Le stockage de l’eau contaminée de Fukushima est de plus en plus problématique
Manifestement, Tepco est débordé, et c’est grave.
De tous les problèmes qui compliquent les travaux à la centrale nucléaire de Fukushima, la gestion de l’eau contaminée apparaît comme le plus sensible. « L’entreprise n’a pas suffisamment de citernes solides en construction pour accueillir l’eau des réservoirs souterrains », admettait, mardi 9 avril, Masayuki Ono, de la division énergie nucléaire de la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco).
L’aveu suivait l’annonce par Tepco, les 5 et 7 avril, de fuites au niveau des réservoirs 2 et 3 creusés dans le sol. Au niveau du réservoir 2, d’une capacité de 14 000 tonnes, 120 tonnes se seraient écoulées. Tepco a annoncé le transvasement de cette eau dans un autre réservoir. Commencée le 6 et ayant contraint l’entreprise à mettre en place une cellule de crise, l’opération doit se terminer le 11 avril ; 47 t supplémentaires devraient fuir pendant ce temps.
Dans le même temps, le département de Fukushima a demandé à Tepco de cesser d’utiliser les réservoirs creusés dans le sol par crainte d’une contamination des eaux souterraines. Or renoncer aux réservoirs exige de se doter d’un grand nombre de citernes, ce qui pose un problème de place.
TEPCO DOIT REFROIDIR LES RÉACTEURS ET LES PISCINES
L’affaire est sensible pour Tepco. Le ministre de l’économie, du commerce et de l’industrie Toshimitsu Motegi, qui a la charge des questions énergétiques, a convoqué lundi le président de la compagnie, Naomi Hirose. « Si de tels incidents se poursuivent, a déclaré M. Motegi, c’est tout le processus de démantèlement de la centrale qui pourrait être affecté. »
Le ministre a exhorté M. Hirose à tout faire pour éviter que l’eau n’atteigne l’océan Pacifique – même si l’entreprise y aurait déjà relâché de l’eau dite faiblement contaminée, quelques milliers de becquerels (Bq) par litre, alors que les normes fixent à 100 Bq par litre la limite de contamination de l’eau –, tout en rappelant que la population s’inquiétait de la situation à la centrale.
Tepco doit continuer de refroidir les réacteurs et les piscines contenant des milliers de barres de combustible, tout en s’assurant que l’eau utilisée, devenue très contaminée, ne s’écoule pas dans la nature. « C’est très difficile, avait admis, le 7 avril, M. Ono. Pour pouvoir stocker l’eau contaminée, il ne faut pas s’arrêter d’installer des réservoirs. »
400 TONNES D’EAU HAUTEMENT CONTAMINÉE PAR JOUR
Chaque jour, le refroidissement produit 400 t d’eau hautement contaminée. Celle ayant fui des réservoirs atteindrait un niveau de radioactivité de 290 millions de Bq par litre. Pour éviter de la relâcher dans l’océan, Tepco a installé des dizaines de citernes et creusé sept réservoirs : 270 000 t d’eau y sont déjà stockées et l’entreprise a prévu de doubler cette capacité d’ici deux ans.
L’espoir de l’entreprise réside aujourd’hui dans un nouveau système de purification. Ceux utilisés jusque-là, conçus par Areva et Toshiba, ne permettaient de réduire que la quantité de césium. Mis au point par Toshiba, l’ALPS (Advanced Liquid Processing System) doit permettre de réduire celle de 62 radionucléides – sur plus de 1 000 présents dans l’eau très contaminée – pour l’amener sous les normes autorisées. Pouvant traiter 250 tonnes d’eau par jour, le système a commencé le 30 mars une période d’essai devant durer jusqu’en septembre au plus tôt.
En « nettoyant » l’eau, Tepco espère obtenir l’autorisation du gouvernement de pouvoir la relâcher dans l’océan. Cela faciliterait les travaux sur le site, dont le démantèlement doit prendre officiellement quarante ans. L’entreprise s’est engagée à mener une concertation avec les autorités locales et les coopératives de pêche avant toute opération. Ces dernières – dont l’activité reste réduite – se montrent sceptiques. Outre le problème de confiance dans les affirmations de Tepco, elles craignent de voir ce problème des fuites se répéter à mesure que l’eau contaminée va s’accumuler.
Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)