UN ARTICLE QUI FAIT LE POINT AVANT LA MANIF CONTRE MONSANTO DU 25 MAI. MOTIVANT!
Des Etats-Unis à l’Europe, à qui appartiennent les plantes cultivées ?
Lundi 13 mai, Monsanto remportait son procès contre Vernon Hugh Bowman, un agriculteur américain de 75 ans. L’homme avait acheté, en plus de ses semences de soja transgénique à Monsanto, d’autres graines en mélange à un producteur local, pour effectuer une récolte complémentaire à moindre coût. Cette récolte, il en a gardé une partie pour la resemer l’année suivante. Or, dans un Etat où 95 % du soja cultivé est transgénique, la plupart de ces graines détenaient le caractère du Roundup Ready, breveté par Monsanto, qui permet à la plante de résister à l’herbicide Roundup vendu par la même firme. Pour les avoir semées sans payer Monsanto, le fermier a été condamné à verser à la firme 85 000 dollars.
Si l’affaire est devenue emblématique des conflits entre firmes et agriculteurs sur la question des brevets, elle est loin d’être exceptionnelle :
Monsanto est passé maître dans l’art de contrôler, via sa « police des graines », les champs des cultivateurs américains, et il n’en est pas à sa première bataille judiciaire (lire l’encadré ci-dessous).
Fin 2012, le groupe avait déjà empoché 23 millions de dollars (18 millions d’euros) de dommages et intérêts dans le cadre de procès pour violation de brevets. Mais cette fois, c’est la firme elle-même qui a voulu l’ériger en symbole de la protection de sa propriété intellectuelle – avec un site Web spécifique à l’appui, et le soutien d’acteurs de poids comme l’Alliance de producteurs de logiciels (Apple, Microsoft…), des universités, ou encore le département de la justice américain.
- AUX ÉTATS-UNIS, LE BREVET
Dans cette affaire de Monsanto contre M. Bowman, la Cour a justifié sa décision en expliquant qu’il est interdit de copier un produit breveté (soit, en l’occurrence, resemer les graines récoltées), sans quoi « un brevet perdrait toute sa valeur dès la première vente », ce qui « résulterait en une baisse de l’incitation à l’innovation ». Cette position de la justice américaine est fidèle au principe du brevetage des plantes, adopté aux Etats-Unis dès 1930. Ces brevets ne s’appliquent pas seulement aux OGM, mais ont connu un boom avec le développement des biotechnologies – dans un pays où 93 % du soja cultivé, 88 % du coton et 86 % du maïs sont génétiquement modifiés (en 2010), d’après le Center for food safety (PDF).
Le brevet, « directement inspiré du droit industriel, ne prend pas en compte la spécificité du vivant », explique l’interprofession française des semenciers, le GNIS. Il interdit à quiconque d’utiliser la variété protégée à titre expérimental ou pour la recherche, mais aussi, et surtout, pour faire des semences de ferme : traditionnellement, les agriculteurs sélectionnent et resèment ainsi leurs propres graines issues de leur récolte, ce qui leur permet de réduire leurs coûts et de gagner en autonomie, mais aussi de favoriser l’adaptation des plantes aux conditions locales. Le système du brevet les oblige donc à racheter chaque année leurs graines aux semenciers – au premier rang desquels Monsanto, dont la technologie Roundup Ready est par exemple présente dans 94 % des variétés de soja OGM et 70 % du maïs OGM.
- EN EUROPE, LE CERTIFICAT D’OBTENTION VÉGÉTALE…
En Europe, les variétés végétales ne sont pas brevetables. C’est le Certificat d’obtention végétale (COV) qui, depuis 1961, tient lieu de droit de propriété intellectuelle en agriculture. A l’inverse du brevet, ce dernier permet d’utiliser la variété à des fins de recherche et d’expérimentation, mais aussi en semences de ferme, à condition que l’agriculteur paie une redevance au propriétaire du COV. Cette dernière règle a été introduite en France par la loi de novembre 2011, qui a mis fin à un flou juridique en autorisant les semences de ferme – taxées –, pour 21 variétés de céréales uniquement.
Pour obtenir un COV, la variété doit être homologuée selon certains critères : la distinction, à savoir son originalité par rapport aux variétés existantes, l’homogénéité entre ses différents individus, et la stabilité de ses caractéristiques après reproduction. En dehors de ces critères standardisés, point d’inscription au catalogue officiel ni, jusqu’à présent, d’autorisation de commercialisation. Au final, ces variétés protégées par COV correspondent à 99 % des plantes cultivées en France, selon Delphine Guey, du GNIS.
- … MAIS DE PLUS EN PLUS DE BREVETS SUR LES GÈNES
Aux côtés du COV existe aussi, en Europe, le brevet sur les végétaux. Non pas pour la variété entière, mais uniquement pour un de ses gènes – qu’il soit obtenu par sélection et croisement classiques, ou par introduction, par transgenèse, dans les cellules de la plante. Du coup, c’est ce caractère génétique que le propriétaire du brevet détient exclusivement – même s’il se retrouve, par propagation, dans les plantes du champ voisin.
En France, on ne trouve pas encore de végétaux brevetés dans le commerce. Mais les brevets accordés sur les fruits et légumes se multiplient en Europe. Récemment, le groupe d’agrochimie Syngenta a par exemple reçu un brevet sur son melon baptisé EP1587933, issu d’un croisement avec un melon indien, pour le caractère doux et amer de son goût. Du coup, la firme revendique la propriété sur tous les melons qui détiennent cette teneur, précisément mesurée, en acidité et en sucre, explique l’ONG « No patent on seeds ». Grâce à ces brevets, « Monsanto et Syngenta détiennent ensemble déjà plus de 50 % des semences de variétés de tomates, poivrons et choux-fleurs enregistrées dans l’UE », alarme ainsi l’ONG Swissaid (PDF), qui s’inquiète de la concentration accrue de ce marché agroalimentaire.
Autre inquiétude des agriculteurs : le brevet est beaucoup plus facilement détectable que le COV. Dans le premier cas, il suffit d’un test pour identifier le gène protégé. Dans le second, puisque les plantes resemées par l’agriculteur ne sont pas des clones et varient toujours de la récolte précédente, difficile pour le détenteur du COV de prouver qu’il s’agit de sa variété. Le brevet renforce donc le contrôle sur les semences de ferme, estime Guy Kastler, du réseau Semences paysannes.
-
RÉFORME DES SEMENCES : UNE OUVERTURE ACCRUE AUX BREVETS ?
L’Union européenne prépare actuellement une réforme majeure du marché des semences – qui doit entrer en vigueur à l’horizon 2016 après approbation, par le Parlement et le Conseil européen, des propositions de la Commission. Elle ambitionne de protéger la diversité et la productivité agricole en Europe, et de faciliter la commercialisation des variétés industrielles. Mais derrière ce but affiché, elle « place toutes les semences sous le contrôle direct des titres de propriété de l’industrie, certificats d’obtention végétale et brevets », dénonce le réseau Semences paysannes, faisant écho à l’opinion d’écologistes et défenseurs du droit des paysans.
Parmi les nombreuses implications de ce paquet législatif, certaines concernent donc la propriété sur les semences. Il en est ainsi du catalogue officiel, qui recense les quelque 30 000 variétés autorisées en Europe, et qui sera désormais géré par l’Office communautaire qui délivre les titres de propriété sur les variétés, financé par les entreprises-mêmes qui détiennent les COV. Autre mesure : les agriculteurs qui produisent des semences – dont des semences de ferme – seront enregistrés sur un fichier, qui pourra faciliter les contrôles s’ils utilisent des semences échangées entre eux (ce qui est interdit), ou sous protection d’un COV.
Surtout, cette réforme ouvre au marché européen les semences hétérogènes, jusqu’ici interdites car elles ne correspondent pas aux critères d’homogénéité nécessaires à leur inscription au catalogue. Cette nouveauté doit, certes, bénéficier à certaines variétés traditionnelles – les variétés anciennes, dites « de niche » – qui échappent à ces critères standardisés. Mais elle facilite, par la même occasion, l’accès au marché de variétés brevetées – dont certaines, les dernières générations d’OGM surtout, ne sont pas assez stables ou homogènes pour satisfaire à ces critères d’homologation, selon Guy Kastler. Pour l’agriculteur anti-OGM, « on sait que si on a gagné cette bataille, c’est parce que les biotechnologies voulaient la même chose ».
Source : Angela Bolis LeMonde/Planète