PRESSION, CHANTAGE.. LA MÉTHODE MERKEL
L’approche du scrutin électoral de septembre a-t-elle poussé Angela Merkel à céder à la tentation du chantage ?
Les manœuvres opérées par celle-ci à la veille du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, qui s’est déroulé fin juin à Bruxelles, ont en tout cas “choqué” certains diplomates.
L’objet du délit est un dossier hautement sensible pour l’industrie automobile outre-Rhin : la révision de la législation limitant les émissions de CO2 des voitures particulières. Suivant l’habituelle procédure du “trilogue”, un accord sur le sujet est intervenu entre le Parlement européen, la Commission et le Conseil le 24 juin. Selon les termes de celui-ci, la moyenne des émissions de CO2 des nouveaux véhicules mis sur le marché par les constructeurs en 2020 ne pourra pas dépasser 95g/km.
Un compromis qui ne semble pas avoir satisfait Mme Merkel, rapportait lundi le site d’informations européennes Euractiv. Alors que cet accord aurait dû être entériné de façon routinière par les ambassadeurs des Vingt-sept (la Croatie n’était pas encore officiellement entrée dans l’Union), celle-ci est en effet intervenue directement pour obtenir un gel de la décision en exerçant des pressions sur la présidence irlandaise du Conseil de l’UE et sur certains Etats membres. La chancelière a directement téléphoné au Premier ministre irlandais, Enda Kenny, en mettant dans la balance l’aide financière européenne dont l’Irlande a besoin pour renflouer ses finances publiques, confirment plusieurs observateurs. Des intimidations du même ordre auraient en outre été exercées sur d’autres pays sous programme d’aide. Angela Merkel aurait également obtenu l’appui de David Cameron en échange de la garantie de ne pas rouvrir le débat sur le mode de calcul du rabais britannique dans le cadre du budget pluriannuel 2014-2020.
“Inouï”
“Recourir au chantage de cette façon, c’est une tactique jamais vue. Même s’il y a toujours un jeu de donnant-donnant, cela va largement au-delà des méthodes de négociations normales”, commente un diplomate. Et de souligner que les Irlandais ont perçu ce coup de force comme une atteinte à leur souveraineté. “Par ailleurs, il est assez ironique de voir les Allemands et les Britanniques, qui s’affichent toujours en pointe sur le climat, torpiller un dossier phare en la matière.”
Cette démarche singulière viserait plus particulièrement à protéger BMW, nous explique-t-on. Spécialisée dans les grosses berlines, la firme allemande aura bien des difficultés à respecter le plafond de 95g/km – pourtant dans l’air depuis 2008. D’autant plus que les autorités européennes se montrent plus regardantes sur le protocole d’essai permettant d’établir les niveaux de pollution des véhicules. Protocole qui a jusqu’ici été bidouillé par les constructeurs pour afficher des résultats nettement plus favorables qu’ils ne le sont en conditions de conduite réelle…
Plusieurs scénarios pourraient donc expliquer l’intervention allemande. Le premier, qui constituerait le moindre mal, serait simplement de repousser le vote après les élections de septembre. Le deuxième trouverait son origine dans le désaccord interne qui existe sur le sujet entre le ministre allemand de l’Industrie et son collègue de l’Environnement. Une mésentente qui aurait empêché Berlin d’afficher une position suffisamment forte lors des négociations au niveau européen. Le corollaire de cette situation serait de gagner du temps pour rassembler une minorité de blocage et tenter de rouvrir les discussions.
L’affaire ne fait pas du tout rire dans les couloirs du Parlement européen, “Si tel est le cas, ce serait problématique car cela remettrait en cause toutes les règles en vigueur pour les négociations. Cet accord est le fruit d’un compromis auquel les Allemands ont été associés. Et s’il n’y a plus de confiance, cela pose un problème pour les futurs trilogues”, commente une source européenne. Les eurodéputés – dont le rapporteur… allemand dans ce dossier – ont d’ailleurs mis la pression sur la présidence lituanienne, fraîchement entrée en fonction, pour que le vote soit rapidement remis à l’agenda. Mais il n’en est rien en l’état.
“ Cela contribue un peu plus à créer une mauvaise ambiance car le message latent est que pour Berlin, l’Europe ne représente qu’un marché où elle défend ses propres intérêts”, déplore encore un diplomate.
Une source hongroise se montre pour sa part plus compréhensive, expliquant que ce pays soutient la position allemande depuis le début. Notamment parce que plusieurs fabricants de voitures “made in Germany” sont présents sur son territoire, mais aussi parce qu’il existerait des moyens plus simples d’agir pour réduire les émissions de CO2.
Côté allemand, notre demande de réaction est restée lettre morte. Interpellée sur le sujet au terme du sommet des 27 et 28 juin, la chancelière avait déclaré s’être battue pour obtenir le gel de cette décision. Au moment où l’on discute de l’emploi en Europe et malgré la nécessité de progresser dans la protection de l’environnement, “il faut veiller à ne pas affaiblir notre propre base industrielle”, affirmait-elle en substance.
SOURCE : lalibre.be