Le harcèlement sexuel bientôt légalisé ?

Estimant que la définition du délit de harcèlement sexuel risque de criminaliser la séduction, Gérard Ducray, ancien élu UMP condamné pour harcèlement sexuel, a demandé son abrogation. Du côté des féministes, on considère aussi que le délit n’est pas adapté à la réalité. Mais que, loin de porter atteinte à la liberté des hommes, il assure aux harceleurs une scandaleuse impunité. Décryptage.

 

« Harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » : c’est ainsi que le code pénal français définit le délit de harcèlement sexuel. Apparu en 1992, il pourrait disparaître le 4 mai prochain. Gérard Ducray, ancien secrétaire d’État et ancien élu UMP a en effet demandé son abrogation. Condamné pour harcèlement sexuel en 2010, il a, en mars 2011, accompagné son pourvoi en cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui permet à tout justiciable d’interroger le Conseil constitutionnel sur la conformité d’une loi dans le cadre d’un procès.

L’association européenne de lutte contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui s’est battue pour qu’un délit de harcèlement sexuel existe, a, dès le vote de la loi en 1992, critiqué sa définition juridique. Parmi d’autres arguments, l’association pointe l’imprécision de la définition du harcèlement sexuel. C’est précisément ce point qu’a choisi de souligner la défense de Gérard Ducray. Estimant que, trop floue, elle porte atteinte au principe de la légalité des délits et des peines, qui dispose que l’on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte précis et clair.

 

Criminalisation de la séduction ou impunité du harceleur ?

Mais, alors que Gérard Ducray pointe le risque de criminalisation des rapports de séduction, l’AVFT met en avant l’impunité dont bénéficient les harceleurs grâce à ce flou juridique. « Les juges statuent subjectivement, en fonction de l’idée qu’ils se font du harcèlement sexuel », constate l’association.
Et cette vision que les magistrats ont du harcèlement sexuel est parfois déconcertante. Des propos insultants assimilés à des « signaux sociaux conventionnels de séduction » aux mains aux fesses censées « créer du lien », les motifs de relaxe des prévenus attestent parfois d’une conception étonnante des rapports entre hommes et femmes.

Il est par ailleurs surprenant que la victime soit tenue de prouver l’intention « d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Comment prouver une telle intention ? De quels éléments est-elle supposée la déduire ? Pourquoi donner tant d’importance à cette finalité, qui permet si facilement au mis en cause de s’exonérer de sa responsabilité, du genre « c’est elle qui prend tout mal » ou « c’était juste pour rire » ? Les manifestations du harcèlement sexuel et des conséquences mesurables sur la santé et le travail des victimes ne devraient-elles pas suffire à ce que l’infraction soit constituée ?

 

Pas d’étude depuis… vingt ans !

Moins de 100 harceleurs sont condamnés en France chaque année, loin des craintes d’invasion des tribunaux, formulées au moment de la création du délit en 1992. Pourtant, dans la seule enquête française disponible au sujet du harcèlement sexuel – qui date de 1991 ! –, 19 % des salariées interrogées se sont déclarées victimes de harcèlement sexuel au travail. Soit plusieurs dizaines de milliers de citoyennes chaque année. Selon une étude du Bureau international du travail (BIT), parue en 1999, la France est même l’un des pays où le taux des violences sexistes ou sexuelles sur le lieu de travail est le plus élevé du monde.

De nombreuses condamnations pour harcèlement sexuel sont en fait des agressions sexuelles, voire des viols – 3 000 sont commis en France chaque année sur le lieu de travail –, déqualifiées, et théoriquement plus sévèrement réprimées. Si, pour ces raisons, l’AVFT demande au Conseil constitutionnel l’abrogation du délit de harcèlement sexuel, elle exige que celle-ci soit différée, de façon à ce que le législateur ait le temps de produire un nouveau texte. Sans quoi, il y aurait une annulation de toutes les procédures en cours et la création d’un vide juridique pour les victimes, empêchées de porter plainte. C’est pourtant ce que viennent de décider « les sages »…

Nolwenn Weiler pour Bastamag

 

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