ILS L’ONT FAIT : Le laboratoire du partage
« Ici, c’est le royaume de la débrouille. Vendredi dernier on voulait faire un barbecue. On n’en avait pas alors on en a bricolé un », lance Martial en pointant du doigt une bonbonne de gaz découpée reposant sur deux cadres de vélo. Rien d’extraordinaire pour ce membre actif de l’association Technistub. Une soirée par semaine, ils sont une dizaine à se réunir autour d’une bière pour bricoler dans un hangar bordélique.
De l’entrepreneur désireux de réaliser un prototype, à l’étudiant en passant par le particulier voulant réparer sa cafetière ou construire un robot, les portes sont ouvertes à tous dans une optique de mutualisation des outils et des connaissances. Les porteurs de projets exposent leurs idées et ils réfléchissent ensemble au meilleur moyen de la mettre en œuvre.
À la disposition de la trentaine d’adhérents, une imprimante 3D, une découpeuse laser ou encore une fraiseuse à commande numérique. Pour atteindre les machines, les usagers doivent se frayer un chemin parmi des montagnes de caisses de pièces détachées, des carcasses de vélos et de vieilles machines qui n’attendent que d’être démontées ou remises en état.
École de la bidouille
« Quand une personne arrive, elle est formée sur le matériel. On est vite bloqué à la maison alors qu’ici, il y a quelqu’un qui peut t’aider. On apprend beaucoup des autres. C’est fou tout ce que j’ai pu découvrir en 1 an », se réjouit Martial.
Parmi les membres, une majorité d’ingénieurs, d’informaticiens et de bidouilleurs confirmés. Mais les néophytes sont les bienvenus. « Certains ne savaient pas tenir un tournevis il y a un an. Le principe c’est que chacun à quelque chose à apprendre aux autres. Et si des personnes ne viennent que pour apprendre ça nous va aussi. Mais nous ne faisons pas pour les autres, nous voulons qu’ils apprennent à le faire eux-mêmes », prévient Martial. Thierry, co-président de l’association, cite l’exemple d’un maraîcher « venu pour apprendre à souder, faire lui même ses outils et baisser ses coûts. Il était en recherche d’autonomie et avait une envie de reprendre contact avec la matière ».
Partage de connaissances
Ce partage de connaissances a déjà permis d’accoucher de projets aussi divers qu’une éolienne, un vélocar, ou de décors pour une troupe de théatre. La plupart des machines qui équipent l’atelier ont d’ailleurs été fabriquées sur place à partir d’objets de récupération.
Encore inconnus en France il y a peu, ses ateliers collaboratifs appelés FabLabs (laboratoire de fabrication en français) sont en train d’essaimer sur le territoire. On en compte une trentaine en France actuellement. Un développement qui n’est pas étranger a l’essor du DIY, même si le plaisir de faire-soi-même n’est pas la seule motivation :
« Il y a aussi un côté politique derrière lié à un partage de savoir. L’idée c’est de se réapproprier la technologie, de ne plus en être dépendant mais de la comprendre pour pouvoir la réparer, pour la dépanner, pour se démerder un peu tout seul. Ça fait partie des idées de l’objection de croissance, à savoir arrêter la consommation à tout va », explique Thierry, cofondateur de l’association
Geeks ET écolos
L’aspiration de ces technophiles à créer tout en étant respectueux de l’environnement ne se limite pas à des beaux discours. L’écologie, comme la bidouille, il n’attendent pas qu’on le fasse à leur place. « Notre objectif est de développer le réemploi et la réparation. On jette trop comme des cons. Il y a tellement de choses à faire avec 3 fois rien. 98% de ce qui est ici vient de la récupération. On a pas acheté un seul de nos ordinateurs », illustre Martial. Et leur tendance écolo ne se limite pas aux objets. Des bacs de légumes à partager ont aussi été installés devant l’atelier.
Un autre principe leur tient à cœur, celui de la libre circulation des idées et des techniques. En contrepartie de l’utilisation des compétences et des machines mutualisées à Technistub, les bidouilleurs s’engagent à mettre à disposition leurs plans afin qu’ils soient réutilisés par d’autres sur le principe des logiciels libres comme Linux. « On revendique la paternité de la création mais on laisse à tous le droit de les reprendre et de les améliorer. Je fais un projet, je profite des compétences des autres, mais je laisse le résultat en licence libre », résume Thierry.
Décloisonner les communautés
Un modèle économique qui marche selon Martial. Il envisage d’ailleurs de concevoir « un frigo qui dure 25 ans contre 5 aujourd’hui » et de publier les plans sur Internet. « Ça intéressera sûrement des gens. Mais certains auront la flemme de le faire eux-mêmes et préféreront acheter un modèle que j’ai monté », estime-t-il.
Un an et demi après son ouverture, le Technistub commence à trouver ses marques. Mais il reste énormément de travail pour que l’atelier soit réellement « un lieu ouvert sur l’extérieur » comme le souhaite Emmanuel, l’initiateur du projet. Pour cela, des tractations sont en cours « pour s’acoquiner avec des des gens de l’extérieur, notamment des graphistes », laisse entendre Martial. L’idée d’Emmanuel est de faire du FabLab un lieu où « les communautés interagissent ». Il rêve de voir bidouilleurs, étudiants, start-ups et graphistes travailler ensemble sur des projets.
Mais malgré leur volonté d’ouverture, Emmanuel note que « les gens qui fréquentent le Technistub viennent par plaisir et non par nécessité ». Ils réfléchissent donc au moyen de toucher ceux qui auraient vraiment besoin de pouvoir réparer plutôt que d’acheter. «Nous penons à monter des actions sur le matériel de la vie courante en organisant des repair cafés (ateliers de réparation d’objets du quotidien », ajoute-t-il. Ils organisent également des actions pédagogiques hors les meurs (par exemple lors de festival ou de fêtes de quartier) afin de toucher un public qui ne viendrait pas instinctivement vers eux.
Une question de structure
Mais pour que leurs aspirations de démocratisation et de partage du savoir prennent forme, la structure devra sûrement évoluer. « La problématique c’est qu’on ne peut pas accueillir tous les jours les gens en comptant uniquement sur des bénévoles. Il nous faudrait un employé pour pouvoir gérer tout ça », confie Emmanuel. Pour l’instant, leur revenus ne proviennent que des 20€ d’abonnement annuels des adhérents et des ventes de quelques machines construites sur place. Bientôt, les consommables utilisés seront facturés, mais cela ne suffira pas. S’ils veulent pouvoir ouvrir leurs locaux tous les jours, les membres du FabLab devront probablement demander des subventions publiques.
« Avoir un permanent ici, ça changerait la vie. Mais on perdrait en autonomie », analyse Martial. Avec ou sans subventions, les bricoleurs sont dans tous les cas déterminés à poursuivre l’aventure. Emmanuel n’imagine pas une seule seconde ce projet qu’il nourrit depuis plus de 20 ans tomber à l’eau : « Le lieu est né, maintenant il faut le faire vivre ».
Emmanuel Daniel