La Chine a soif d’eau potable

Où et comment trouver de l’eau propre à la consommation ? Le problème se pose avec de plus en plus d’insistance dans les grandes villes chinoises, alors que le pays est confronté à un stress hydrique chronique et à une pollution généralisée de ses ressources en eau.

Des milliers de porcs se déversant pendant plusieurs jours dans le fleuve Huangpu, en plein coeur de Shanghai : le mois dernier, l’affaire a fait la Une des rubriques « insolite » des médias du monde entier. Au total, les autorités ont repêché environ 16 000 bêtes, sans pour autant pouvoir déterminer précisément leur origine, ni la cause de leur décès.

En Chine, le fait divers a fait grand bruit sur Internet, mais sur un mode plutôt alarmiste. Chez beaucoup de Chinois, il est venu rappeler un problème latent : la mauvaise qualité de l’eau du robinet. De fait, on estime que le fleuve Huangpu fournit environ 22 % de l’eau consommée dans la mégapole.  Mais « l’affaire des porcs » n’est que la dernière d’une liste de cas de pollution des rivières et des fleuves chinois qui ne cesse de s’allonger. Selon les chiffres officiels, 40 % des rivières chinoises sont gravement polluées et 20 % le sont à un niveau tel que tout contact avec l’eau qui en provient est déconseillé. Selon une récente étude de l’institut China Geological Survey (sous l’égide du gouvernement), 90 % de l’eau souterraine disponible à proximité des villes chinoises est « polluée », et près de 60 % « sévèrement polluée ». Une situation en grande partie imputable aux milliers d’usines installées au bord des cours d’eau de tout le pays. Souvent protégées par les gouvernements locaux à qui elles apportent d’importants revenus fiscaux, ces usines sont à l’origine d’environ 17 000 accidents chimiques chaque année, selon une estimation du ministère de la Supervision.

Les normes de qualité sont-elles appliquées ?

Dans la population, la méfiance est donc de mise vis-à-vis de l’eau du robinet. Et si beaucoup de Chinois se contentent de la faire bouillir avant de la boire – ce qui ne suffit pas à éliminer certains composants comme les métaux lourds -, ils sont de plus en plus nombreux à préférer l’eau minérale. C’est le cas de Zhao Feihong. Spécialiste de la qualité de l’eau à la Bejijing Healthcare Association, elle a provoqué un mini-scandale en déclarant en janvier dans la presse qu’elle n’avait pas bu d’eau du robinet depuis vingt ans.

Face à cette situation, les autorités se mobilisent. En juillet 2012, le nombre des normes de qualité de l’eau potable est passé à 106, contre 35 auparavant. Aujourd’hui, ces normes sont à peu près comparables à celles en vigueur en Europe. Dans un reportage diffusé l’été dernier, la télévision d’Etat CCTV se félicitait du fait que 83% de l’eau fournie par les stations d’épuration était déjà conforme à ces nouveaux standards. Mais cette affirmation est mise en doute par beaucoup d’experts. Un fonctionnaire du ministère de la Santé a même confié à la presse, sous condition d’anonymat, que l’eau de certaines stations n’atteint toujours pas les 35 normes précédemment en vigueur… En outre, beaucoup de spécialistes pointent du doigt la mauvaise qualité globale des infrastructures d’acheminement de l’eau dans les villes, qui contribuent à la polluer de nouveau après son passage par les stations d’épuration.

En juin dernier, le gouvernement a annoncé la mise en place d’un plan de 410 milliards de yuans (50,7 milliards d’euros) d’ici à 2016 pour garantir une meilleure qualité de l’eau potable. Le chiffre est impressionnant, mais ni les sources de financement, ni les acteurs impliqués, ni même les travaux envisagés n’ont étés précisés. De son côté, sous la pression de l’opinion publique, la municipalité de Pékin a commencé à publier fin 2012 des relevés de la qualité de l’eau. « Le problème, c’est qu’ils ne sont publiés que tous les trois mois, ce qui est loin d’être assez. Et surtout, c’est le Beijing Water Works Group (chargé de la gestion de l’eau pour la municipalité, ndlr) qui fait lui-même les relevés. Quelle crédibilité cela a-t-il ? Il faut les faire faire par une instance indépendante », s’insurge Ma Jun, auteur de La crise de l’eau en Chine et fondateur de l’Institut pour les Affaires publiques et environnementales.

Une ressource insuffisante

Cependant, la pollution n’est pas la seule menace pour l’eau potable. Le pays est en proie à un stress hydrique chronique : alors que les Chinois représentent 20 % de la population du globe, le territoire national ne compte que 6 % des ressources mondiales en eau. Et la situation est particulièrement grave dans le nord-est du pays. A Pékin par exemple, le volume d’eau disponible par habitant n’est que de 100m3 par personne et par an, dix fois moins que le seuil minimum recommandé par l’OMS. Face à ces déséquilibres – parfois accentués par la pollution des sources locales – le gouvernement chinois s’est lancé dans une vaste politique de transferts, dont le projet le plus ambitieux – et le plus controversé – prévoit d’acheminer 44,8 milliards de tonnes d’eau par an des fleuves du sud vers les provinces du nord du pays.

Directeur de l’école d’environnement et de ressources naturelles de l’université du Peuple de Pékin, Ma Zhong est sceptique sur l’efficacité de l’ensemble de ces mesures. Selon lui, « le gouvernement a une logique de court-terme. Au lieu de transférer l’eau à partir d’endroits qui – il faut le rappeler – en ont également besoin, il faudrait mieux dépolluer l’eau disponible localement. De même, on investit dans l’épuration mais on continue de polluer les rivières et les nappes phréatiques : cela est aussi cher qu’inefficace ! Protéger efficacement l’environnement à la base me semble être la seule solution responsable. »

Gael Bernard à Pékin
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