée.
Car plus les Etats pollueront, plus il faudra augmenter l’infrastructure de refroidissement et les dépenses qui l’accompagnent – dix fois plus après vingt ans, 100 fois après 50 ans.
Le risque du renoncement à l’écologie
Outre le question du caractère aléatoire des conséquences engendrées par de telles expériences, se pose le problème de « l’aléa moral ». Olivier Boucher :
« Le fait même de parler de ces techniques pourrait inciter les politiques à ne pas faire les efforts nécessaires en matière de réduction des émissions de CO2. C’est ce que les Britanniques appellent le “moral hazard”, “l’aléa moral” en français. Mais ne pas en parler n’est pas non plus la solution. »
Car réduire les émissions reste indispensable. Substituer la géo-ingénierie à l’écologie comporte un danger de taille : si la technique venait à ne plus fonctionner – pour des raisons scientifiques, climatiques ou technologiques –, la planète serait confrontée à un « effet de rattrapage ».
« Avec ces techniques, on ne fait que masquer le réchauffement. Selon certains calculs, il ne faudrait que dix ans d’arrêt pour que la température globale redevienne ce qu’elle aurait du être sans l’intervention de la géo-ingénierie. »
Qui a le doigt sur le bouton ?
Un moratoire existe aujourd’hui sur la géo-ingénierie, du moins « de facto ». Mais il n’est pas insensé d’avancer que les premiers projets réels pourraient être mis en place à courte échéance : une ou deux décennies. Se posera alors une question majeure : Comment les financer et les encadrer ?
La dimension mondiale de leurs effets obligera les Etats à se coordonner et à dialoguer sur les ressources à mobiliser pour monter et entretenir les infrastructures, et il faudra surtout se mettre d’accord sur leur emploi.
Et comme on l’a vu précédemment, ce qui peut être salvateur d’un côté de l’équation – ou du globe – peut être destructeur de l’autre. Vu les incertitudesqui pèsent sur la lutte contre les émissions carbonnées, il y a fort à parier qu’en ce qui concerne la géo-ingénierie, le concert des nations sera quelque peu dissonant.