QUE FAIRE POUR UN MONDE MEILLEUR ?
Les problèmes les plus graves qui se posent actuellement sont d’origine humaine. Y compris les problèmes matériels.
Ce ne sont pas les progrès des sciences et techniques, qui peuvent les résoudre. Ceux-ci n’ont fait que les amplifier : sans l’armement atomique, les guerres ne menaceraient pas la survie de l’espèce, sans les progrès de la médecine et de l’agronomie, le poids de la population humaine sur son environnement, ne serait pas aussi critique qu’aujourd’hui…
La puissance technique n’est pas un mal en soi. Mais a-t-on la maturité suffisante pour en faire bon usage ? Les hommes sont-ils, dans leur ensemble, capables de vivre en paix, de gérer correctement leur environnement ? C’est, en tout cas, le défi majeur de notre temps.
Que faire pour un monde plus juste et équilibré ? Comment lutter efficacement contre la guerre, la misère, la destruction du milieu naturel ?
Bien sûr, on peut agir utilement au sein de la société, par son travail, ses bonnes actions, ses protestations, sa rigueur morale. Mais faute d’une force d’entraînement suffisante, d’une cohérence d’ensemble, cela ne changera rien à grande échelle. Il est facile de dire : « si tout le monde faisait comme moi, il n’y aurait plus de problèmes ». Mais cette éventualité est impossible pour une simple raison statistique. Nous sommes trop nombreux.
Si l’on veut que les choses s’améliorent réellement, à l’échelle de la planète, il faut envisager un processus prenant en compte la réalité humaine : notre faiblesse et notre multitude.
Il est certains maux dont la réduction passe manifestement par la recherche d’une organisation différente. En fait, beaucoup ne peuvent être résolus que globalement. Difficile d’être un humaniste cohérent sans remettre en cause l’économie actuelle. « Donner aux pauvres », est-ce respecter leur dignité ?
Le réformisme classique présente certaines limites. Par exemple les interventions de l’État peuvent aider l’économie et limiter la misère. Mais elles ont un coût, lequel entrave l’économie et donc, indirectement, favorise la misère. La concurrence internationale, le risque de chômage, les lobbies de toutes sortes réduisent la marge de manœuvre des gouvernants. Les lois et règlements deviennent inextricables.
Il est certaines améliorations qui nécessitent une remise en cause du plan d’ensemble. Il est des situations où se contenter de perfectionner ce qui existe, ne permet plus de progresser suffisamment.
Il est donc souhaitable que certains travaillent à la recherche d’un système meilleur, fondamentalement différent, qui contrebalancerait ou remplacerait le précédent.
Le système actuel est très loin d’être juste. Les rémunérations de chacun ne sont pas généralement en proportion de son effort ou de son apport positif. Par le jeu des héritages ou d’autres transactions, d’aucuns bénéficient de droits leur permettant des revenus indépendants de leur contribution personnelle au bien d’autrui.
En quête de plus de justice, on pourrait imaginer de donner à chacun selon son travail.
Mais comment déterminer les revenus ? Certainement pas d’après le temps consacré à la besogne, car tout le monde ne travaillerait pas avec la même ardeur ou productivité, car toutes les activités ne sont pas également pénibles, ni ne nécessitent les mêmes niveaux de compétence. D’après la production ? Mais comment comparer deux productions ou services différents ? Comment évaluer rigoureusement leur utilité ? Comment comparer la réparation d’une route, avec l’enseignement d’un professeur de mathématiques, la prestation d’un artiste ou celle d’un chercheur ? Qui évalue ? Et selon quels critères ? Tout cela semble fort difficile à mettre en place. Cette estimation est-elle seulement possible ? N’a-t-on pas besoin de l’ensemble de tous ces services, chacun jouant un rôle qualitativement différent ?
Le « libéralisme » économique résout cela. Point de morale préétablie, souvent discutable. C’est la négociation, le « marché », qui détermine la valeur des choses. Cette négociation se fait bien en fonction de l’intérêt des gens : nul n’achète quelque chose qui ne lui sert pas ou qu’il n’apprécie pas.
Mais ce raisonnement est quelque peu limité.
L’intérêt de chacun est-il satisfait équitablement ?
Cet « intérêt » est-il établi en l’absence de toute contrainte ?
Mon désir à un instant donné correspond-il à mon intérêt véritable ?
Surtout, cette résultante de désirs à court terme d’un grand nombre de personnes est-elle compatible avec leur bien à long terme ? Pensons à l’environnement.
Par exemple, depuis des décennies, le nombre de poissons dans les mers diminue constamment. Cela provient essentiellement de ce que la quantité pêchée chaque année est supérieure à leur taux de renouvellement naturel. Si cela continue, non seulement il y aura pénurie, mais des espèces disparaîtront.
Pour pallier ce problème, il suffirait de ne prélever que ce qu’autorise leur vitesse de reproduction. Des règlements ont été proclamés en ce sens, mais comment vérifier leur application ? Surveiller des millions de pêcheurs disséminés sur tous les océans ? Un tel projet est utopique. Quel est l’objectif de chaque pêcheur ? Gagner un maximum d’argent. Ne serait-ce que pour rembourser les traites d’un équipement de plus en plus coûteux, sans lequel il risque de ne pas être suffisamment compétitif… Et comment est-il condamné à parvenir à ses fins ? En pêchant le plus possible…
Un système qui se fonde sur des intérêts limités (enrichissement individuel) peut-il garantir le bien être de tous à long terme ? La survie de notre espèce ? Autorise-t-il une gestion intelligente du milieu, qui doit être nécessairement globale ?
Sans parler de la surenchère dans la consommation… d’ailleurs souhaitable si l’on veut « lutter contre le chômage ». Si si !
En outre, celui qui est trop pauvre, intéresse moins le prestataire de services ou le marchand de biens, car il n’est pas en mesure de payer beaucoup. L’intérêt de ce dernier n’est donc guère satisfait. Vos intérêts sont d’autant plus satisfaits que vous êtes riches. Ce sont même les désirs accessoires des plus riches qui orientent et dirigent l’essentiel de l’activité humaine (car ce sont eux qui dépensent le plus, et leurs besoins essentiels sont rapidement comblés). C’est pour eux que tout le monde travaille le plus clair de son temps, tandis que le pauvre est laissé dans sa misère, par le simple jeu de ce système économique.
Dire que le pauvre a toujours la possibilité de s’enrichir est fallacieux ; il serait plus honnête de préciser qu’il lui est d’autant plus difficile de le faire, qu’il est pauvre. Ce n’est pas la « possibilité », qui compte (rien n’est jamais impossible), c’est le degré de difficulté.
Ce système accroît donc les inégalités, et entretient une misère que les progrès techniques auraient pu éliminer depuis longtemps.
En sollicitant des intérêts à courte vue en permanence, il assure leur prépondérance. Ces intérêts sont à l’origine de conflits de toutes sortes, et de la destruction de l’environnement.
Une réglementation peut en limiter les méfaits… mais avec des « effets secondaires » dus à sa complexité, à l’ampleur des moyens qu’elle nécessite, à la corruption etc.
Les œuvres caritatives ne font pas le poids, face à la logique économique qui fait tourner le monde.
Il faudrait une autre « logique ».
D’un côté : un système ingérable, utopique (le socialisme); de l’autre : un système réalisable, réalisé, mais inique et destructeur (le capitalisme).
D’ailleurs, a priori, c’est moins « le système », qui engendre la situation planétaire « préoccupante » où nous nous trouvons, que l’état concret de la psychologie humaine. En l’occurrence : la prééminence d’ambitions limitées à soi-même ou à quelques proches, la prééminence de l’avidité (d’où le capitalisme tire son « succès »).
Celui qui écoute réellement son cœur, lorsqu’il réalise l’état du monde, les difficultés matérielles dans lesquelles vivent encore des milliards d’êtres humains, ne peut accepter de se consacrer à de petites ambitions personnelles. Il fait passer les besoins essentiels des plus pauvres avant ses désirs accessoires. Il aspire à la paix, à la justice, au bien commun…
Mais encore faudrait-il qu’une structure adéquate existe, qui permette de réduire l’injustice à grande échelle, en fédérant durablement les initiatives généreuses pour qu’elles cessent d’être dérisoires…
Imaginons une négociation commerciale entre humanistes. Chacune des parties prendrait également en compte l’intérêt de son « adversaire ». On imagine que la détermination des prix serait difficile et fluctuante. Dans cette hypothèse vertueuse, l’économie de marché serait complètement inutile et inadaptée. C’est en fonction des besoins les plus élémentaires et urgents du plus grand nombre, que chacun voudrait travailler. Une évaluation monétaire du travail des individus ne serait plus nécessaire, car ils ne travailleraient pas pour un revenu, mais pour apporter quelque chose aux autres, à la société dans son ensemble. Dans cette hypothèse, les inégalités ne s’aggraveraient pas, mais, au contraire, se résorberaient. Il y aurait harmonie des hommes entre eux ainsi qu’avec leur environnement (puisque ce dernier serait respecté, tant pour lui-même que pour la survie les générations futures).
Resterait aux hommes à s’organiser pour être aussi efficaces que possible dans le sens du bien de tous. Cette tâche ne poserait pas de problèmes insurmontables, tandis qu’actuellement, l’iniquité et la guerre renaissent indéfiniment sur le terreau de l’égoïsme.
Évidemment, imaginer un monde ne comportant que des hommes parfaitement humanistes relève de l’utopie.
L’homme ne sera jamais parfait. Mais chacun peut s’améliorer…
Pourquoi ne pas imaginer un système favorisant ce perfectionnement, cet apprentissage de son humanité ? (laquelle est à la source d’un bonheur durable).
La seule éducation, transmission de valeurs, a clairement montré ses limites. Elle est nécessaire, mais une économie plus adaptée l’est également (car, précisément, nous ne sommes pas parfaits).
Le système actuel entretient l’égoïsme, chacun devant, nuit et jour, se préoccuper de « ses biens » (au risque de les perdre), ces derniers pouvant être étendus à l’infini (grâce à l’argent et aux systèmes bancaires), toutes sortes de désirs matérialistes étant constamment sollicités (grâce à la publicité).
Un mode de vie différent, plus porté sur l’être, la réflexion, l’entraide, le respect de l’environnement et des autres, serait plus favorable au développement de notre sociabilité, de notre humanité.
Par ailleurs, pour qu’un système reposant sur l’amour, puisse fonctionner, les individus sur lesquels il s’applique doivent être dès le départ, suffisamment humanistes, suffisamment motivés. Il ne peut donc être instauré suite à une révolution dans un pays, ni même une prise de pouvoir démocratique (il y aurait toujours une minorité qui n’aurait pas la mentalité adéquate).
D’un côté, avant d’être extérieure, l’harmonie doit commencer à l’intérieur de nous-mêmes. De l’autre, nous sommes influencés par notre environnement.
La solution à ce dilemme : que les personnes suffisamment mûres se bâtissent leur propre économie, proposant ainsi un modèle socio-économique viable. Elles mettraient en place une structure qui favorise non seulement l’humanisme, mais aussi la liberté d’expression et d’innovation de chacun. L’individu doit en rester maître…
Pourquoi pas un réseau de petites communautés ? Cette structure est compatible avec une démocratie directe, l’absence de hiérarchie. Ce serait une garantie contre les grands « pacificateurs », les dérives du pouvoir. Elle permet une gestion des problèmes au plus près du terrain (décentralisation). De par sa rationalité (réduction de transports, d’emballages, mises en commun de services etc.) elle réduirait le travail et la surexploitation de l’environnement (à bénéfice égal). Elle autoriserait une certaine diversité.
Elle présente la souplesse nécessaire pour évoluer en fonction du nombre de volontaires. Ce serait un noyau susceptible de germer.
Cette structure ne se bâtirait pas en opposition au système existant, mais pourrait au contraire coopérer avec lui. D’où une mise en place en douceur.
Même si elle se limite à une petite partie de la population, elle ne peut qu’avoir un effet positif. Deux économies, l’une basée sur l’égoïsme et l’autre sur la bienveillance, c’est mieux qu’une économie basée sur l’égoïsme pour tout le monde. C’est une liberté, une richesse supplémentaire. Les deux régimes ne seraient pas concurrents mais complémentaires. Les communautés ne vivraient pas isolées du reste de la société. Les échanges humains ne se réduisent pas aux seuls échanges économiques !
Par exemple, un régime adapté à l’égoïsme, doit être encadré par des lois, des règlements, pour ne pas être trop destructeur. Or l’application de ces lois implique un contrôle. Qui l’exerce ? Si tout le monde est égoïste, le problème de la corruption est insoluble. Les lois sont mal appliquées… On pourrait envisager que des personnes vivant sous le régime « solidaire » (mode de vie transparent et démontrant leur altruisme) viennent en aide aux autres en occupant certaines fonctions sensibles…
Cette idée ne se veut pas exclusive. Pour un monde meilleur, il y a sans doute d’autres choses utiles à faire. C’est une initiative parmi d’autres, qui a l’avantage de pouvoir être mise en œuvre dans l’immédiat, en dehors de toute logique conflictuelle. Quoiqu’en son absence, il semble difficile d’envisager un avenir à long terme.
C’est une proposition pour ceux qui, ayant dépassé les stades du refoulement, des jérémiades et de l’agitation, ont envie de cultiver un « jardin » aux dimensions de leur humanité.
DP (2001) via http://humanismepur.free.fr