Réflexion : Un nouveau marqueur de violence extrême: la maltraitance animale
VIOLENCE – L’on assiste aujourd’hui à une forte intensification de la recherche criminologique internationale sur le lien entre les conduites violentes et les mauvais traitements réservés aux animaux.
Depuis certains faits divers ayant eu d’importants échos, comme celui du massacre de Columbine, des études plus systématiques sont menées pour lier la violence envers l’animal et celle envers l’humain.
Le 20 avril 1999, dans le lycée de Columbine, Eric Harris et Dylan Klebold tuaient 12 élèves et un enseignant et blessaient 20 personnes avant de se donner la mort. Tous deux s’étaient vantés dans leur passé d’avoir mutilé des animaux.
Il ne s’agit pas d’un fait isolé. Stéphanie Verlinden et ses collègues de l’université du Pacifique ont étudié les comportements qu’avaient eus avec les animaux les adolescents impliqués dans neuf fusillades mortelles en contexte scolaire, constatant que 45% d’entre eux avaient été auteurs d’actes de cruauté.
De nombreuses autres autopsies psychologiques menées pour comprendre les caractéristiques des tueurs de masse (auteurs d’au moins trois homicides le même jour) ou des tueurs en série (auteurs d’homicides planifiés faisant trois victimes ou plus sur un intervalle de temps plus long et dans des circonstances différente) dévoilent que la cruauté envers les animaux peut constituer un important marqueur de violence envers des êtres humains.
Ainsi, dans une étude rétrospective menée en prison auprès de 36 auteurs de plusieurs meurtres, 36% d’entre eux disaient avoir tué et torturé des animaux durant leur enfance, et 46% avaient commis ces actes de cruauté durant l’adolescence. Dans une autre étude réalisée en milieu carcéral auprès de 180 prisonniers, Brandy Henderson, de l’université du Tennessee, constatait que les actes de violence envers les animaux que déclaraient les prisonniers étaient particulièrement fréquents.
La cruauté envers l’animal est définie par Frank Ascione, de l’université de Denver, comme un comportement socialement inacceptable qui cause intentionnellement une douleur, souffrance et détresse de l’animal et/ou sa mort. Il s’agit donc d’un ensemble de conduites nocives pour l’animal qui se distinguent de l’exploitation de l’animal pour sa viande ou sa peau, par exemple.
La littérature psychiatrique admet depuis de nombreuses années que la cruauté envers les animaux chez l’enfant est prédictive de futures conduites antisociales, incluant les violences contre les personnes.
Linda Merz-Perez et ses collègues ont interrogé un échantillon de délinquants violents et non violents incarcérés dans une prison à sécurité renforcée en Floride. 56% des délinquants violents rapportaient avoir commis des actes de cruauté envers les animaux durant leur enfance, contre 20% des délinquants non violents. Les délinquants non violents exprimaient davantage de remords pour ces actes que les délinquants violents.
Dans une autre étude menée auprès de 152 hommes incarcérés ou non, des chercheurs ont comptabilisé que, tandis que 25% des délinquants agressifs rapportaient 5 actes de cruauté envers les animaux ou davantage, ce n’était le cas que de 6% des délinquants non agressifs. Aucun des participants non-délinquants à cette étude n’avait commis 5 actes de cruauté envers des animaux.
Moins soumise à des biais liés à la mémoire des répondants, le suivi d’une cohorte d’enfants à risque a montré que ceux qui avaient eu des conduites cruelles envers les animaux entre 6 et 12 ans avaient une probabilité plus que doublée d’être en contact avec la justice par la suite.
Dans une revue de la littérature, Flynn (2011) a identifié les principaux antécédents de la cruauté envers l’animal chez les enfants: être victime d’abus physique ou sexuel, être témoin de violences entre ses parents, voir ses parents ou des pairs faire du mal aux animaux.
L’une des rares études européennes menées sur le sujet a été réalisée par Sonia Lucia, de l’université de Genève, et Martin Killias, de l’université de Zürich, auprès de plus de 3600 enfants et adolescents suisses de 13 à 16 ans. Les résultats ont montré que 12% d’entre eux (17% des garçons et 8% des filles) ont admis avoir maltraité intentionnellement un animal. 5% des garçons et 1,5% des filles l’avaient fait à plusieurs reprises. Les animaux maltraités étaient des chats ou chiens (29%), des poissons, lézards ou grenouilles (18%), des oiseaux (11%) et d’autres animaux (insectes, gastéropodes, 41%).
Dans environ un cas sur deux, l’acte avait été réalisé en présence d’une ou plusieurs autres personnes. Lorsque les auteurs ont mis en relation les mauvais traitements d’animaux avec les conduites délinquantes et violentes des participants, un lien significatif est ressorti pour tous les types de conduites.
Les enfants qui avouaient avoir maltraité des animaux étaient trois fois plus enclins à avoir commis des actes de délinquance grave comme par exemple un cambriolage ou une agression conduisant à une blessure.
Les raisons des mauvais traitements
Les raisons qui motivent les mauvais traitements envers l’animal sont diverses. Selon Stephen Kellert, de l’université de Yale, et Alan Felthous, de l’université du Texas, la première motivation présente est le contrôle: l’animal est battu pour qu’il arrête un comportement indésirable (aboiements, par exemple).
La deuxième motivation observée est le châtiment, qui consiste dans l’usage d’une punition extrême pour punir l’animal (par exemple, s’il a vomi ou fait ses besoins au mauvais endroit).
La troisième motivation est l’absence de respect pur et simple pour la vie de l’animal. Du fait de préjugés, l’individu maltraite ou néglige les conditions de vie d’un animal parce qu’il considère qu’il ne mérite aucun égard, voire qu’il est mauvais.
L’instrumentalisation (4e motivation) consiste dans l’usage de l’animal pour mettre en scène de la violence, comme dans le cas des combats de chiens.
La cinquième motivation est appelée l’amplification: l’animal est utilisé pour impressionner, menacer ou blesser autrui, en prolongement de la violence de l’individu.
La sixième motivation consiste dans la réalisation d’un mauvais traitement pour choquer les gens qui en sont témoins ou s’amuser.
La septième motivation est la vengeance, et consiste dans l’agression d’un animal afin d’atteindre son propriétaire.
Enfin, la dernière motivation est le déplacement de l’agression. Dans ce cas, l’animal est victime de coups parce que l’individu n’a pas la possibilité de les donner à une source de frustration qu’il craint ou ne peut atteindre. Par exemple, après une entrevue défavorable avec un supérieur hiérarchique, l’individu donne des coups de pieds à son chien suite à une contrariété mineure.
Comme toute conduite agressive, les conduites cruelles envers les animaux sont déterminées par l’observation de modèles et par imitation. De plus, conformément à la théorie néo-associationniste de l’agression, toute expérience désagréable (frustration, provocation, odeurs, bruit, température inconfortables) génère un affect négatif, lequel mobilise des pensées, souvenirs, réponses motrices et physiologiques qui favorisent une réaction de fuite en cas de peur et d’attaque si la colère est stimulée. Ceci s’applique à certains types de violences réactives envers l’animal.
Un marqueur de violences subie de la part des proches et commise envers les proches
Selon Frank Ascione, de l’université de Denver, les enfants victimes de violences sexuelles ont une probabilité d’être auteurs d’actes de cruautés envers les animaux multipliées par 6. Chez l’adulte, la cruauté commise envers les animaux est liée aux violences perpétrées sur les enfants, les partenaires intimes, et les personnes âgées. Ces conduites se produisent souvent dans les mêmes maisons et sont perpétrées par la même personne: un homme adulte.
La recherche en criminologie ne s’est que récemment intéressée significativement à cette question, mais les travaux sont aujourd’hui abondants et convergents. Frank Ascione et ses collègues ont comparé 100 femmes rencontrées dans des centres d’accueil pour femmes battues à 120 femmes issues de la population générale et n’ayant pas été victimes de violences. Il y avait une probabilité cinq fois supérieure pour une femme dont le partenaire avait menacé de violence un animal familier d’avoir été victime de violence intime.
Dans une étude observationnelle, un chercheur s’est rendu au domicile de 53 familles qui remplissaient les critères d’abus d’enfant et de négligence et où se trouvait un animal de compagnie. L’observation des conduites durant l’entretien avec la famille a montré que dans 60% des cas les animaux familiers étaient maltraités ou négligés. Dans 88% des familles montrant un abus d’enfant, la cruauté envers les animaux était présente: 2/3 des animaux étaient victimes du père et 1/3 des enfants. Il a également été constaté que les femmes ayant un animal familier risquant d’être maltraité repoussent parfois leur décision de se séparer du conjoint violence pour protéger leur animal domestique.
Selon les données d’Eleonora Gullone, de l’université Monash en Australie, de 18% à 45% des femmes battues indiquaient que la crainte que leur conjoint ne s’en prenne à leur animal familier les aura empêchées de le quitter plus tôt.
Protéger humains et animaux
Les liens entre les humains et les animaux de compagnie ne sont pas superficiels: lors de telle catastrophe naturelle, de nombreux exemples indiquent que les survivants se soucient de leur chien ou de leur chat. En effet, les animaux de compagnie sont souvent considérés comme des membres de la famille.
Par exemple, après le passage de l’ouragan Katarina en 2006, certaines autorités de secours américaines ont mis en place des plans de sauvetage des animaux, ayant constaté que de personnes sinistrées refusaient de quitter le tôt de leur maison dévastée par l’inondation si l’on n’évacuait pas leur animal de compagnie avec elles.
Tandis que les travaux attestant de l’intérêt de l’introduction des animaux dans certaines formes de psychothérapies se multiplient, les recherches liant le bien-être humain et celui de l’animal se développent.
Au Royaume Uni, les travailleurs sociaux sont invités à s’interroger sur la manière dont les animaux familiers sont traités par les membres de la famille, tandis que l’on suggère aux vétérinaires témoins de mauvais traitements de se rapprocher des autorités. La manière dont sont traités les animaux et celle dont l’on traite les humains ne sont pas entièrement dissociables, au contraire.
Selon Eleonora Gullone, il existerait un lien au plan international entre le niveau de mise en pratique par les Etats des droits de l’homme et le traitement réservé aux animaux.
Laurent Bègue
(Professeur de psychologie sociale
à l’université Pierre Mendès-France de Grenoble)
Source : Huffington Post