Victoire au Guatemala : le dictateur Rios Montt condamné à 80 ans de prison pour génocide
Pour la première fois, un ancien chef d’État est condamné pour génocide contre son propre peuple et ce, par un tribunal de son propre pays.
Rios Montt a été dictateur du Guatemala du 23 mars 1982 au 8 août 1983, la période la plus sanglante de la dictature qui avait débuté sur l’ordre du président Eisenhower avec la destitution par la CIA et la United Fruit Company du président démocratiquement élu Arbenz, en 1954.
L’horreur
L’histoire du Guatemala depuis 1954 se lit comme un compte rendu d’horreurs d’une ampleur inégalée. Le nombre exact de victimes de la répression ne sera sans doute jamais connu. Le nombre de morts est évalué à 200.000 – en grande majorité des autochtones mayas – entre 1954 et 1996, date de la fin de la dictature.
Le jugement prononcé le vendredi 10 mai 2013 contre l’un des nombreux dictateurs militaires qui ont sévi au Guatemala est pour diverses raisons un pas en avant dans la lutte pour la justice dans le monde. C’est en effet la première fois qu’un ancien chef d’État est condamné dans son propre pays pour avoir commis un génocide contre son propre peuple. Jusqu’à présent, de tels jugements n’étaient prononcés que par des tribunaux internationaux.
80 ans
Il est encore trop tôt pour être sûr que la peine prononcée – 80 ans, 50 pour génocide et 30 pour crimes contre l’humanité – sera effectivement appliquée aussi. Pour commencer, ç’a été toute une affaire, pour en arriver à un procès, trente ans après les faits. Rios Montt va en effet en appel et la ténacité de la justice guatémaltèque n’est pas telle qu’on puisse être sûr que le jugement sera confirmé. Et, même dans ce cas, il y a de fortes chances que, vu son grand âge – 86 ans – l’homme plaidera afin de ne pas purger toute sa peine.
L’affaire ne s’arrête toutefois pas là. Rios Montt n’a été condamné que pour l’un des nombreux crimes qui ont été commis sous ses ordres. Ici, il a été condamné pour l’assassinat de 1.771 Mayas de l’ethnie ixil. La population autochtone indienne a toujours énormément souffert sous la dictature de la minorité blanche, d’abord sous la colonisation espagnole et, ensuite, sous plusieurs dictatures militaires soutenues par le nouveau colonisateur venu du Nord de l’Amérique.
Aujourd’hui, le pays est toujours très divisé à propos de son passé. Récemment, Rios Montt avait encore été réélu comme parlementaire. Il faut chercher ses partisans dans les classes les plus huppées de ce pays pauvre qui, outre une petite élite scandaleusement riche, ne compte que des pauvres (et à peine une classe moyenne).
Répression ? À quel propos ?
L’argument le plus entendu en faveur de la répression était que les autorités étaient bel et bien obligées d’intervenir contre la guérilla de gauche – un argument qui, à l’époque, avait été repris par les médias flamands. Que cette guérilla n’était née que suite à la répression cruelle n’était pas un argument pertinent, manifestement. Et le fait que cette répression ne servait que l’élite riche et les entreprises étrangères (américaines, mais aussi britanniques, françaises, allemandes…) n’était naturellement qu’un hasard.
La population guatémaltèque a pu enfin arracher ce procès après de longues années de lutte. Alors que, chez nous, les médias débordent toujours de notre honorable soutien à la démocratie et aux droits de l’homme, les Guatémaltèques, eux, y sont arrivés sans le moindre soutien étranger. Au contraire, les États-Unis n’ont collaboré en aucune façon avec eux, bien qu’ils disposent de toutes les données de cette période. Que Rios Montt et ses collègues dictateurs aient été très amis avec Washington explique pas mal de choses, ici.
Il n’en reste pas moins que ce jugement constitue un précédent dont pas mal d’autres pays pourraient s’inspirer.
Source : De Wereld Morgen
Traduit du néerlandais par Jean-Marie Flémal pour Investig’Action.