La démocratie, ça marche !

Des élus qui écoutent les citoyens, des citoyens qui participent vraiment à la décision, des référendums qui tranchent quand aucune solution nette n’émerge ? Mais si, c’est possible. Ca s’appelle la démocratie. Et ça marche très bien, comme à Vaudoncourt, commune de 800 habitants près de la frontière suisse qui expérimente depuis plus de quarante ans la démocratie participative.

 

 

 


 

Reportage, Vaudoncourt (Doubs)

 

Les 800 habitants de Vaudoncourt, dans le Doubs, n’ont pas attendu que la démocratie participative soit à la mode pour s’impliquer dans la vie de leur village. Ils disposent de nombreux canaux pour faire entendre leur voix. Et si la municipalité est toujours en charge des affaires courantes, aucune décision importante n’est prise sans le consentement des citoyens.

 

Le débat en cours sur l’implantation d’un parc éolien est un bon exemple de la culture démocratique qui règne dans la commune. Le projet en est encore au stade des études d’impact et de faisabilité, mais déjà, des voix s’élèvent, tant au sein du conseil municipal que parmi les villageois.

 

Une opposition qui n’incommode pas le maire, Patrice Vernier : « Je me suis engagé auprès des habitants en leur disant que dès que nous aurons tous les éléments en main, nous organiserons une réunion publique contradictoire ». Si au terme de ce débat, les deux camps n’arrivent pas à s’entendre, le maire envisage de « lancer une consultation de type référendum pour sonder l’avis des habitants ».

 

Ce n’est pas la première fois que ce type de scrutin informel est organisé pour s’assurer que les décisions ne soient pas seulement prises « pour les habitants, mais aussi avec les habitants », comme le répète à l’envi l’équipe municipale. En 2002, Patrice Vernier, fraîchement élu, projetait de favoriser l’implantation d’une épicerie dans le village. Face aux divisions suscitées par le projet, il avait là aussi opté pour une consultation individuelle des habitants (étrangers compris) qui avait vu le « oui » triompher.

 

Aux sources de la démocratie participative

 

Pour comprendre l’origine de la dynamique participative qui anime le village, il faut remonter au début des années 1970. À cette époque, une bande de jeunes emmenée par Jean-Pierre Maillard-Salin, un jeune retraité de l’Education nationale, décide de présenter une liste aux élections. Leur slogan : « Démocratie, contrôle populaire et autogestion ».

Afin d’établir leur programme, ils mettent sur pied un questionnaire et recueillent les désidératas de la population. Lors des élections, la liste l’emporte et l’ensemble des candidats présentés entrent au Conseil municipal. Quarante ans plus tard, ils sont nombreux à Vaudoncourt à parler avec nostalgie du regretté Jean-Pierre Maillard-Salin et de la « révolution culturelle » qu’il a impulsée.

 

On les comprend, tant les méthodes d’organisation prônées par la jeune équipe municipale tranchaient avec le paternalisme sans ambition du maire précédent, aux affaires depuis vingt-quatre ans. « Nous avons dit aux habitants : tu as une bonne idée, on t’épaule, mais tu t’en occupes. On voulait que les gens se prennent en charge et les associer aux décisions au nom de l’autogestion et d’une certaine idée de la démocratie », se rappelle Yves Montavon, conseiller municipal qui faisait partie de l’aventure.

 

Chacun a son mot à dire

 

Dans la foulée, des instances permettant la participation citoyenne sont créées. Comme dans n’importe quelle commune, le conseil municipal est ouvert aux habitants, sauf qu’ici, ils ont désormais le droit de prendre la parole. En outre, chaque conseiller municipal se voit attribuer une rue afin de faire remonter les attentes du terrain.

 

Sans compter que chaque année, avant le vote du budget, la municipalité organise une réunion publique. Les grandes orientations y sont exposées et, là encore, chacun a son mot à dire. « Une centaine de personnes y participent. C’est un moment important de la vie de la commune », estime Brigitte Cottier, conseillère municipale en charge de la culture.

Des commissions thématiques (environnement, scolaire, budget…) ouvertes à tous et chargées de rendre des avis à l’exécutif voient également le jour afin de donner corps à l’idéal autogestionnaire.

 

Près d’un demi siècle plus tard, ces institutions existent toujours. Véronique Fiers, arrivée au village il y a une quinzaine d’années participe à quatre d’entre elles. « Je me sens directement concernée. Ça touche à la vie du village, à ses habitants », argue-t-elle. Convaincue de l’utilité démocratique de ces commissions, elle assure que « tous les points de vue sont écoutés et acceptés. Ils rentrent dans la balance au même titre que le point de vue d’un élu ».

 

En effet, l’équipe municipale a bien compris que pour que les habitants se réapproprient durablement la politique, il ne suffit pas de les écouter, mais vraiment les intégrer au processus de construction de la décision publique : « Le conseil municipal n’est pas une chambre d’enregistrement. Si la majorité de gens en face de nous n’est pas d’accord, on les suit. Car si on les prend pour des cons, ils cesseront rapidement de participer », estime Yves Montavon.

 

Autogestion en actes

 

Mais c’est surtout la richesse de la vie associative qui fait dire aux habitants des bourgades alentour que Vaudoncourt est « un village pas comme les autres ». Le quotidien est en effet rythmé par les initiatives organisées par les vingt-huit associations que compte la commune, du club de foot à la fanfare en passant par une association de préservation des vergers ou des variétés anciennes de pommes.

Ici, pas de « Y a qu’à, faut qu’on ». Le volonté de la municipalité de responsabiliser les habitants se traduit par une forte culture du bénévolat. « Quand la mairie ou les associations lancent des appels, il y a toujours du monde pour répondre présent. Notre devise c’est aide-toi et le ciel t’aidera », lance Patrice Vernier.

 

Ainsi, plus de deux cents bénévoles participent chaque année à l’organisation de la Fête des saveurs, tandis que des chantiers participatifs ont débouché sur la restauration du temple protestant du village, la réfection de la salle polyvalente ou la création d’un centre de vacances géré par les parents.

 

En plus de permettre à la municipalité de faire de substantielles économies, et d’améliorer le cadre de vie des habitants, ces actions collectives participent à la création du lien social dans la commune. « Pour s’entraider il faut se connaître. Et pour se connaître il faut faire des choses ensemble », résume le maire.

 


Une quinzaine d’habitants sont venus volontairement, ce samedi matin, pour restaurer la salle polyvalente du village.

 

Une participation en baisse

Mais si la vie associative est toujours foisonnante à Vaudoncourt, la participation des citoyens aux commissions, elle, est en berne. Étienne, la trentaine, pense que la démocratie participative fait partie de « l’esprit du village », ce qui ne l’empêche pas de bouder les commissions. « Je n’en vois pas l’intérêt. L’équipe municipale fait bien son travail et quand on a quelque chose à dire, on peut le faire », argumente-t-il.

 

Certes, les réunions publiques attirent toujours autant de monde mais seulement une quarantaine de personnes participent activement aux commissions, contre plus de soixante (soit 10% des habitants) au moment de la « révolution culturelle ». « Les gens viennent moins », reconnaît Christian Roth, premier adjoint. « À l’époque il y avait tout à faire. Mais quand ça se limite à de la gestion, c’est moins intéressant ».

 

Jean-Marie Bart, conseiller général qui connaît bien l’expérience vaudoncourtoise pense que la « démocratie participative à des limites. Ce sont toujours les mêmes qui participent », note-t-il. La baisse de l’implication citoyenne s’explique par la « tendance actuelle à privilégier l’individu plutôt que le collectif », estime Véronique Fiers. « Et puis certaines personnes pensent qu’elles ne seront pas utiles. Mais quand on ne fait pas partie de l’équipe municipale, on peut apporter un autre regard, justement parce qu’on ne fait pas partie de l’équipe », plaide-t-elle.

 

Alors, pour éviter que l’héritage de Jean-Pierre Maillard-Salin ne soit progressivement effacé par la routine, Patrice Vernier veut « relancer l’utopie » et faire en sorte que « l’intelligence collective continue à œuvrer au service du village ». Y parviendra-t-il ?

 


Source et photos : Emmanuel Daniel pour Reporterre