Scandale autour d’un médicament vedette contre l’hypertension

Big Pharma n’avait pas besoin de cela… Un nouveau scandale éclabousse l’industrie pharmaceutique et si, à la différence du scandale du Mediator, cette affaire n’a heureusement pas fait de victime, elle éclaire d’une lumière crue les relations parfois ambiguës qui existent entre les géants du secteur et les scientifiques. Tout tourne autour d’une des molécules les plus utilisées dans le traitement contre l’hypertension artérielle, le valsartan. Ce médicament est commercialisé par Novartis sous le nom de Tareg en France et de Diovan pour des pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou le Japon. Il est considéré comme un « blockbuster » pharmaceutique, c’est-à-dire un médicament vedette : en 2010, le Diovan a ainsi constitué la meilleure vente de Novartis, avec un chiffre d’affaires mondial de plus de 6 milliards de dollars !

Si l’année 2010 a été l’année de tous les records commerciaux pour cette molécule, c’est en partie grâce aux résultats d’une étude japonaise publiée quelques mois plus tôt, le 31 août 2009, par le European Heart Journal. Pendant plus de trois ans, les auteurs de ce travail coordonné par le cardiologue Hiroaki Matsubara, alors professeur à l’Université préfectorale de médecine de Kyoto (KPUM, selon son acronyme anglais), ont suivi quelque trois mille personnes souffrant d’hypertension artérielle et présentant de forts risques de maladies cardiovasculaires. Certains patients prenait du valsartan tandis que les autres avaient un traitement d’un genre différent. Résultat : en plus de son effet antihypertenseur, la molécule de Novartis réduisait de manière si significative les risques d’angine de poitrine et d’accident vasculaire cérébral que les chercheurs décidèrent d’interrompre prématurément l’étude. Ils jugeaient en effet non-éthique de ne pas donner du valsartan à tout le monde étant donné les bénéfices qu’apportait sa prise dans le domaine cardiaque. Evidemment, le géant suisse de la pharmacie ne se priva pas de mettre ce résultat spectaculaire en avant pour la promotion du médicament.

Mais la « success story » prend ensuite un curieux tournant. En 2011, des blogueurs signalent des anomalies dans plusieurs articles d’Hiroaki Matsubara. Les revues ayant publié les travaux du cardiologue nippon commencent à les examiner d’un peu plus près. Début 2013, deux de ses études traitant des effets du valsartan sont retirées par le Circulation JournalEt, quelques jours plus tard, le 1er février, le coup de tonnerre arrive : l’étude du European Heart Journal est à son tour retirée. Cela signifie, concrètement, que ses résultats sont considérés comme nuls et non avenus. Comme c’est souvent le cas en la matière, la notice de rétractation est extrêmement laconique : elle fait juste état de « problèmes cruciaux » dans certaines des données. Quels problèmes exactement ? Alors qu’Hiroaki Matsubara démissionne de son poste à la KPUM, cette dernière lance une enquête dont les conclusions ont été rendues publiques par Toshikazu Yoshikawa, le président de l’université, le 11 juillet.

Ces conclusions sont accablantes, pas tant pour Hiroaki Matsubara, dont le degré de responsabilité n’est pas établi, que pour la recherche biomédicale tout court. C’est un cas d’école de la manière dont la science peut être manipulée sous l’influence d’un lobby industriel. L’enquête a en effet révélé que des données sur les participants avaient été falsifiées pour faire apparaître les fameux « bénéfices » concernant les angines de poitrine et les AVC. L’université a épluché les dossiers médicaux de 223 patients de l’étude de Kyoto et s’est aperçue que pour 34 d’entre eux, on avait pris en compte de fausses informations : pour les personnes du groupe recevant du valsartan, on avait minoré les problèmes cardiaques subséquents et, pour les patients du groupe témoin, on avait exagéré lesdits problèmes. C’est de cette manipulation que sont nés les fameux effets positifs de la molécule. La commission d’enquête a refait les calculs : si l’on ne tient pas compte de ces 34 dossiers, ces bénéfices disparaissent (ce qui ne remet en revanche absolument pas en cause l’efficacité du médicament comme antihypertenseur).

L’affaire est déjà grave en elle-même mais il y a pire encore. Bien que les enquêteurs n’aient pas pu déterminer qui avait falsifié les données, ils ont découvert qu’une des personnes impliquées dans leur gestion était employée par… Novartis, ce qu’a reconnu la firme suisse dans un communiqué publié le lendemain de la conférence de presse. Ce conflit d’intérêt manifeste n’était évidemment pas signalé dans l’étude. De plus, selon l’agence de presse Kyodo News, l’employé de Novartis en question a participé à des essais sur le valsartan conduits par d’autres universités japonaises, lesquelles vont devoir en vérifier les résultats à la loupe. Dernière information et pas la moindre, dans l’article (payant) qu’elle vient de consacrer à ce scandale, la revue Science souligne que le laboratoire d’Hiroaki Matsubara a reçu, pour ses recherches, environ 1,4 million de dollars de la part de – devinez qui ? – Novartis, encore et toujours.

Ces liaisons dangereuses entre scientifiques et industriels ne sont pas pour renforcer la confiance du public dans les résultats de la recherche appliquée. Pour la petite histoire, le 11 juillet, Toshikazu Yoshikawa, le président de la KPUM, a, avec deux de ses collègues, présenté des excuses publiques au nom de l’université. A la japonaise, c’est-à-dire en s’inclinant beaucoup. Alors qu’il n’a aucun lien direct avec cette affaire, il a annoncé que, endossant la responsabilité du scandale, il allait rendre son salaire. Sans préciser combien de mois.

Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)

 

http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2013/07/21/scandale-medicaments-hypertension-industrie-pharmaceutique/

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