Que mille potagers fleurissent sur les toits de nos villes !
Aromates, fruits et légumes cultivés sur le toit d’un gymnase du 20e arrondissement de Paris. / DR
Maintien de la biodiversité en ville, isolation thermique et phonique des bâtiments, réappropriation de l’espace public par les habitants, rapport plus direct à l’alimentation, création de lien social et d’emplois de réinsertion… L’agriculture urbaine entend apporter des réponses à tous ces enjeux.
Plusieurs fois par semaine, une foule hétéroclite investit le toit du gymnase des Vignoles, construit en 2009 dans le 20e arrondissement de Paris. Bénéficiaires du RSA, étudiants et habitants du quartier viennent récolter aromates, fruits et légumes dans cet îlot de verdure qui tranche avec le béton alentour. Sur les 1.000 m2 de ce toit, 600 sont dévolus à l’agriculture. Un local accessible aux fauteuils roulants accueille les participants aux ateliers organisés par ce « jardin collectif solidaire », développé sous l’égide de l’association de réinsertion Arfog-Lafayette pour remobiliser des populations éloignées de l’emploi.
C’est aujourd’hui le seul toit potager accessible au public dans la capitale. Mais plus pour longtemps. Car, devant le succès remporté par ce premier projet, la Ville de Paris s’est engagée à en développer une quinzaine d’ici à 2020. Avec le Paris Région Lab, elle a d’ailleurs lancé en mai un appel à projets pour une « végétalisation innovante ». Qu’ils favorisent la biodiversité, innovent en matière d’agriculture urbaine ou proposent des solutions d’adaptation au changement climatique, les projets sélectionnés seront testés pendant trois ans dans l’espace public et sur les bâtiments : toits, terrasses, espaces délaissés, murs, talus, voirie ou mobilier urbain… Dans le cadre de son plan biodiversité, Paris affiche un objectif de 7 hectares de toitures végétalisées d’ici à 2020.
De nombreux spécialistes de l’agriculture urbaine se sont portés candidats à cet appel à projets. Sous des formes diverses, avec des motivations variées, le potager urbain est devenu « tendance ». « Il y a de la part des collectivités une demande sociale de plus en plus forte liée à la nature en ville », témoigne Jean-Christophe Aguas, chargé du développement du bureau d’études Le Sommer Environnement. Avec la société Gally, ils se sont rapprochés du cabinet d’architectes SOA, qui avait proposé dès 2004 une « tour vivante » lors d’un appel à projets de Rennes. Ensemble, ils ont créé le Laboratoire d’urbanisme agricole (LUA). Leur objectif : lutter contre l’étalement urbain, accroître la sécurité alimentaire, créer de nouvelles formes architecturales…
Une cité du « 9-3 » transformée en ferme
À la demande de la commune de Romainville (Seine-Saint-Denis), le LUA a, par exemple, planché sur un projet de serres destinées aux toits de la cité Marcel-Cachin à l’occasion de sa rénovation. Mais ce bâtiment s’étant révélé inapte à supporter le poids de ce projet en pleine terre, le LUA s’est attelé à transformer en ferme verticale les deux tiers d’une autre barre d’habitations de Romainville. D’autres projets pourraient voir le jour à Roubaix, Lille ou Bordeaux.
Les scientifiques s’intéressent à d’autres aspects techniques de l’agriculture urbaine. L’école AgroParisTech a ainsi transformé en potager expérimental le toit du bâtiment qu’elle occupe dans le 5e arrondissement, pour analyser les effets de la pollution urbaine sur les cultures et tester des substrats issus de déchets urbains, plus écologiques que la tourbe habituellement utilisée. « Prélevée dans des tourbières naturelles, elle en perturbe les écosystèmes », explique Nicolas Bel, à l’origine du projet avec Nicolas Marchal.
Fort de cette première expérience, Nicolas Bel, jeune ingénieur par ailleurs professeur de mathématiques, a créé sa société, Topager, et développe des projets pour le compte de clients privés. Comme le restaurant du chef triplement étoilé Yannick Alléno, Terroir parisien, dans le 5e, à Paris. Les légumes qu’il mitonne proviennent directement du toit du bâtiment. Nicolas Bel compte aussi à son actif un jardin thérapeutique destiné aux enfants autistes que le centre Robert-Doisneau accueille dans le 18e arrondissement. Et les demandes se multiplient, notamment de la part d’hôtels ou de particuliers.
Vers l’autonomie alimentaire des citadins ?
Autre entrepreneur, Virginie Dulucq a été récemment récompensée par le prix Créatrices d’avenir, décerné par la région Île-de-France et la préfecture de région. Fille d’agriculteurs, c’est lors de son expérience de l’aménagement urbain qu’elle prend conscience des surfaces laissées en friche dans les quartiers en rénovation. UrbAgri, la société qu’elle a créée, s’inscrit dans l’économie sociale et solidaire. Elle vise plusieurs objectifs : promouvoir des projets d’agriculture urbaine dans ces friches et sur les toits, y créer des emplois pour des populations défavorisées, mettre en oeuvre des solutions efficaces en termes d’isolation thermique des bâtiments. Deux projets sont en attente de financements, l’un sur une friche en Seine-Saint-Denis, l’autre sur la toiture d’un immeuble de logements sociaux dans le Val-de-Marne.
Effet de mode, cette agriculture urbaine ? Pas vraiment. Elle se développe rapidement aux États-Unis. Et outre les multiples colloques organisés sur ce thème en France, elle bénéficiera par exemple dès la rentrée prochaine d’un cursus à part entière à AgroParisTech. L’International Urban Food Network, un réseau de coopération internationale sur la gouvernance alimentaire urbaine fondé en 2011 pour faire le lien entre chercheurs et collectivités, s’intéresse d’abord à l’autonomie alimentaire comme axe du développement des territoires et s’inscrit dans la lignée de François Ascher. Cet économiste, sociologue et urbaniste aujourd’hui décédé définissait la ville comme « un regroupement de populations ne produisant pas elles-mêmes leurs moyens de subsistance ». C’est ce postulat que tous ces passionnés s’appliquent précisément à rendre obsolète.
Dominique Pialot pour La Tribune