JESSICA ET L’ENVERS DU DÉCOR CALIFORNIEN
OU COMMENT DANS CET ÉTAT, LE RÊVE AMÉRICAIN TOURNE AU CAUCHEMAR…
Jessica Bartholow est lobbyiste, mais pour les pauvres.
Ses dossiers sous le bras, elle parcourt les bureaux des élus californiens à Sacramento, la capitale de l’Etat : le projet de loi AB 1280 réduirait les frais bancaires sur les versements électroniques de l’aide sociale. AB 271 supprimerait le plafond familial (pour découpler nombre d’enfants et montant de l’aide, la loi a instauré un maximum, ce que les défenseurs des pauvres estiment être une intrusion de l’Etat dans les choix individuels des citoyens).
Outre les « Assembly Bills » (AB), il y a aussi les « Senate Bills » (SB), les projets de loi à l’examen au sénat. Toute une liste là aussi: SB116, qui rétablirait les exemptions fiscales pour les contribuables qui font des dons aux banques alimentaires; SB252, SB134…
Après 15 ans de déficits, la Californie a rétabli ses finances publiques. A l’approche du vote du budget (avant le 15 juin), Jessica la lobbyiste fait le siège des élus pour plaider pour la redistribution du surplus.
Ou au moins la restauration de certains services qui ont été supprimés, comme la prise en charge des soins dentaires pour les pauvres.
Pour la première fois depuis longtemps, les démocrates ont une super-majorité dans les deux chambres:
– « Nous sommes dans une année pivot: zéro déficit et une majorité des deux-tiers pour les démocrates », estime-t-elle.
En deux ans, le gouverneur Jerry Brown a équilibré les comptes au prix de sacrifices disproportionnés.
Pour 1 dollar de revenus supplémentaires (sous forme d’une augmentation d’impôt pour les revenus de plus de 250.000 dollars annuels et de 0,25 % de la TVA) il a coupé 3 dollars dans les dépenses de l’Etat.
L’aide aux handicapés, les repas pour les personnes âgées, l’assistance pour la crèche ont été cisaillés.
Le taux de pauvreté (23,5%) était déjà le plus élevé du pays. En cinq ans, il a augmenté sept fois plus vite que la moyenne nationale.
Un quart de la population n’a pas d’assurance santé (ce à quoi la réforme de l’assurance santé de Barack Obama devrait remédier si les responsables parviennent à la mettre en place).
Jessica Bartholow travaille pour le Western center on law and poverty, un organisme qui défend les déshérités en justice. Quand elle participe aux séminaires d’éthique, obligatoires pour les lobbyistes, les banquiers rigolent.
– « Ils me demandent ce que je fais là. C’est sur, c’est pas avec l’argent qu’on a qu’on risque de corrompre les élus ».
Jessica a elle-même grandi dans la pauvreté. Son père n’a jamais récupéré de la guerre du Vietnam, à une époque où on ne s’inquiétait pas du stress post-traumatique.
Elle a connu les moments où être malade signifiait notes d’hôpital à payer. La famille les accumulait avant de déménager discrètement.
Jessica est une battante. A l’école, elle s’est inscrite toute seule à la distribution de repas gratuits. Plus tard, elle a eu une bourse pour aller à l’université. L’ascenseur social a fonctionné. Après des années, alors qu’elle préparait son doctorat, elle a senti le besoin de revenir à Sacramento et travailler à la justice sociale.
Quand elle parle de la « communauté des revenus modestes », Jessica Bartholow dit « nous« . Dans la mémoire de son téléphone portable, elle conserve les photos des familles qu’elle rencontre dans les abris.
Elle dit que la pauvreté a changé. «Nous sommes aspirés dans un débat : qu’est-ce qu’on coupe, qu’est-ce qu’on ne coupe pas. On ne combat plus la pauvreté ; juste ses conséquences. Les uns luttent contre la faim, les autres pour le logement social mais plus personne n’a de vision politique »…
Les Etats-Unis n’ont plus de Robert Kennedy ou de Martin Luther King, ces grandes voix qui faisaient campagne contre la pauvreté. Les medias ne font pas grand cas de ses AB271 et autres projets de loi..
– « Si nous sommes d’accord pour avoir une sous-classe de citoyens, reconnaissons-le, dit-elle. Ne faisons pas semblant d’être un pays que nous ne sommes plus »
Source :
Big picture, blog de Corinne Lesne. Titre de l’article : Jessica, l’envers du come-back californien.