Les ASMR, ces adeptes de l’orgasme cérébral sur YouTube

Sensibles aux murmures et à certains sons, les « whisperers » regardent ces clips pour se relaxer ou éprouver une forme de plaisir intense sans être sexuel.

« Je me rappelle parfaitement commencer à ressentir ce chatouillement sur le haut de ma tête, dans mon crâne, qui bientôt envahissait toute ma tête. Quelques instants après, même mes épaules et ma poitrine étaient engourdies. La sensation était si agréable que je ne voulais plus bouger. »

Pilar, un Mexicain de 52 ans, avait alors 5 ans et découvrait son premier orgasme. Un orgasme particulier, asexué. Une expérience qu’on appelle en anglais « braingasm » : orgasme cérébral.

C’est en serrant dans ses bras une amie de la famille, qui lui murmurait des mots gentils, que Pilar a connu pour la première fois cette sensation. « Je me sentais tellement aimé », raconte-il par e-mail.

Siemon a lui 20 ans, et il a découvert ses premiers frissons au bruit des stylos de son voisin de classe. Au téléphone, il raconte :

« En primaire, je m’asseyais à côté d’un camarade qui oubliait souvent ses stylos chez lui et donc empruntait les miens. Dés qu’il les utilisait et que je l’entendais écrire avec, je sentais ces picotements. Ça ne marchait que lorsqu’il m’empruntait mes stylos. »

Trois millions de vues sur YouTube

Siemon n’a jamais prêté grande attention à cette sensation particulière. Jusqu’à ce qu’il tombe, alors qu’il regarde une vidéo de jeux vidéo taguée « whispers » (chuchotements), sur des vidéos estampillées ASMR.

« J’ai cliqué sur une, puis sur une autre, puis une autre, et j’ai continué. »

Depuis son écran en Belgique, Siemon (aka WolfberryWhisper) venait d’entrer dans une communauté tout à fait spéciale : la communauté ASMR (pour « autonomous sensory meridian response », ou, en français, « réponse autonome sensorielle méridienne »).

Un nom barbare pour un concept simple : atteindre l’orgasme cérébral grâce à des sons, des gestes, des attitudes, captés sur vidéos et postés sur YouTube.

Au fil des clics, les « whisperers » (« murmureurs ») donnent des tutoriels de maquillage ou de pliage de serviettes, décrivent le contenu de leur sac à main, grattent différentes sortes de textures, font des visites guidées de leur chambre à coucher, massent des coussins ou prétendent vous masser, s’adonnent à des jeux de rôle ou parlent de sujets divers. Le tout en chuchotant de manière presque inaudible.

Bizarre, bizarre ? Sûrement. Mais au regard du nombre de vues, ils sont des centaines de milliers à y trouver du plaisir (plus de 3 millions de vues pour le clip le plus regardé).




YouTube serait donc devenu un YouPorn pour le cerveau ? Possible. Mais les ASMRiens – ou ASMRtists (contraction de « ASMR » et « artistes ») comme ils s’appellent – nient farouchement toute connotation sexuelle.

L’une des têtes d’affiche de la communauté ASMR française, AmandineLeloupASMR, – qui souhaite garder l’anonymat et ne parle que par mail, discrétion commune à bien des acteurs de cette sphère – l’assure :

« L’ASMR n’a rien à voir avec le sexe. »

C’est d’ailleurs l’un des buts de la communauté, dit-elle : « enlever cette perception d’étrange ou de sexuel ».

Elodie Joy, une autre « murmureuse » sous le nom de SirèneBio, tient également à cette stricte distinction : cet orgasme cérébral, ou « senso-auditif » comme elle le nomme, n’est pas l’orgasme sexuel, même si « c’est un plaisir qui est proche », explique-t-elle par téléphone.

« C’est une montée de plaisir, de bien-être, qui ne touche pas les zones sexuelles. On ne peut pas parler d’excitation ; c’est vraiment un apaisement, c’est ça qu’on recherche. »

Pourtant, elle reconnaît que la confusion peut être facile :

« Les premières vidéos que j’ai regardées étaient faites pas des femmes, des jolies femmes. Ça correspondait à quelque chose que je connaissais mais je trouvais ça un peu spécial, je me demandais si ce n’était pas un peu sexuel, s’il n’y avait pas un côté séducteur. »

Elodie évoque ces vidéos anonymes où les murmureuses, pour ne pas montrer leur tête, filment finalement leur « buste » :

« Au début, je me suis dis “mince, il y a des seins qui me parlent”. C’était un peu déroutant, un peu gênant. »

L’ASMR pas bienvenue sur Wikipédia

Elle s’est finalement mise à son tour aux vidéos ; « pour les autres », dit-elle. Car le but premier de l’ASMR, c’est de se relaxer. Les gens qui la regardent sont souvent des gens extrêmement sensibles, dit-elle, « des gens plus facilement stressés, anxieux, renfermés », et beaucoup d’insomniaques.

« Pour certains, c’est comme un soin médical, un médicament virtuel. D’ailleurs, les Français, qui sont les premiers consommateurs d’anxiolytiques, ont bien besoin d’ASMR. »

Elodie et AmandineLeloup assurent toutes deux recevoir de nombreux messages de personnes qui les regardent. Amandine :

« Les gens m’écrivent pour me dire qu’ils sont plus heureux, qu’ils prennent moins de somnifères pour dormir, qu’ils changent leur vie d’une manière positive grâce à ce phénomène. »

Elle a même entrepris une étude des effets de cette « thérapie » en recueillant les témoignages de la communauté. « Work in progress », dit-elle simplement.

L’orgasme cérébral n’a pas encore passionné la communauté des chercheurs. L’ASMR s’est même fait éjecter de Wikipédia pour manque de ressources scientifiques sur le sujet… avant de réapparaitre il y a quelques mois.

Bryon Lochte, un étudiant au collège de Dartmouth, a annoncé sur le site communautaire américain Reddit son intention d’étudier le phénomène, en s’appuyant sur l’imagerie à résonance magnétique (IRM).

En attendant, le phénomène grossit, notamment aux Etats-Unis où ses adeptes enchainent les apparitions médiatiques. Corollaire de cette célébrité soudaine, de plus en plus d’ASMR font leur « coming out » et deux documentaires sont en préparation : « Braingasm », par Lindsay Ragone, et « Tingly Sensation », de Kate Mull, financé sur Kickstarter.

La masturbation intellectuelle a de beaux jours devant elle.

Par Elsa Ferreira | Journaliste

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