L’Agroforesterie : des pratiques innovantes au service de l’économie et de l’environnement

Innovante, l’agroforesterie ?

 

Elle est pourtant aussi ancienne que l’agriculture, et traditionnellement répandue dans le monde entier. Certes, dans les grands pays industrialisés, l’arbre a presque disparu des parcelles agricoles. Ainsi en France, la diffusion du machinisme et des produits phytosanitaires ont conduit à l’arrachage systématique des arbres qui gênaient l’expansion des cultures pures en grandes parcelles. Les remembrements successifs et la mise en place de règles de la PAC en défaveur de l’arbre n’ont fait qu’amplifier ce phénomène. Entre 1960 et 1980, environ 70% des haies présentes à l’apogée du bocage (entre 1850 et 1930) ont été supprimés, soit près de 1,5 milliards d’arbres ou arbustes – l’équivalent de plus de 20 millions d’hectares de forêt.

 

Qu’est-ce que l’agroforesterie ?

L’agroforesterie désigne l’association d’arbres et de cultures ou d’animaux sur une même parcelle agricole. Outre les alignements d’arbres intra parcellaires, elle inclut  toutes les formes arborées rencontrées sur une exploitation : haies, ligneux qui poussent spontanément au bord de cours d’eau (ripisylves), arbres têtards, simples arbres isolés ou en petits bosquets. Il existe donc une grande diversité de systèmes agroforestiers, qui comprennent également le sylvo-pastoralisme ou les pré-vergers (animaux pâturant sous des fruitiers).
L’agroforesterie moderne cherche à combiner ces différentes formes sur une même exploitation, à partir d’un diagnostic du milieu et des besoins de l’exploitant. Chaque projet agroforestier est personnalisé et s’inscrit dans la durée. Les agriculteurs s’en approprient les composantes et introduisent leurs propres ajustements et innovations au fur et à mesure qu’ils en réalisent l’intérêt.

 

Protéger les sols et les cours d’eau

 

Le mouvement a commencé à s’inverser à la fin des années 1980, notamment lorsque des agriculteurs ont constaté les dégâts causés sur le terrain par l’érosion. L’arbre est alors apparu comme une solution pour protéger les parcelles, notamment contre l’effet du vent et du ruissellement. C’est le cas de Nicolas Petit, qui a repris en 2001 une exploitation de 43 ha dans le Gers, dédiée aujourd’hui à la culture de céréales et l’élevage de volailles. « Lorsque nous nous sommes installés, les terres étaient totalement lessivées. En dehors de la ripisylve et d’un petit verger, les seuls arbres encore présents étaient des peupliers dépérissant, car non adaptés au terrain. Dès le premier hiver, une coulée de boue a ravagé une parcelle de 20 hectares ! Un vrai choc. » Enjeu individuel, la protection des sols et donc des cours d’eau est aussi un enjeu collectif de taille, l’agroforesterie apporte des éléments de réponse.

 

Des gains économiques immédiats

 

Avec l’aide des conseillers d’Arbre et Paysage 32, Nicolas Petit a implanté plus de 5 km de haies et 10,25 hectares d’agroforesterie avec des arbres de plein champ. Outre la régénération des sols, la priorité a porté sur la protection des volailles contre le vent et les chocs thermiques. L’installation de parcours arborés et de bosquets a permis de nets gains de productivité : « Les volailles qui disposent d’un accès à un enclos arboré passent moins de temps dans les bâtiments, ainsi elles gaspillent moins d’aliments. Elles sont moins stressées car elles se sentent protégées vis-à-vis des rapaces et autres prédateurs, et le poids vif s’améliore. » Résultat : un indice de consommation amélioré de 10 à 15%.
En reconnectant la ripisylve à un réseau de haies et d’arbres, composé d’une grande variété d’espèces locales, c’est une véritable trame verte et bleue qui a été mise en place sur une durée de 9 ans. Elle apporte de multiples bénéfices : amélioration de la biodiversité, production de bois…  sans oublier l’impact sur le paysage, essentiel pour cet exploitant en diversification touristique, qui accueille plus de 2500 enfants chaque année dans sa ferme pédagogique.

 

Imiter la nature

 

L’agroforesterie contribue ainsi à restaurer la dynamique de l’écosystème cultivé. C’est la méthode de Jack Delozzo, agriculteur bio sur 84 ha en polyculture-élevage à Noilhan (32) : « j’essaie d’imiter la nature au mieux, même si ça prend des années ».

 

Photo Arbre et Paysage 32

Jack Delozzo – Photo Arbre et Paysage 32

 

En 2007, il a planté une première parcelle d’agroforesterie avec  des alignements intra-parcellaires : « J’ai planté des lignes d’arbres sur une parcelle en rotation céréales/fourrage/prairies, puis une deuxième il y a deux ans. J’ai choisi un mélange d’essences autochtones adaptées aux conditions climatiques locales, sur les conseils des techniciens. » On trouve dans sa parcelle des noyers, frênes, alisiers, merisiers, cormiers et chênes, essences qui fournissent du bois d’œuvre à haute valeur marchande. La densité ? Environ 50 arbres/ha, ce qui permet de maintenir le rendement des cultures, avec un espacement qu’il a raisonné pour permettre le passage de ses machines.
Les formations végétales voisines sont connectées à cet aménagement pour créer au final une trame verte bénéfique à tous : travail sur la régénération naturelle des ligneux en bordure de parcelle, gestion des haies et ripisylves, plantation ou replantation de haies manquantes. Il restaure également des arbres têtards.

 

Gérer la ressource en eau

 

Cette gestion raisonnée fournit à boire et à manger à tout le monde : « Les arbres n’ont jamais été arrosés », affirme-t-il avec le sourire. Malgré le déficit de 300mm d’eau par rapport à l’année précédente (850mm/an), les arbres ne semblent pas souffrir. Mieux encore, ils rendent service. « Les arbres poussent sans irrigation dans la nature. Au milieu des cultures, ils sont en compétition, alors ils envoient leurs racines en profondeur. Cela permet de remonter l’humidité et les nutriments des couches profondes du sol vers la surface, pour les cultures. Leurs racines permettent aussi de capter les pertes par lessivage, rien n’est perdu. Bien sûr, le déficit en eau est toujours pénalisant, quelles que soient les pratiques, mais si on travaille correctement et qu’on augmente le taux de matière organique, on garde mieux l’eau dans les sols ». L’arrêt du labour, remplacé par un travail à moins de 5 cm de profondeur permet aussi de réduire l’évaporation au printemps.

 

Du bois pour aujourd’hui et demain

 

Grâce à l’agroforesterie, rien ne se perd. « Les arbres de l’exploitation, que ce soient les alignements, les arbres têtards ou les haies sont d’excellentes ressources : ils fournissent du bois raméal fragmenté, du fourrage pour les animaux… et des billes de bois que mes enfants exploiteront ».
Le BRF, Bois Raméal Fragmenté issu des branches fraîches les plus fines, lui sert de paillage pour protéger le pied des arbres. Il permet en outre de régénérer le sol en recréant des processus biologiques et biochimiques semblables à ceux observés en forêt. Il constitue une excellente litière pour les animaux. Les arbres têtards, quant à eux, fournissent du bois énergie qu’il revend à des filières locales pour la chaufferie.

L’arbre, réservoir de biodiversité

Sur les lignes, le pied des arbres est enherbé. Pour autant, Jack Delozzo ne note pas de problèmes d’adventices, les stocks de graines n’étant pas renouvelés par le labour.
En revanche, l’arbre et les bandes enherbées recréent des habitats semi-naturels. On y trouve un cortège floristique et faunistique bien plus développé que dans des parcelles nues. Les auxiliaires de culture qui y sont présents limitent le développement des ravageurs. Les haies abritent une faune sauvage et du gibier, et regorgent d’espèces mellifères pour les abeilles et autres pollinisateurs. A l’échelle de l’exploitation, une trame écologique est recréée.

L'exploitation de Jack Delozzo - Photo Philippe Van Lerberghe

L’exploitation de Jack Delozzo – Photo Philippe Van Lerberghe

Régénérer les sols et stocker du carbone

L’agroforesterie fait de plus en plus partie d’un ensemble de techniques visant à recréer des sols vivants comme les techniques culturales simplifiées (TCS), le semis direct et les couverts végétaux, qu’elle complète parfaitement. « Avec les couverts végétaux, l’eau des pluies s’infiltre mieux et le sol ne part plus avec les gros épisodes pluvieux. Le sol est mieux structuré, avec plus de vers de terre. Je ne laisse aucune de mes parcelles en sol nu après la récolte, il est toujours couvert et je sème directement dedans. C’est moins de temps, moins de dépenses et le résultat est là : j’ai de meilleurs rendements et une hausse du taux de matière organique ».
Chaque parcelle devient ainsi un puits de carbone, stocké dans les arbres (utilisé en biomasse-énergie, il viendra remplacer des carburants fossiles), dans leurs racines, mais aussi et surtout dans la matière organique restituée aux sols par les arbres et conservée grâce aux TCS. Une parcelle accueillant 50 arbres/ha en alignement de plein champ stocke environ 1 tonne de carbone par ha/an dans le sol (sans compter la biomasse érigée).
Outil de mitigation du changement climatique, l’agroforesterie est aussi un formidable outil de résilience face aux effets déjà sensibles de la déstabilisation du climat. Elle conserve l’eau dans le sol, réduit l’impact des masses d’air et tempêtes et l’amplitude des chocs thermiques, et en particulier des canicules.

Un bilan économique positif

Planter une parcelle en agroforesterie, combien ça coûte ? Environ 15  euros par arbre, tout compris : achat du plant, plantation, protection, paillage. Un investissement modeste au regard du capital sur pied que sont les arbres et de tous les biens et services qu’ils procurent.
Il existe également des aides financières puisque les parcelles agroforestières ont le statut de parcelles agricoles et permettent donc de bénéficier des aides de la PAC.
Une mesure spécifique à l’investissement pour les premières plantations (mesure 222 PDRH) peut également financer jusqu’à 80% du montant total, dans les régions qui ont activé cette mesure.
« En général on ne plante pas pour soi mais pour après soi, mais chaque arbre me permet de faire des économies puisque j’en retire du fourrage, du paillage pour un autre arbre, de la fertilité en plus… Avec les techniques culturales simplifiées, je ne dépense plus beaucoup de gasoil, ni d’intrants, même bio. Et j’ai détourné des engins agricoles qui me permettent d’aller plus vite. Par exemple, je plante mes arbres en ligne avec un semoir que j’ai customisé ».

Faire rimer biomasse et biodiversité

Face aux défis des changements climatiques, de l’érosion des sols et de la biodiversité, l’urgence est de déployer des techniques permettant de concilier le court terme et le long terme, l’individuel et le collectif : productivité, rentabilité, résilience et restauration de l’environnement. L’agroforesterie moderne, combinée aux TCS, apporte des éléments de réponse. Outil au service d’une agriculture écologiquement intensive, elle permet de produire de la biomasse tout en recréant de la biodiversité au sein des parcelles, et recapitaliser du carbone dans les sols. C’est un cercle vertueux qui, en produisant biens et services, relocalise des emplois en recréant des filières pour l’exploitation des produits tels que le bois énergie. « L’arbre est un bon placement : on touche le capital, mais aussi les intérêts sous forme de BRF, bois-énergie… Extraordinaire en forêt où il se développe sans l’intervention de l’homme, il l’est tout autant hors forêt. L’arbre est le pilier de l’agriculture et il est temps qu’on le redécouvre », conclut Jack Delozzo.

Par Alain Canet et Yasmine Evieux, Association Française d’Agroforesterie et Anne Gouyon, BeCitizen pour magazine-durabilis.net

 

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