AILLEURS : Yacouba, le Burkinabè qui arrête le désert
En 1974, alors que la famine fait rage au cœur du Sahel burkinabé, et que les habitants fuient le village de Gouga, Yacouba décide de planter des arbres là où rien ne pousse. D’abord pris pour un fou, il deviendra une véritable icône dans son village et dans tout le pays des Hommes intègres. Rencontre burkinabè dans la forêt de celui qui est surnommé : « l’homme qui arrête le désert ».
Yacouba a trois femmes, 25 enfants, 12 petits-enfants et 30 hectares de forêt. Sur le sentier, le sable laisse peu à peu place à la terre rouge avant que les premiers arbres n’apparaissent. Accompagné de sa vieille moto Yamaha et vêtu d’une tunique verte arborant le slogan « Reverdir le Sahel », voici l’homme qui a arrêté le désert.
A l’âge de 28 ans, alors que la famine frappe le village, ce commerçant décide de devenir cultivateur là où la terre est ensevelie par le sable.
« En 1974, au Sahel, c’est la débandade, tout le monde quittait le village. La sécheresse a engendré la famine : même les animaux mourraient. Les troupeaux étaient décimés. Moi, ça allait, j’étais commerçant. »
Il décide pourtant de faire son retour à la terre :
« Avant sa mort, mon père m’avait fait des révélations. Il m’avait dit que je devrais arrêter un jour le commerce pour revenir à la terre. Une nuit, il est venu dans mon rêve me dire qu’il était temps. »
« J’avais la certitude que ça allait marcher »
Pour arrêter l’avancée du désert, planter des arbres lui est apparu comme une évidence. Armé de courage, de passion, de patience et de beaucoup d’espoir, il laissera sa moto de côté pour un retour à la terre, sans concessions.
« Pendant trois ans, j’ai parcouru à pied le désert autour de Gouga en essayant toutes les techniques possibles pour faire pousser quelque chose. Il n’y avait pas d’eau, pas d’herbe sèche, mais j’avais la certitude que ça allait marcher. »
Là où les ONG et des millions d’investissements ont été engloutis par le sable, Yacouba va, au bout de trois ans, voir ses premiers arbres sortir de terre. Il venait de mettre au point le Zaï. A l’ombre d’un arbre, il confie son secret :
« J’ai contourné les pratiques ancestrales. Je fais un trou, je dépose le fumier et mets les semis en même temps. Les termites creusent des galeries profondes qui permettent une longue conservation de l’eau. »
Et, aux premières pluies, la magie opère. Mais Yacouba ne prend pas le temps de savourer cet exploit et part à moto prêcher la bonne parole.
« J’ai traversé tout le pays pour vulgariser ma technique. Aujourd’hui, tout le Burkina Faso utilise le Zaï. Dans chaque village j’ai au moins un élève. »
Comme un sauveur
L’époque où on évitait Yacouba « le fou » est révolue, on congratule maintenant « l’homme qui a arrêté le désert » : « Les gens m’acclament comme un sauveur », déclare-t-il, tout sourire.
Sa forêt s’étend actuellement sur 30 hectares. Et, il ne compte pas s’arrêter là :
« J’ai pour objectif d’atteindre les 100 hectares d’ici 2017, mais le maire ralentit l’extension. Il donne des permis de construire dans ma forêt. »
Car officiellement, rien n’est à Yacouba. A l’annonce de cette nouvelle, le docteur Jérôme Compaoré, ingénieur spécialiste en agriculture, député et directeur de cabinet de l’ancien premier ministre burkinabè Titus Zongo, s’insurge :
« Il nécessite plus d’attention de la part des dirigeants. On ne devrait pas lui mettre de bâtons dans les roues, seulement le soutenir et l’aider. C’est vraiment extraordinaire ce qu’il fait. Il a besoin d’être accompagné, car c’est un travail d’intérêt national. Il a pris un risque énorme pour lui et sa famille. Il a affronté la nature et réussi quelque chose de génial. Je vais faire en sorte d’alerter les autorités compétentes. »
Soigner les gens avec les arbres
Imperturbable, à 66 ans, « l’homme qui arrête le désert » voit déjà plus loin. Il veut faire de sa forêt un dispensaire.
« Je fais des tests pour soigner à partir des arbres du Sahel. J’ai des premiers résultats positifs avec les racines, les écorces et les feuilles. Je soigne les maux d’estomac, les ulcères, et les eucalyptus sont très efficaces contre certaines formes de palu. »
S’il n’avait qu’un seul souhait ? Yacouba n’a d’abord pas voulu répondre, mais après avoir quitté sa forêt, il finit par confier :
« J’aimerais que les gens aient le courage de se développer à partir de leur racine. »