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 En voici la preuve :

Le rire est le propre de l’homme » disait Bergson ; et c’est vrai ! Même si l’on a montré que d’autres animaux (notamment les Bonobos) ont une activité proche du rire, le rire est typiquement humain si on le considère sous son angle social. L’homme est sans doute le primate le plus social, et c’est aussi celui qui rit le plus. Comme si la première fonction du rire visait à consolider les liens au sein d’un groupe. Comme nous le verrons, cette conception est de plus en plus étayée par des expériences scientifiques, et comme la santé du groupe équivaut souvent à celle de ses membres, on s’aperçoit de plus en plus que le rire est bon pour l’organisme, qu’il protège contre le stress et diverses maladies. Du groupe à l’individu, quels sont les bénéfices du rire ?

Le rire, un ciment social

Chacun a fait l’expérience du fou rire et de son irrésistible contagion. Certains psychologues et neuroscientifiques comme Robert Provine de l’Université du Maryland ou Christian Hempelmann de l’Université de l’État de New York, ont décrit des épidémies de rire !

La plus spectaculaire est celle d’un fou rire géant ayant affecté des villages du Tanganyika et d’Ouganda dans les années 1960. R. Provine raconte que trois jeunes filles ont d’abord commencé à rire ensemble dans une école frontalière de missionnaires de Tanzanie, les symptômes s’étendant rapidement à 95 des 159 élèves del’école. De retour chez eux, les élèves transmirent leur fou rire à 217 des 10 000 habitants du village de Nshamba, essentiellement des adultes.

Un autre foyer éclata alors dans le village voisin de Kanyangereka. Après s’être déclarée dans une école, la vague de rire s’étendit rapidement aux mères et aux proches parents des élèves. Au total, cette épidémie toucha environ 1 000 personnes en Tanzanie et en Ouganda.

Aujourd’hui, on commence à comprendre ce qui confère au rire cette dimension de partage irrésistible. Il s’agit probablement de phénomènes d’empathie assez fondamentaux, faisant intervenir les systèmes miroir du cerveau, probablement les neurones miroirs : le psychologue Leonhard Schilbach de l’Université de Cologne en Allemagne, a ainsi montré qu’une personne qui commence à rire suscite auprès de ceux qui l’observent une activité des neurones impliqués dans la contraction des muscles zygomatiques (impliqués dans le rire), même quand l’observateur ne rit pas lui-même. Il se produirait ainsi une préactivation de l’activité neurologique liée au rire par simple observation. L’être humain serait en quelque sorte « précâblé » pour le rire, et plus particulièrement en situation sociale ou communautaire.

Nous voyons autour de nous des applications multiples de ce phénomène. Par exemple, les rires factices dans les séries comiques à la télévision. Le simple fait d’entendre des rires en arrière-plan sonore enclenche un mécanisme empathique qui facilite le rire du téléspectateur. Un des psychologues les plus renommés dans le domaine de la persuasion, l’américain Robert Cialdin, de l’Université du Texas, s’est penché sur ce phénomène. Il a montré que des émissions humoristiques sous forme vidéo ou audio complétées par des enregistrements de rires factices suscitent effectivement le rire, même si les personnes qui entendent ces enregistrements ne voient pas le public rire. C’est aussi la raison pour laquelle un plaisantin qui rit de sa propre blague a plus de chances de « lancer » la vague de rire dans son auditoire, que s’il reste de marbre. R. Cialdini a longtemps travaillé sur les mécanismes de la formation des opinions, et il arrive à la conclusion que nous cherchons à déterminer si un épisode est drôle ou non, en fonction du fait que les autres le trouvent ou non hilarant. C’est le phénomène qualifié de « preuve sociale », qui désigne généralement le fait que nous forgeons nos opinions et attitudes d’après l’attitude de la majorité environnante.

Pour R. Cialdini, le rire serait une forme de preuve sociale. Si des rires se font entendre,c’est que la chose est amusante et donc, comme elle amusante, je vais rire moi-même.

Évidemment, ces considérations soulèvent la question de l’avantage évolutif conféré par le rire. Le fait que le rire soit une caractéristique universelle de l’espèce humaine est à rapporter au fonctionnement social d’Homo sapiens

.

Depuis des dizaines de milliers d’années, le rire aurait traduit les bonnes relations dans un groupe d’humains, et favorisé l’intégration d’étrangers dans ce groupe.

Le rire revêt une dimension de partage social que l’on observe dès le plus jeune âge : le psychologue Antony Chapman de l’Université de Cardiff au Pays de Galles, a montré que des enfants de sept ans écoutant des extraits sonores d’émissions humoristiques rient davantage lorsqu’ils sont deux, que s’ils sont seuls. Pour A. Chapman, le rire est la première activité de partage dans l’espèce humaine.

À l’époque où le langage chez l’être humain n’était pas constitué, notre espèce a dû trouver des comportements non verbaux traduisant cette volonté de partage amical avec le groupe : le rire aurait eu cette fonction et c’est pourquoi son poids social est aussi important aujourd’hui. Ce processus est tellement ancré, que l’on apprécie immédiatement quelqu’un qui rire de bon cœur.

Ainsi, Stephen Reysen, de l’Université du Kansas, a montré à des observateurs des vidéos où de jeunes acteurs de théâtre lisaient un texte soit en riant, soit sans rire. Le rire était factice et les observateurs le savaient, et pourtant ils ont jugé l’acteur plus positivement, et se sont sentis plus proches de lui quand ce dernier riait. Ce qui conduit S. Reysen à voir dans le rire un aimant social qui nous pousse irrésistiblement à apprécier le rieur.

À tel point qu’il a été montré que dans les groupes, certaines personnes déploient

des stratégies pour faire rire ceux qui ont le rire facile et communicatif : il s’agirait d’une stratégie de certaines personnes, notamment les leaders, pour renforcer l’unité du groupe.

On sait que la santé des relations sociales est généralement profitable à la santé du corps : dès lors, le rire serait-il bon pour nos artères ? Il semble renforcer notre capacité de résistance aux maladies infectieuses, en stimulant le système immunitaire. Le psychologue Herbert Lefcourt et ses collègues de l’Université de Waterloo dans la province de l’Ontario au Canada, ont ainsi comparé les quantités de certaines immunoglobulines (anticorps intervenant dans la réaction immunitaire) sécrétées par des personnes exposées (ou non) à des sketches humoristiques populaires. Ils ont observé qu’une exposition de dix minutes à de tels messages comiques entraîne une augmentation de la sécrétion d’immunoglobulines.

Pourquoi le rire est-il considéré comme une arme de séduction ?

L’explication souvent avancée suppose que l’humour est une qualité recherchée par une femme chez un homme, car il serait un miroir de ses compétences intellectuelles et sociales. Il est également possible que les femmes aiment le rire parce qu’il est bienfaisant, et qu’elles apprécient pour cetteraison ceux qui rient souvent. Pour mettre cette hypothèse à l’épreuve, nous avons mené au laboratoire de ???une expérience où des jeunes filles célibataires étaient placées dans une salle d’attente où des enregistrements radio étaient diffusés. Selon le cas, il s’agissait de sketches humoristiques, d’extraits d’émissions culturelles sur le théâtre ou d’émissions scientifiques ; parfois, aucune bande sonore n’était diffusée.

Nous avions disposé une caméra cachée dans la salle d’attente, et nousavons ainsi pu observer que le comportement des jeunes femmes dépendait du contenu de ces enregistrements. Notamment, les jeunes femmes qui entendaient des émissions comiques cessaient de se livrer à des activités « parallèles », par exemple consulter son téléphone portable, et profitaient du moment, le sourire aux lèvres.

La suite de l’expérience consistait à inviter chacune des jeunes femmes à se rendre dans une salle voisine où était déjà assis un jeune homme. Ensemble, ils devaient feuilleter des magazines et porter des jugements sur la qualité des publicités (analyse du message, du graphisme…), ce qui n’était qu’un prétexte pour les mettre en présence et les faire interagir. Le jeune homme, qui était en réalité un membre de l’équipe scientifique, demandait après quelques minutes à la jeune femme son numéro de téléphone personnel.

Nous avons constaté que les jeunes femmes étaient plus nombreuses à donner leur numéro de téléphone lorsqu’elles avaient préalablement entendu des émissions humoristiques. En revanche, le fait d’avoir écouté des contenus culturels ou scientifiques ne les rendait pas plus réceptives à la demande du jeune homme.

Cette expérience montre que le rire favorise les rencontres amoureuses. Il ne s’agit pas ici d’un effet attracteur de l’homme qui serait capable de faire de l’humour, puisque la source du rire était antérieure à la rencontre.

Les apprentis séducteurs peuvent en tenir compte et inviter leurs futures conquêtes à des spectacles humoristiques : la belle ne sera pas tentée de se jeter dans les bras de l’humoriste, mais plutôt dans ceux de son voisin. De nombreuses expériences corroborent cette notion. La psychologue Myra Angel de l’Université Vanderbilt, dans le Tennessee, a montré que les femmes qui rient souvent sont celles qui prennent le plus rapidement la décision devivre en couple ou de se marier avec leur compagnon.

Le psychologue clinicien Robert McBrien, de l’Université de Salisbury dans le Maryland, également thérapeute conjugal, conseille aux compagnons qui n’ont pas beaucoup d’humour de faire rire leur compagne en allant voir des films, des pièces de théâtre ou des représentations d’humoristes. En outre, l’effet ne vaut pas seulement pour les femmes : ce même chercheur a montré, lors de ses consultations, que les couples qui ont eu l’occasion de rire lors de sorties font plus souvent l’amour le soir même et dans les jours qui suivent, que le reste du temps.

Rire souvent créerait un état psychologique de bien-être favorable au maintien des sentiments que l’on porte à son conjoint.

En fait, le simple fait de se souvenir des fous rires passés suffirait à produire un effet positif. C’est ce qu’a constaté le psychologue Dorris Bazzani de l’Université du New Connecticut : en incitant des couples à se souvenir de crises de rires ou d’événements très amusants vécus ensemble, il a constaté que l’évaluation par les conjoints de la qualité de leur couple s’en trouvait rehaussée. Un tel effet n’est pas obtenu par les souvenirs d’autres moments agréables, qu’il s’agisse de voyages agréables ou de bons repas.

C’est bel et bien le rire qui fait la différence, sans doute parce qu’en plus du bien-être que peuvent procurer d’autres sensations plaisantes, il revêt ce caractère de ciment de la relation sociale, une activité de partage qui constitue depuis longtemps sa marque dans l’espèce humaine.

Les bienfaits du rire sur la santé

Ces effets ont été retrouvés dans d’autres études, qui ont également montré que d’autres composantes immunitaires sont stimulées par le rire, tels les lymphocytes NK (les cellules tueuses naturelles) ou l’interféron gamma.

Logiquement, une personne qui aime rire et y passe beaucoup de temps est mieux armée contre les grippes, rhumes ou autres angines.

Le rire a aussi des effets bénéfiques sur la perception de la douleur. La psychologue Deborah Hudak et ses collègues de l’Allegheny Collegedans l’État de Pennsylvanie ont ainsi montré que les personnes à qui l’on inflige des chocs électriques après avoir ri y sont moins sensibles.

Dans cette expérience, des volontaires regardaient des scènes humoristiques, puis devaient subir des chocs d’intensité variable : comparées à des documentaires ne suscitant aucune activité des zygomatiques, les scènes d’humour ont permis aux participants de supporter des chocsbien plus élevés que la moyenne. Des résultats similaires ont été obtenus pour la résistance à des douleurs infligées par pincement de la peau, ou par application de corps

chauds ou froids sur différentes parties du corps. Aux yeux des neuroscientifiques, de tels résultats plaident en faveur d’effets analgésiques induits par le rire, qui rendent la douleur moins perceptible. De fait, on a observé la production d’endorphines (des substances analogues à la morphine naturellement produites par l’organisme et ayant des propriétés antalgiques) chez des personnes qui riaient.

Outre ces effets, des expériences ont également révélé que le rire a des effets positifs sur les fonctions cardio-vasculaires et sur l’état de stress. Toujours en projetant de petites scènes humoristiques à des sujets, les psychologues Sabina White et Phame Camarena de l’Université de Californie à Santa-Barbara ont montré que les rires ainsi obtenus ralentissent le rythme cardiaque et font baisser la pression artérielle.

Le rire agirait en premier lieu sur la perception du stress, en produisant un sentiment de bien-être et de détente. En retour,cette baisse du stress aurait des effets positifs sur le système cardio-vasculaire, en réduisant l’adrénaline ou le cortisol, hormones du stress.

De fait, H. Lefcourt a constaté que le fait de rire souvent est associé à un moindre stress perçu, y compris lorsque l’on demande à des individus de remplir diverses tâches rébarbatives ou stressantes, par exemple des calculs mentaux en temps limité. Ce mécanisme d’évacuation du stress est bien connu : en situation de tension extrême, le rire peut survenir comme un exutoire, sans qu’on comprenne forcément pourquoi.

Il existe vraisemblablement un intérêt médical du rire, et l’on suspecte que de tels effets fassent même intervenir les mécanismes de régulation de l’expression des gènes.

Ainsi, les biologistes Takashi Hayashi etKazuo Murakami de l’Université de Tsukuba au Japon, ont projeté à des hommes et des femmes,âgés en moyenne de 62 ans et souffrant de diabète de type 2, des sketches comiques connus et appréciés au Japon. Un prélèvement sanguin était réalisé avant la projection, immédiatement après, et 90 minutes plus tard. Après avoir ri, les patients ont secrété moins de prorénine, une protéine intervenant dans les pathologies

rénales et vasculaires propres aux diabétique de type 2. Cette normalisation apparaît liée à un meilleur fonctionnement des récepteurs de la prorénine, qui favorisent sa dégradation.

Les scientifiques n’ont pas encore exploré les multiples effets du rire sur l’organisme. On ignore encore jusqu’où s’étendra cette panoplie d’effets bénéfiques, mais une chose semble d’ores et

déjà établie : rire ne présente que des avantages !

Le lait des mères hilares

Et les bébés ? Se portent-ils mieux quand leur maman rit souvent ?

Un médecin de l’Hôpital Moriguchi-Keijinkai d’Osaka au Japon, HajimeKimata, a fait regarder divers films, dont Les Temps modernes de Charlie Chaplin, à un groupe de jeunes mamans allaitant des enfants de cinq à six mois. Les plus chanceuses voyaient les Temps modernes

de Charlie Chaplin ; les autres visionnaient des extraits de documentaires ou de météorologie.

Toutes ces mamans avaient des bébés souffrant d’eczéma du nourrisson et étaient également allergiques au latex et aux acariens. À l’issue de chaque film, on dosait la concentration de mélatonine – impliquée dans la régulation des cycles du sommeil et de l’éveil et dont la sécrétion favorise le sommeil – dans le lait de ces mamans. Les analyses ont révélé une augmentation de la sécrétion de mélatonine,mais seulement chez celles qui avaient vu le filmde Charlie Chaplin. De même, les enfants étaient moins sensibles aux acariens et au latex,

et avaient moins d’eczéma du nourrisson à l’issue d’une tétée avec des mamans ayant ri.

Quel lien entre la mélatonine et l’eczéma du nourrisson ?

Tout ce qu’on sait, c’est que cette maladie perturbe le cycle du sommeil des enfants. La mélatonine, présente en plus grande quantité dans le lait de la maman ayant ri, favoriserait le sommeil des petits et, par des mécanismes inconnus, diminuerait leur allergie.

Tous ces résultats montrent que le rire a un impact réel et positif sur l’organisme.

Certains chercheurs, psychologues, biologistes ou médecins recommandent aujourd’hui de prendre le rire très au sérieux et de l’introduire dans les parcours médicaux au moyen de formations au rire(séances de rire collectif, de travail cognitif visant à rechercher un état d’esprit favorable). Y compris en milieu hospitalier, on commence à introduire le rire par des déguisements de clowns pourles enfants, des fêtes, des sketches, et des compagnies comme Boublinki ou Theodora, voire des formations de clowns hospitaliers, telle l’association cliniclown, exercent en France.

Peu à peu, le rire gagne ses lettres de noblesse et passe du statut de simple amusement à celui de thérapie ayant des effets organiques observables.

 

SOURCE : PSYCHO&CERVEAU

Le Pr Nicolas Guéguen

est enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Université de Bretagne-Sud

et dirige le Groupe de recherche en sciences de l’information et de la cognition, à Vanne