Il trouve une erreur de calcul qui remet en cause l’austérité !

Un étudiant américain a mis à jour les erreurs de deux économistes renommés, dont l’étude sert d’argument aux partisans de la rigueur.

 

C’est le genre de battements d’ailes qui change le cours de l’histoire. Un étudiant américain, Thomas Herndon, a révélé il y a quelques jours que l’étude des économistes Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart de 2010, principale justification théorique de la politique de rigueur appliquée en Europe, comportait des erreurs…. de calculs !

Une étude en faveur de la rigueur

La conclusion de Rogoff et Reinhart est aujourd’hui bien connue. Selon les deux vedettes d’Harvard, lorsqu’un pays voit sa dette dépasser 90% de son PIB, sa croissance ralentit. Leur étude se base sur l’analyse de 200 ans de rapports annuels dans 44 pays. En moyenne, ils observent une contraction de 0,1% du PIB lorsque ce seuil de 90% est atteint.

Le corollaire de cette étude est plus inquiétant. Si un pays a une dette supérieure à 90% de son PIB, sa situation devient inextricable. Sa croissance ne suffit pas à faire baisser son endettement : il ne dégage plus assez de richesse et se retrouve obligé d’emprunter davantage pour rembourser sa dette. Conséquence : ses créanciers réclament des taux d’intérêts de plus en plus hauts, le menant un peu plus vite à sa perte.

Ce raisonnement a servi de base théorique à bien des partisans de la rigueur budgétaire. Aux Etats-Unis, il a nourrit les attaques républicaines contre le budget fédéral, l’opposition réclamant à Barack Obama des coupes drastiques dans les dépenses publiques. En Europe, la Commission européenne et nombre de pays rigoureux ont tenu le même discours, avec de lourdes conséquences : gel des salaires des fonctionnaires, réformes structurelles, hausse des impôts…

 

Une étude contestée

Tout le monde ne croit pas pour autant à cette règle. Les investisseurs accordent pour l’instant leurs prêts à des taux toujours très bas aux gouvernements américains et français, dont l’endettement a pourtant dépassé les 90%. Cela signifie qu’ils considèrent qu’ils ont de très fortes chances d’être remboursés.

En empruntant, les Etats-Unis mènent actuellement une politique de relance efficace : leur PIB a progressé de 2,2% en 2012. « Il ne faut pas prendre en compte que la dette brute », explique Eric Heyer, économiste à l’OFCE. « L’Etat français a des actifs : des participations dans des entreprises, pour environ 45% de son PIB, de l’immobilier, des routes, des infrastructures, pour environ 80% de son PIB ». Ces actifs sont à la fois générateurs de revenus, et peuvent éventuellement être vendus.

Rogoff et Reinhart manquent-ils de rigueur ?

Thomas Herndon, avec l’aide de ses professeurs de l’Université du Massachusetts, Michael Ash et Robert Pollin, ont refait les calculs des célèbres économistes. Ils ont constaté qu’au-delà de 90% de dette, la croissance moyenne n’était pas de -0,1% mais de +2,2% !

La raison de cet écart ? Rogoff et Reinhart ont omis de prendre en compte l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada entre 1946 et 1950, la Belgique en 1947, entre 1984 et 2005 et entre 2008 et 2009. Qu’en concluent les trois économistes ? Que le taux de croissance ne varie pas de manière significative au-delà de 90% de dette.

Que faut-il en conclure ?

Rogoff et Reinhart estiment que les résultats ne sont pas si différents, et que le principe reste valable : plus l’endettement est grand, plus la croissance est faible. C’est aussi l’avis d’Olivier Blanchard, chef économiste au FMI (comme l’ont été les deux auteurs de l’étude) qui estime que la barre des 90% « reste un bon point de référence ». Il a pourtant lui-même admis ne pas voir suffisamment pris en compte l’impact de la politique de rigueur sur la croissance en Europe !

Pour Jean-Marc Daniel, économiste à l’Institut de l’entreprise, les écarts entre l’étude de Rogoff et Reinhart et leurs contradicteurs est un révélateur de la tournure que prend la recherche économique : ce débat relève davantage de l’économétrie, de la mesure des événements, que du concept lui-même. Il estime que si cette étude a été instrumentalisée à des fins politiques, elle n’est pas la seule à pointer les risques du surendettement. La découverte de Thomas Herndon sera-t-elle à son tour surinterprétée ? Alors que la France demande à la Commission européenne un délai d’un an pour réduire ses déficits publics, cette trouvaille tombe à point nommé.

Donald Hebert

Source : Le Nouvel Observateur/Economie

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