La psychiatrie française s’élève contre les dérives « à l’américaine » Des psychiatres et psychanalystes français s’opposent à la surmédicalisation des émotions prônée par la « bible » des troubles mentaux, le « DSM ». Pathologique, un enfant de six ans qui fait trois grosses colères par semaine pendant un an ? © SINTESI / SIPA C’est la bronca dans le monde de la psychiatrie ! En cause : la cinquième et nouvelle édition du Diagnostic and statistical manuel of mental disorders (DSM) – la référence unique et mondiale en matière de pathologies mentales depuis les années 1980. Établie par l’Association des psychiatres américains, la version à paraître de cette « bible » des troubles mentaux qui établit la distinction entre le normal et le pathologique suscite de vives critiques de la part des psychiatres et psychanalystes français. De faux malades cibles des labos « En trente ans, le nombre de maladies mentales répertoriées dans le DSM a été multiplié par presque trois (moins de 150 dans le DSM III à 400 prévues dans le DSM V) », dénonce Patrick Landman, psychanalyste et psychiatre, président de l’initiative Stop DSM. « Cette augmentation vertigineuse n’est liée ni à des progrès dans la connaissance scientifique ni à une aggravation des conditions de vie qui pourraient expliquer la survenue de nouveaux troubles mentaux, mais à la méthode du DSM qui induit une pathologisation extensive des comportements et des émotions humaines avec pour conséquences des pratiques de surdiagnostic, de surmédicalisation et de surprescription. » Les conséquences sont désastreuses à double titre. D’abord pour les « faux » malades, qui deviennent la cible de prescriptions médicamenteuses inutiles et dangereuses, mais aussi pour les finances publiques, une partie de l’argent alloué à la santé mentale étant, selon l’initiative Stop DSM, détourné au détriment de ceux qui ont vraiment besoin et au bénéfice exclusif de l’industrie pharmaceutique. En réaction, le collectif dénonce les dangers d’une « pensée unique biomédicale en psychiatrie, contre un paradigme purement biologique ». Et si tous les spécialistes n’adhèrent pas à ce mouvement, les exemples donnés ont de quoi semer l’inquiétude chez les patients potentiels que nous sommes. Médicalisation à outrance Le premier concerne nos chères têtes blondes. Selon le DSM, un enfant de six ans qui fait trois crises de colère forte par semaine pendant une année sera étiqueté DMDD, Disruptive Mood Dysregulation Disorder. Conséquence, « ses parents devront lui faire prendre des médicaments sédatifs, (lesquels pourront) entraîner une obésité, un diabète et des troubles métaboliques divers », dénonce ainsi le docteur Tristan Garcia-Fons, pédopsychiatre et psychanalyste Le second a trait à un événement auquel, malheureusement, personne n’échappe : la perte d’un être cher. Si le parent ou l’ami d’un défunt conserve une « apparence dépressive » au-delà de deux semaines après le deuil, le DSM prône le diagnostic d' »épisode dépressif majeur » et la prescription d’antidépresseurs. « Ce nouveau trouble que l’on appellera la dépression de l’endeuillé représente la quintessence de la folie de la méthode DSM : perte de la notion de normalité, médicalisation de tous les aspects les plus « sacrés » de la condition humaine », estime le docteur Landman. Les opposants au DSM V craignent aussi qu’au nom de la prévention de la maladie d’Alzheimer la perte de mémoire physiologique liée à l’âge ne devienne une pathologie. Avec pour conséquence la prescription de tests inutiles et coûteux ainsi que de médicaments dont l’efficacité n’est pas validée. Plus anecdotique, mais tout autant représentatif, la perception de la gourmandise : avoir douze accès sur trois mois sera bientôt considéré comme un binge disorder. C’est bien plus grave qu’un péché… Anne Jeanblanc pour Le Point Commentaires sont clos