DOSSIER : Habitat groupé participatif et éco-habitat, mode d’emploi

Habitat groupé et éco-habitat, mode d'emploi

Très loin des communautés post-soixante-huitardes, Jean-Louis et Martine nous ouvrent les portes d’Anagram, un habitat groupé participatif de la métropole lilloise. Le succès de cet éco-habitat groupé n’est plus à démontrer : cela fait 20 ans que ça dure ! Cette visite est l’occasion d’en savoir un peu plus sur ce mode de vie très au goût du jour ; et également l’occasion de donner quelques pistes à celles et ceux qui rêvent de se lancer.

Bienvenue chez Anagram, habitat groupé participatif du Nord

Plutôt accueillant cet habitat participatif de la métropole lilloise ! Le bâtiment construit dans un ancien corps de ferme en a gardé les immenses portes cochères qui lui apportent tout son cachet. Derrière ces portes, des emplacements pour les voitures, un grand jardin, un grenier et une dizaine d’habitations.

 

Anagram-derriereAnagram regroupe en effet 10 logements dont la surface varie entre 50 et 160 m². Jean-Louis insiste bien : « nous vivons ensemble, mais chacun chez soi ! ». Chaque membre de la collectivité mène sa vie comme il l’entend, tout en bénéficiant des avantages de la vie ensemble, et principalement l’entraide entre voisins.

« Ce mode de vie est idéal pour donner aux enfants d’autres repères. Les membres de l’habitat groupé deviennent comme des oncles et tantes. Ils sont des références supplémentaires, d’autres adultes que les parents. Des liens se créent entre les enfants ; ils deviennent des cousins. Certains, même partis mener leur vie d’adulte depuis sont restés en contact. »

Et c’est bien là l’essence même de l’habitat groupé : se réunir autour de valeurs communes.

« Nous n’avons rien à voir avec une communauté de hippies ! Nous avons plutôt construit un niveau intermédiaire entre la vie familiale et la vie de quartier. Nous nous ouvrons aux autres en sortant du seul noyau familial et avons en même temps plus d’emprise sur notre cadre de vie ».

Considérés il y a 15 ans comme des marginaux, aujourd’hui le groupe reçoit beaucoup de sollicitations : on s’intéresse au phénomène, on vient chercher des conseils, on se dit « pourquoi pas nous », etc.

CG : Comment l’aventure Anagram a-t-elle débuté ?

Au départ, nous étions une dizaine de familles dont certaines vivaient déjà dans différents habitats groupés. Martine et moi étions chacun locataire au Chemin des Crieurs. Nous avons « rameuté » nos amis, fait appel à des gens que nous connaissions via nos réseaux associatifs. Il s’est passé 5 ans entre l’idée de créer un habitat groupé et la pose de la première pierre. D’ailleurs, il faut que les gens en aient conscience : l’habitat groupé est un projet long et un parcours semé d’embûches.

Le groupe a énormément fluctué pendant ce temps : certains ont abandonné parce qu’ils ne pensaient pas trouver ce qu’ils cherchaient, pour des considérations financières ou tout simplement parce qu’ils ont préféré acheter ailleurs ; d’autres ont intégré le groupe en cours de route.

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Un souvenir accroché au mur de la maison commune : la maquette du projet Anagram

Lorsque nous sommes passés aux plans de construction, l’énorme atout que nous avions, mais qui en même temps était une grande difficulté, était qu’il n’y avait pas de chef de chantier. L’architecte a été très surpris ! Lorsqu’il nous a demandé à qui il devait s’adresser, nous lui avons répondu : « à nous tous ! » Mais finalement, il s’est très bien adapté.

Le groupe a ensuite repéré ce vieux corps de ferme logé dans un hameau entre Annapes et Hem. Chacun a choisi une taille de logement en fonction de son budget personnel. En revanche, le taux d’emprunt, lui, a été négocié par le groupe ! On a plus de force et de poids à plusieurs : il a été plus facile de demander à la banque de baisser son taux en lui promettant 5 ou 6 nouveaux clients ! De mémoire, on a gagné 0,5 point, c’est déjà pas mal… Il en a été de même pour équiper nos logements : nous sommes allés dans la même enseigne d’électroménager et avons demandé quelle réduction on nous accorderait si nous achetions 5 fours, 5 lave-linge et 5 lave-vaisselle d’un seul coup ! Cela s’est avéré tout aussi vrai lors de la construction : il est plus facile de « faire pression » avec les entrepreneurs quand on est plusieurs.

Au final, nous avons réussi à atteindre notre objectif qui était celui de construire au prix plafond HLM.

 

CG : Quelles sont les parties communes de votre éco-habitat participatif ?

Le salon de la maison commune

Le salon de la maison commune

« La maison commune est un espace que nous partageons et que nous utilisons régulièrement. Nous nous rassemblons dans le grand séjour pour nos réunions mensuelles. Cette maison est très pratique, c’est une véritable « pièce en plus », mais hors de son propre logement. Souvent, nous laissons les clés à des amis de passage ou pour la famille qui vient en visite, ce qui leur laisse leur intimité et une totale autonomie. »

La maison commune est très fonctionnelle : un grand séjour, une petite cuisine tout équipée, un coin buanderie, une mezzanine avec un coin lit, une chambre, une salle de bain et des toilettes. Un peu comme un gîte en somme. « Nous tenons un planning pour que chacun puisse l’utiliser et pour éviter les désaccords. Pour l’entretien c’est simple : c’est celui qui utilise la maison qui la nettoie ! »

Le jardin appartient lui aussi à tout le monde ; chacun peut en jouir comme il l’entend. Là, pas d’obligations réellement, les habitants s’arrangent entre eux de manière informelle.

« Au début, nous avions élaboré un planning de la tondeuse, mais ça n’a pas marché. Certains apprécient passer la tondeuse tandis que d’autres ont la main verte et aiment s’occuper du potager. »

Il n’y a que pour les poubelles qu’il faut respecter un planning « chaque famille est responsable des poubelles pendant un mois, et on tourne ».

Tout le monde s’occupe de l’entretien, en particulier à l’occasion de la journée des travaux : « 1 fois par mois, nous relevons les manches. Ce dimanche par exemple, nous avons passé la journée à couper du bois, dans la bonne humeur ! Pour les travaux plus lourds, nous faisons appel à des professionnels. »

Toutes les décisions sont prises d’un commun accord. Ici, pas de syndic : la gestion est collective.

 

CG : quelles sont les valeurs communes qui vous ont rapprochés ?

Jean-Louis : « pour moi, il s’agissait avant tout d’un projet politique plutôt que social. J’avais envie de montrer qu’on peut vivre ensemble, qu’on n’est pas obligé d’être individualiste, même si notre société l’est. Je n’avais pas envie d’évoluer dans l’anonymat d’une ville. J’avais envie de créer une échelle intermédiaire. »

Martine : « la solution s’est imposée à moi. On m’a proposé l’habitat groupé. Et moi, j’avais envie d’habiter en ville, de manière intelligente : pratiquer du covoiturage, avoir des solutions pour faire garder les enfants facilement, s’entraider entre voisins. On peut engueuler les enfants des autres sans aller au tribunal ! Je plaisante mais c’est important de donner aux enfants d’autres références que les siennes propres. J’ai été motivée par des raisons humaines et même philosophiques. »

 

CG : vous faites partie des pionniers de l’habitat groupé en France ; en tant que tels, quelles sont, selon vous, les grandes étapes pour mener à bien un tel projet ?

Dans un premier temps, il faut constituer un groupe. Celui-ci doit être animé par des envies communes, guidé par les mêmes visions et doit partager les mêmes valeurs. D’abord, on se rencontre. Cela commence avec 2 ou 3 familles, puis la discussion s’ouvre à d’autres. Ensuite, on monte un projet commun. Cela peut être par exemple l’envie de créer un habitat groupé multigénérationnel. Le groupe « toitmoinous » à côté de chez nous est partie d’une réflexion sur le vieillissement. D’autres peuvent avoir envie de monter un projet autour de l’éducation des enfants, etc.

La 2ème étape consiste à déterminer le tronc commun du groupe : souhaite-t-on vivre en ville ou à la campagne, rénover de l’ancien ou construire, etc. Se poser la question de la dimension du terrain ou de la construction en paille doit arriver par la suite. Ce qui est important à déterminer dès le départ c’est ce qu’on veut réellement : souhaitons-nous monter un projet solidaire, un projet axé sur l’écologie ou quelque chose de tout autre ?

La seule volonté de construire durable par exemple n’est pas suffisante pour envisager de vivre dans un habitat groupé. Il faut impérativement une dimension sociale au projet.

Une fois le projet bien structuré, on peut passer à la partie pratique, ce serait la 3ème étape. Et c’est un gros morceau : trouver le terrain. Il est vraiment difficile de trouver un terrain pour des projets d’habitat groupé, surtout en ville.

 

Aujourd’hui, des initiatives comme le Réseau écohabitat groupé (www.ecohabitatgroupe.fr) simplifient les choses. Le réseau coordonne quantité d’initiatives locales. Chez nous, dans le Nord, la ville de Lille répond à ce genre de demandes. Elle dégage des terrains qu’elle vend en priorité pour la construction d’habitats groupés. Elle en a réservé plusieurs qu’elle cédera à des prix non spéculatifs. Ces terrains sont au départ destinés à des organismes parapublics. Ce type d’actions concrètes est vraiment encourageant. 

Le côté négatif c’est que ce genre d’appels d’offre met en concurrence des groupes dont les projets sont de valeur égale.

Enfin, les projets doivent être crédibles, le plan de financement solide.  Des projets comportant une trop grande proportion de parties communes paraît difficile à gérer à long terme. A un moment donné se posera la question de qui paie quoi, à quelle hauteur ? Chez nous, les parties communes ne représentent que 10% du logement.

La 4ème et dernière étape consiste à définir le statut juridique. Jusqu’à maintenant, il n’en existe pas. Mais cet aspect risque de changer d’ici peu puisque depuis le 28/03/2013, l’habitat groupé est inscrit dans le projet de loi urbanisme et logement. Il pourra être de 2 types : soit des sociétés en autopromotion, soit des coopératives d’habitants. 

Le statut d’autopromotion ressemble grosso modo à une SCI. Dans une coopérative d’habitants basée sur le principe « 1 homme, 1 voix », le coopérateur est locataire mais aussi propriétaire de parts sociales de la coopérative. Les 2 statuts représentent une réelle avancée pour l’habitat groupé en France, puisqu’ils reconnaissent l’habitat  participatif et les locaux communs.

 

CG : selon vous, à quel type de difficultés peut-on s’attendre lorsque l’on souhaite créer un éco-habitat groupé ?

Comme je viens de l’évoquer, une fois que le groupe est constitué et qu’on a trouvé le terrain, une autre grande difficulté à laquelle peuvent être confrontés les groupes souhaitant se lancer est le cadre juridique. Nous avons opté à l’époque – c’était il y a 25 ans – pour la SCC, société civile de construction. C’est la SCC qui est propriétaire de notre habitat groupé. Chaque famille du groupe est propriétaire de parts qui correspondent à sa propre maison, une partie de la maison commune et une partie du terrain.

Nous gérons notre habitat groupé via une association loi 1901 et des cotisations trimestrielles. Il n’y a pas de président. Notre fonctionnement n’est pas construit sur un modèle hiérarchique. Il y a quand même une trésorière pour des questions de commodité : elle donne l’état des comptes mais ne prend pas de décision seule sur nos dépenses. Sinon, nous sommes tous également responsables. Les décisions pour chaque point sont prises collectivement lors de nos réunions mensuelles.

Si jamais un propriétaire souhaite revendre sa maison, il revend un lot qui englobe sa maison et ses parts de la maison commune et du terrain. Mais il ne revend pas son logement dans son coin. Il doit avertir toute la collectivité puisque c’est l’ensemble du groupe qui est concerné. Il faut que le nouvel acheteur rencontre tout le monde également. Cela peut être délicat, d’où le besoin d’un cadre législatif.

 

CG : Anagram a plus de 20 ans ! Quel est le secret de votre longévité ?

C’est certainement notre liberté et notre souplesse. Il y a peu de règles strictes.

Nous avons un projet commun, cette volonté de vivre ensemble et de prendre nous-mêmes nos propres décisions. En revanche, chacun mène de son côté ses activités associatives. Certaines peuvent être communes, mais n’englobent pas forcément tout le groupe.

Par exemple, des habitants de notre groupe font partie de l’AMAP de Villeneuve d’Ascq. Il peut arriver que les membres aient besoin de se réunir pour la gérer. Nous leur prêtons donc volontiers notre maison commune, comme nous le faisons pour d’autres associations. Mais cela n’intéresse pas tout le monde ! D’ailleurs, moi, je n’aime pas le principe des AMAP, je n’ai pas envie de manger des légumes imposés !

Certains habitats groupés mettent vraiment tout en commun : les outils, la machine à laver, les véhicules, etc. Avec l’expérience, nous nous sommes aperçus que des biens collectifs sont parfois difficiles à gérer. Parfois, il vaut mieux privilégier l’entretien personnel. Par exemple, je suis bricoleur et j’ai pas mal d’outils. Je les entretiens bien et les prête bien volontiers à chaque fois que quelqu’un en a besoin. Nous avions aussi pensé à l’autopartage, mais cela nous a paru compliqué donc nous n’avons pas donné suite. En revanche, nous pratiquons sans souci le covoiturage !

D’ailleurs, cela illustre bien ce qui pour moi peut amener un projet d’habitat groupé au succès : à mon sens, il faut être utopiste et « rêver » la vie ensemble, tout en étant réaliste et ne pas se laisser piéger par des petites choses matérielles. Il faut quand même s’attendre à devoir fixer et respecter certaines règles, même si, à l’instar de ce qui se passe chez nous, les règles peuvent être très souples. Exemple tout bête : les places de parking. Au départ, chacun se garait où il le souhaitait ; parfois, les invités se garaient sur les places réservées aux habitants. Ce qui s’avère un peu pénible au quotidien ! Nous avons donc attribué des places de stationnement à chaque habitant.

 

CG : Avez-vous un regret ?

Peut-être celui de ne pas avoir pensé à la modularité à l’époque : le foyer évolue, les enfants partent, la maison peut devenir trop grande ou on a besoin d’aménager les espaces autrement. Si j’ai un conseil à donner à ceux qui veulent se lancer, c’est d’essayer de penser à la modularité dès le départ. Mais c’est une notion difficile à prendre en compte.

Merci pour cette visite !

 

A lire pour aller plus loin :

  • L’habitat groupé participatif – Yves Connan. Editions Ouest France
  • Vivre en habitat participatif – Pascal Greboval. Editions Alternatives.

 

 

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