De faux hôpitaux pour « guérir » l’homosexualité
Depuis des années, il existe des cliniques illégales qui ont pour but de « soigner » l’homosexualité, où les parents envoient de force leurs enfants. De véritables centres de torture que les autorités ont du mal à éradiquer.
Une fente dans la porte en bois laisse entrevoir la cour. Des câbles et des meubles couverts de poussière s’entassent dans le couloir. L’immeuble compte trois étages et toutes ses vitres sont teintées. Le ministère public l’appelle le « centre de torture ». Il se trouve à 2,5 km de Tena, dans la province de Napo [à 118 km au sud-est de Quito]. C’est de là que s’est échappée Zulema C. il y a un mois. C’est là où, pendant 21 jours, on a essayé de « soigner » son homosexualité.
Le message a été le même pendant les trois semaines qu’a duré son internement : « Dieu a créé l’homme et la femme. Nous devons te rééduquer. Tu es malade. »
Le 16 juillet, elle est retournée sur les lieux. La police avait monté une opération pour arrêter les propriétaires et les employés de la « clinique ». Quatre individus ont été détenus. Zulema les a accusés de maltraitance psychologique et de l’avoir nourrie avec des « aliments avariés ».
Les établissements de soins qui proposent ce qu’ils appellent des « cures de déshomosexualisation » ne sont pas une nouveauté dans le pays. Les associations LGBT [Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transexuels] signalent leur présence depuis treize ans.
Un cauchemar déguisé en thérapie
En 2001, María Auxiliadora a vécu une situation similaire à celle de Zulema. Ses parents l’ont internée de force dans une clinique située à Guayaquil [capitale économique du pays]. Son témoignage est consigné dans un rapport du Tribunal pour les droits de la femme en Equateur. Le 28 mai 2001, raconte-t-elle, des employés du centre sont entrés dans sa chambre et l’ont emmenée contre son gré. Elle se souvient d’un traitement nommé « l’aurore » parce qu’il était administré après minuit. Elle était jetée à terre nue, les bras derrière le dos et la tête sur le sol. On la traitait de « mâle » et on lui jetait des seaux d’eau glacée.
Susana a connu la même chose. En 2000, elle a décidé d’avouer à ses parents qu’elle était lesbienne. Sa famille a réagi en l’internant dans une « clinique » de Montecristi, dans la province côtière de Manabí. Elle y est restée quatre mois.
Après s’être échappée, Zulema est retournée à Guayaquil et a aussitôt raconté ce qui lui était arrivé. Lía Burbano l’a accompagnée dans sa démarche. Présidente de la Asociación Lésbica Mujer y Mujer [Association Lesbienne Femme et Femme], elle précise que « ce combat n’est pas contre les parents (qui obligent leurs enfants à changer d’orientation sexuelle) mais contre les centres qui font croire que l’homosexualité est une maladie et qu’il faut la soigner ».
La « maladie » de l’homosexualité
Pour Jorge Luis Escobar, président de l’Association des psychologues d’Equateur, la qualification de l’homosexualité comme une pathologie a été une erreur historique de la science. Il en veut pour preuve le fait que l’Association américaine de psychiatrie l’a retirée de la liste des maladies mentales en 1974 : « Comment la communauté scientifique a-t-elle pu dire que c’était une maladie ? », demande-t-il. « Le poids du conservatisme dans la culture était si lourd » qu’il a obligé à l’étiqueter comme un trouble.
Il a fallu attendre seize ans de plus, en mai 1990, pour que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) cesse de la considérer comme une pathologie.
En Equateur, l’homosexualité a été un crime jusqu’en 1997. Le code pénal prévoyait des peines de quatre à huit ans de prison pour toute personne se déclarant gay, lesbienne, transexuelle ou transgenre.
Susana se souvient de cette époque. Lorsqu’elle a séjourné dans la « clinique », son orientation sexuelle était considérée comme « répugnante » : « On me traitait de détraquée et d’hommasse », raconte-t-elle.
Pendant quatre mois, elle a été torturée et a même été mise aux fers pendant plusieurs jours : « C’était humiliant. J’ai marché, mangé, monté des escaliers avec ces chaînes. On me disait que je devais me libérer de celles que je portais dans mon esprit. C’était horrible ».
María Auxiliadora est passée par deux centres. Dans le premier, ils ont cru l’avoir « guérie » et ses parents l’ont reçue comme si elle venait de naître à nouveau : « Ils ont changé ma chambre et l’ont peinte en rose », relate-t-elle.
Quelques mois plus tard, sa famille a remarqué que son orientation sexuelle n’avait pas changé. En avril 2002, la jeune femme a été enlevée par deux inconnus. Ils lui ont dit qu’elle était arrêtée pour dettes, lui ont passé des menottes et l’ont emmenée dans un centre à Guayaquil.
Une manque de régulation de la part de l’État
Selon une étude réalisée en décembre 2012 par Kathryn Ann Wilkinson, de la Faculté latino-américaine des Sciences sociales (FLACSO), les « centres de dés-homosexualisation » sont apparus en Equateur dans les années 1990 « avec pour argument que cette orientation sexuelle peut et doit être changée parce qu’elle s’apparente à une addiction ».
Toujours selon cette étude, c’est la raison pour laquelle les « services de dés-homosexualisation » se cachent dans la catégorie des centres qui traitent les problèmes de dépendance à l’alcool et d’autres drogues.
En mai dernier, deux associations LGBT (Taller Comunicación Mujer et Artikulación Esporádika) ont publié en collaboration avec la Commission oecuménique des droits humains (CEDHU) un rapport sur la situation des « centres de réhabilitation » dans le pays.
Le document de cinq pages dénonce « la négligence et la responsabilité de l’Etat équatorien dans l’internement forcé des femmes lesbiennes et dans l’existence de cliniques de réhabilitation où les droits humains sont bafoués ».
Il souligne également la présence de nombreuses incohérences : « Des cliniques sont enregistrées comme fermées mais sont toujours en activité, et d’autres rouvrent après avoir été fermées ». Le ministre adjoint de la Santé Miguel Malo a reconnu que les soi-disant centres de désintoxication « ont échappé à tout contrôle et à toute régulation ». Pour faire face au problème, le gouvernement a créé il y a huit mois une Commission nationale inter-institutionnelle chargée de repérer les cliniques clandestines. Selon le procureur Fabián Salazar, qui dirige l’équipe enquêtant sur ces affaires, 19 centres ne respectant pas les droits humains ont déjà été localisés.
La ministre de la Santé Carina Vance a souligné la complexité du problème : « Il existe des mafias qui permettent à ces centres de continuer à fonctionner », a-t-elle déclaré le 17 juillet.
Le 16 juillet, Zulema est arrivée à Tena avec sa compagne, Cinthya R., et son avocate, Silvia Buendía. Depuis qu’elle s’est enfuie de la « clinique », elle n’a pas revu ses parents. Elle a réuni de l’argent et a quitté le pays. « Je suis partie en colère », dit-elle. « J’avais l’impression qu’on m’empêchait d’exister, d’être une bête. Toutes les humiliations étaient présentes dans ma tête. J’avais envie de tuer ces gens. »
SOURCE : El comercio – Javier Ortega via Le Courrier International