MANIPULATION : VOIR, COMPRENDRE ET…ÉVITER

En ces temps troubles où nous sommes abreuvés d’informations scandaleuses (ou présentées comme telles,) de toutes sortes, il paraît utile de rappeler l’importance de garder du recul sur tout ce qui est publié, par écrit ou à travers le télévisuel, et ne pas réagir dans l’émotion, car c’est justement l’effet qui est recherché.

On le sait, les émotions aveuglent l’esprit d’analyse.

Les dix stratégies de la manipulation de Noam Chomsky sont connues, et postées maintes fois sur le net, mais afin de compléter cette réflexion, voici une analyse très bien argumentée. C’est un peu long, mais ça vaut le coup de faire un effort !

Médias : censure, influence et pouvoir

 

La question est plus complexe qu’elle n’en a l’air. Voici comment cet article va tenter d’y répondre. Vous pouvez en retrouver les contenus approfondis et retravaillés dans l’ouvrage Médias : influence, pouvoir et fiabilité (L’Harmattan, 2012).

 

  1. Tout d’abord, en se demandant pourquoi associer les médias et la manipulation. Comment se fait-il que l’on se méfie ou que l’on doive se méfier des médias? Quels sont les phénomènes pointés du doigt? Qui est désigné comme « tirant les ficelles », qui est  pointé comme responsable, et pourquoi? Notons qu’il est question d’examiner et interpréter des phénomènes, leurs raisons, et non de prendre parti, notamment pour telle ou telle action politique. Ce que l’article veut combattre, c’est justement l’absence d’une critique positive (un jugement nuancé) vis-à-vis des médias.
    Il s’agit surtout, dans ce premier temps, de se demander pourquoi la question de la manipulation se pose (enjeux de pouvoir, enjeux de réflexion critique…)!
  2. Ensuite, nous nous demanderons comment les médias procèdent pour nous informer. Par quels moyens pourraient-ils manipuler ou du moins biaiser l’information? Quelles sont  les tendances? Comment les décrypter ?
  3. Enfin, nous tâcherons de savoir s’il y a une réelle influence. Plutôt que d’y répondre de manière catégorique, nous formulerons la question de manière positive : à quoi peut-on se fier? Plutôt que d’alimenter une méfiance  (en partie légitime) envers le système médiatique pris comme une totalité, nous tâcherons de réfléchir à des enjeux en termes de solutions, d’outils et d’attitudes permettant de parvenir à une confiance critique, nuancée, envers les médias.

Nous découvrirons au fil de cet article que critiquer les médias, c’est aussi comprendre et critiquer la société dans laquelle ils naissent, c’est-à-dire les opinions et usages typiques de ceux-ci, ainsi que les idéologies ambiantes. Il convient de faire une introspection personnelle également, afin de mettre à jour nos propres attitudes et croyances par rapport à l’information véhiculée. La manipulation n’est peut-être pas où on dit le plus souvent qu’elle est.

Vous désirez approfondir la question des médias, leurs dérives, influences, mais aussi le rapport social qu’ils suscitent? Découvrez mon site de veille et de curation médias et société ou un cadre de réflexion plus large via la table des matières du blog.

 

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1. Pourquoi la question de l’influence ? Qui se cache derrière ? Quels enjeux ?

 

Qui a des enjeux à communiquer?

 

Historiquement, quelles ont été les dérives des médias?

 

Quels sont les faits désignés comme problématiques?

 

Ceci est une introduction, qui permet aussi de comprendre pourquoi, aujourd’hui, il existe des tendances de méfiance systématique par rapport aux médias.

 

1.1. Le cas de la propagande

 

Le mensonge d’un système

 

La propagande nazie, montrant des déportés propres sur eux, travaillant calmement. Le sujet mériterait qu’on y passe des pages : voici une dérive extrême d’un système, qui a utilisé l’image et les médias (radios, télévision, affiches…) afin de tromper la population.

 

 Walter Frentz, Déportés, montage des fusees V2, Dora, Allemagne, 1944 

 

[Walter Frentz, Déportés, montage des fusees V2, Dora, Allemagne, 1944].

 

Notons déjà une relativisation possible du pouvoir de l’image : la propagande a-t-elle eu tant d’effet qu’on lui prête communément ? L’image n’est-elle pas seulement un moyen de conforter les idées des esprits déjà endormis ? Etudier la propagande sans en étudier le contexte reviendrait à oublier tout ce système occulte et organisé qui n’a probablement pas facilité la réflexion critique.

 

Concernant la propagande, voir aussi le site de Reporter sans frontières, en lien avec la question de la liberté de la presse et celle des régimes politiques.

 

1.2. La relève de la propagande

 

Les politiciens

 

Les politiciens sont souvent pointés du doigt en ce qui concerne la manipulation des médias ; il suffit de penser, en Europe, à la tutelle de Silvio Berlusconi sur les chaines privées italiennes (c’est lui qui les a créées : site de son groupe média Fininvest), ainsi que publiques via son élection (l’état a son mot à dire sur la télévision publique).

 

En France, lors de son quinquennat, Nicolas Sarkozy semble prendre des mesures contraignant le service public, souvent désigné comme étant « à gauche » de l’échiquier politique, en supprimant la publicité sur France Télévisions (la publicité est une source de revenus colossaux pour les télévisions). Les retouches de ses poignées d’amour dans Paris Match (possédé par son ami Lagardère) ont également défrayé la chronique. Dès avant son élection en 2007, ses relations avec plusieurs patrons de la presse font froncer les sourcils de certains. Plusieurs quotidiens papiers français assument d’ailleurs leur orientation politique. Comme il existe des milliers d’articles là-dessus, je ne veux pas tomber dans la facilité et continuer la polémique ici. Je me contente d’évoquer cette question, car l’enjeu de cet article est bien plus large et critique.

 

Notons simplement que la problématique se pose partout, en Belgique aussi (la composition du Conseil d’Administration des chaînes publiques est liée aux majorités politiques en place, ainsi que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. La différence avec les systèmes français et italien réside dans le fait que cette composition est orientée de manière moins « radicale », bipolaire, du fait que nous bénéficions d’un modèle proportionnel). Pas besoin non plus de trainer sur les enjeux : le quidam s’en fait très bien une idée via le sur-traitement de ces faits.

 

 

Sarkozy : bourlet retouché dans Paris March

 

 

1.3. Les orientations des médias : « le quatrième pouvoir »

 

Les opinions et jugements de valeur dans la presse

 

C’est un phénomène dont on parle moins : les médias eux-mêmes, indépendamment de toute « influence externe », nous manipuleraient grâce à la façon dont ils nous présentent les « infos » : en 2007, Nicolas Sarkozy (encore lui, car c’est un bon exemple) n’est pas le même vu en France, où sa mainmise sur certains médias pose question, que vu et surcritiqué à l’étranger, par exemple sur la chaine publique belge. Ce sont dans ce cas les journalistes eux-mêmes qui laissent la place à leurs avis, à leurs orientations politiques, et qui émettent des jugements de valeur biaisant l’information.

 

Barack Obama reçoit un Prix Nobel de la paix alors qu’il est à la tête d’un pays fortement engagé en termes de forces armées (le Washington Post parle de 75 pays contre lesquels les USA sous Obama seraient encore en guerre) mais durant son mandat, n’a jamais  été critiqué en Europe comme Bush l’a été ; les politiciens européens n’ont a priori pas grand-chose à voir avec le discours anti-Bush/pro-Obama pourtant.

 

Les médias flamands chez eux critiquent la Wallonie mais les flamands sont aussi vus et critiqués par certains médias francophones, etc. Ce sont des exemples de l’orientation idéologique, souvent identitaire, qui est beaucoup plus grave à mes yeux que la seule question politique, car elle est plus « perverse » et moins connue. Elle alimente la différenciation entre un « nous » et un « eux » ; elle crée des camps qu’elle oppose et des bouc émissaires, parfois jusqu’à une certaine haine (Cf. les problématiques de l’identité).

 

1.4. De plus en plus : les publicitaires, l’économique

 

Lobbies, multinationales, industries

 

Evoquons simplement les lois du marché (par exemple, parler de « crise », de « morts », de « pandémie », c’est très vendeur), les logiques commerciales, les groupes de pressions (industrie du tabac, de l’alcool, du coca, Mobistar,…). C’est le « nerf de la guerre », le pourquoi on mesure les audiences.

 

Pensez à tous les slogans du genre « demandez toujours plus » « demandez plus à votre argent » (Crédit Lyonnais), « demandez plus à la vie » (Mobistar), etc.
L’influence directe de la pub est relativisée par les études « médiatiques » : on n’arrive tout du moins pas à déterminer précisément quel est son véritable impact sur la consommation. La majorité des individus se disent ouvertement contre la publicité, les zappent, se plaignent qu’elles vont trop fort, etc. Sur les centaines de publicités que nous voyons chaque jour, combien nous touchent effectivement? Il y a une tendance à en prendre le contre-pied.

 

Néanmoins, si nous ne sommes pas influencés directement (envie immédiate d’acheter le produit), nous baignons dans une idéologie avec tout un socle d’idées reçues (création éternelle de besoins, idéologie de croissance, d’augmentation de la consommation, des droits, des facilités, etc.), dans une société où les grands groupes médias / publicitaires posent la question de l’uniformisation de l’information (voir également à ce sujet le traitement médiatique de DSK), invitent à réfléchir le thème de la préférence pour le divertissement et ce qui est « séducteur » dans les médias (notamment le divertissement à la télévision), ou encore dans le mythe du quantitatif, du « toujours plus ». Comme sur facebook où le nombre d’amis importe plus que qui ils sont réellement. Des idéologies et représentations sont véhiculées dans la pub (ainsi en est-il des pubs pour l’alcool).

 

Publicité vintage sexiste

 

Une publicité vintage sexiste : « soufflez-lui dans la face et elle vous suivra n’importe où ». Plus que le simple message incitant à acheter un produit, cette pub dit beaucoup sur la place de la femme et son image dans cette société.

 

Les médias alimenteraient en fait le capitalisme, un monde de consommation (Cf. Adorno), ce qui est vendeur (et donc dehors la polémique, les sujets qui fâchent!). Le business est incommensurable. On truque des matches de sport pour de l’argent. Dès lors, pourquoi ne « truquerait »-on pas l’information? Cela vaut pour Google ou encore Wikipédia : quid des instances qui ont des enjeux marketing à communiquer? Sans compter également les enjeux liés à la mise en récit, à la séduction.

 

L’influence directe, immédiate et hypothétique émanant de « producteurs » n’est à mon avis pas ce qu’il y a de plus « à craindre ». Il faut aussi réfléchir à nos réactions. En effet, certains choisissent le rejet systématique des médias : ce refus massif, en bloc, cette position sans nuance, est-elle plus intelligente que de « tout » gober?

 

Ainsi, plutôt que de critiquer « passivement » une des sources de « non-réflexion », ne devrait-on pas s’attaquer à la « non-réflexion » en tant que telle?

 

 

1.5. L’influence cachée

 

Le « socle idéologique » de la société : préjugés, sens commun, croyances partagées

 

Je vais être amené à développer cette idée, mais il semblerait que l’influence ne soit pas réellement où on le croit. Le public a majoritairement tendance à penser que le méchant-média va tenter de le corrompre avec sa propagande. Or, dans les faits, il se trouve que les gens n’adhèrent souvent qu’à des propos qui leurs sont proches, familiers (Cf. lexique – théories de l’information et de la communication, ainsi qu’une présentation didactique de Lazarsfeld et Katz), à des idées auxquelles ils sont déjà enclins, à des propos qu’ils « apprécient ». En bref, une majorité statistique de personnes « goberait » plutôt ce qu’elle veut entendre… tout en critiquant aveuglément le reste. Cela retourne le problème : au lieu de critiquer le média, il faudrait éduquer le public (notamment les jeunes), l’encourager à se remettre en question(s), ainsi qu’à identifier les valeurs, postulats et tabous de la société dans laquelle évolue ce média (Cf. Ricoeur – lexique).

 

Le problème est néanmoins le suivant : si un média veut « vendre » et être « crédible », il n’a pas spécialement intérêt à trop bousculer le public dans ses croyances. On obtiendrait donc des médias qui, au lieu d’informer, se feraient simplement le miroir du sens commun et de ses critiques les plus consensuelles, les plus partagées, les moins remises en cause -et donc les moins réfléchies-.

 

C’est l’exemple typique du micro-trottoir. L’article la socialisation contre l’information de @cyceron rejoint ces considérations.

 

Si l’on applique le modèle des trois mimésis de Ricoeur à la question des médias, on obtient l’idée qu’un média s’inscrit toujours dans une culture/une société qui lui pré-existe ; il ne nait pas indépendamment de celle-ci. Ce média « transforme » la réalité dont il parle, la configure à sa manière, la formate, tout en ne rendant pas compte de toute cette réalité. Enfin, le récepteur confronte sa vision du monde à celle du média. Ainsi, ce qu’il faut retenir, c’est la complexité des choses : un média nait dans une société où cohabitent plusieurs visions du monde, il la rend partiellement et imparfaitement, par son prisme, et enfin une partie du monde la reçoit de manière différenciée, en fonction toujours d’une origine et d’une existence, donc d’un certain point de vue (qui a en partie contibué à son élaboration!) et la modifie une fois encore. C’est en prenant en compte tous ces paramètres (production de l’information, construction de celle-ci, choix des sujets et traitement des données ; mais aussi contexte socio-culturel, pratiques, usages et opinions) que l’on peut parvenir à une critique la plus fine possible du système médiatique (pour peu que l’on puisse l’étudier comme un tout).

 

Pour alimenter le questionnement et visionner des anecdotes vis-à-vis des médias, nous vous suggérons certains épisodes du Petit Journal sur Canal+, dont quelques-uns sont très évocateurs de certaines dérives médiatiques/mercatiques/politiques. Notons que cette émission est l’objet de nombreuses polémiques (voir sur @rrêt sur images).

 

2. Comment les médias pourraient-ils nous influencer ? Comment les décrypter ?

 

2.1. Les médias « mentent » parfois consciemment

 

Bye bye Belgium, manipulations, censure,… Le pouvoir de l’image

 

Le coup « génial » de journalistes de la RTBF : en 2006, ces derniers avaient réussi à faire croire à une majorité des wallons que la Belgique allait être scindée. Je trouve que c’est un bien pour un point : il faut apprendre à faire attention à ne pas croire tout ce qu’on lit, qu’on voit ou qu’on entend dans les médias, à prendre distance par rapport à l’image. « Ceci n’est peut-être pas une fiction » ; si la télévision publique belge a organisé ce « canular » une fois, ne pose-t-elle pas plus largement le débat des manipulations par les médias? Lorsqu’une image est montrée quand quelque chose est commenté, cela conforte la tendance à croire qu’il s’agit de faits puisque ceux-ci sont vus (ce qui néglige totalement le choix de l’info (agenda setting dans le lexique ou agenda-setting theory en anglais), son cadrage, son traitement, sa mise en forme, son interprétation).

 

Il y a deux choses à retenir :

 

  • Face à une image, la crédulité est plus grande (fonction d’attestation de l’image)
  • La plupart du temps, les images, comme les chiffres, peuvent être interprétés ; on peut donc plus facilement induire en erreur avec ceuc-ci.

Rappelez-vous de l’image de foule utilisée par la RTBF pour faire croire que les anversois fêtaient la scission de la Belgique ; elle venait de leurs archives. Le JT, ou la presse écrite sous-tendent une impression de recevoir la Pure Information (caractère authentifiant du dispositif (et idéologie vis-à-vis du journaliste et de sa neutralité?), comme si on regardait par une fenêtre et qu’on y voyait le monde entier. C’est pareil pour la radio, et même souvent pour Internet).

 

Empressons-nous de nuancer : ce reportage n’a pas laissé le belge indemne. Et si cela avait changé son rapport aux médias? Et s’il n’avait pas, depuis, adopté une attitude encore plus méfiante envers l’information en général? …Entre une confiance aveugle à une méfiance aveugle, n’y a-t-il pas tout un panel d’attitudes préférables?

2.2. Les médias colportent des idéologies « inconsciemment »

Bye bye Belgium était un coup monté pour tenter d’enclencher une certaine prise de conscience. Cette fois là, on nous a dit que c’était une « fiction ». Mais ce que les médias véhiculent parfois comme idéologies (et/ou orientations politiques), dans le JT ou autre part, est plus grave, car cela peut passer inaperçu. La façon dont France 2 traite l’information rappelle également l’idéologie sociale que peut refléter un JT (en l’occurrence, sur la télévision française, la vision du belge reste parfois marquée par les stéréotypes).

 

Notons cette considération de Ricoeur (dans L’idéologie et l’utopie) : une idéologie fonctionne d’autant mieux que son occultation -sa dissimulation d’elle-même– est forte. Cela signifie que moins on voit qu’il y a une idéologie -plus on trouve que ce qu’on nous dit est « neutre » et « normal »- , plus on devrait en réalité se méfier. Meilleurs influents sont les médias qui se présentent comme objectifs et neutres, alors qu’ils communiquent des valeurs et des visions du monde partagées. Cela ne vaut pas uniquement pour les médias : on trouve des applications dans la culture (collectif d’individus) mais aussi pour les valeurs de certains individus seuls : plus on pense son avis comme allant de soi, plus il y a de chances qu’il se base sur des présupposés qu’il ne prend pas la peine de mettre en doute. Or, il n’y a rien de pire qu’une croyance qui s’érige en un dogme.

Dans L’idéologie et l’utopie, Ricoeur écrit ceci :

L’idéologie est toujours un concept polémique. Elle n’est jamais assumée en première personne : c’est toujours l’idéologie de quelqu’un d’autre.

 

C’est une invitation : ce n’est pas tant les idéologies de « l’autre » que les miennes que je dois interroger.

 

2.3. Les médias choisissent (et donc occultent) les informations qu’ils colportent

 

La fonction d’agenda

 

Le choix de l’info : est-elle vraiment exhaustive? Qu’est-ce qu’on veut bien nous dire, qu’est-ce qu’on nous cache? Quelle est la société qui parle au travers des médias? La presse, les journaux et la télévision ne colportent jamais de l’information pure et complète, tout simplement parce que les informations sont triées (il est de toute façon matériellement impossible d’informer sur tout ce qui se passe partout dans le monde!). Etes-vous averti de toutes les lois qui sont publiées au moniteur belge? Bien sûr que non. Par contre, on vous parlera trois mois de Bush qui a failli s’étouffer avec un bretzel ou de « pandémies » ou encore de « crises » en tous genres, qui sont en fait autant de status-quo, extrêmement pauvres en termes informationnels. Ainsi en est-il par exemple de « la chute » de DSK, relayée dans quasiment toutes les unes des quotidiens français, avec des titres très semblables et la même photo dans 16 quotidiens.

 

Dominique Strauss-Kahn (DSK) : unes de journaux

Parle-t-on de tous les viols qui se passent dans votre pays? Non, certaines choses ne sont pas dites. On parle parfois d’une petite fille que ses riches parents ont réussi à faire médiatiser un maximum, mais on ne parle pas des réseaux pédophiles qui sont à deux clics sur Internet. Si la censure « externe » (par les pouvoirs publics) semble aujourd’hui très relative, cette sorte de censure « interne » et la question de l’uniformisation, de la formalisation, liées à des tabous et préférences idéologiques notamment (ou à l’intérêt du consommateur?), représentent une épée de Damoclès au-dessus de certains contenus des médias. En bref, on nous parlerait de ce qu’on veut bien nous dire (en fonction de ce qui semble plaire, souvent!) et comment on veut bien nous le dire : certains sujets obtiennent de l’importance, d’autres non. (cf. la théorie de l’agenda setting et la socialisation contre l’information)

 

3. Influence réelle et solutions ?

 

La question de l’attitude par rapport aux médias : entre une réception acritique et la critique négative systématique

 

3.1. Influence réelle ?

 

Les œillères (notamment politiques) de la réception et le fait que le média naisse dans une culture (dans un contexte plein de présupposés, de préjugés, de postulats, d’idéologie)

 

Idiocracy (Mike Judge), 2006 Idiocracy, un film de Mike Judge, 2006.

 

Si le récepteur est ici typiquement « abruti », il ne faut pas oublier que c’est chez les gens qui se croient le plus « à l’abri », notamment de par leur formation, se sentant « l’élite » qu’il y a le plus de risques de pensée préconçue, de stéréotypes et de présupposés.

 

Il faut relativiser l’influence de ces « méchants médias qui nous manipulent ». La preuve, c’est que vous vous intéressez à cet article : vous cherchez un point de vue à distance par rapport aux médias! Une tendance aujourd’hui consisterait à prendre systématiquement le contrepied du discours médiatique, ce qui ne me semble pas être une solution nuancée.

 

Plusieurs d’entre vous arrivent d’ailleurs sur cet article via l’idée selon laquelle « X ou Y manipule les médias », « influence des médias », « censure et médias », « médias et manipulation » ou « comment les médias nous manipulent », tapée sur Google, par exemple.

 

En bref, par peur d’une « confiance aveugle » dans des médias qui ont montré leurs dangers, plusieurs choisiraient aujourd’hui une sorte de « méfiance systématique ». Celle-ci n’est-elle pas tout aussi aveugle?

 

Il ne faut en effet pas aller trop vite. Par exemple, si vous pensez que Sarkozy est un politicien véreux, vous ne serez pas dupes face à Paris Match, le Figaro ou TF1 et vous direz « de toute façon, ce média est manipulé par Sarkozy ». Par contre, si un média le critique, vous ne vous poserez pas la question de savoir s’il est coloré ou non. Ce raisonnement marche dans l’autre sens : ceux qui sont pour Sarkozy ne le seront pas plus à cause du média, mais critiqueront les autres. Ainsi, en France, le débat de l’entre-deux tours des présidentielles n’aurait aucun impact sur les résultats.

 

C’est l’apogée de la campagne du second tour. Depuis sa création en 1974, le débat de l’entre-deux-tours a marqué les esprits, délivrant quelques-unes des répliques les plus connues de la vie politique comme le fameux «Vous n’avez pas le monopole du cœur» de Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand en 1974. Mais cette aura est inversement proportionnelle à l’influence du face-à-face télévisé. Jamais le débat n’a permis de modifier le rapport de force entre les candidats. Quelle que soit la performance des intéressés, quelle que soit l’intensité du débat.

 

[…] Le débat conforte les électeurs dans leurs opinions

 

Politologues et sondeurs estiment qu’au maximum le face-à-face peut faire glisser 200 à 300.000 voix. […] Plus l’avance du favori sur le challenger est marquée, plus le débat a une influence marginale, résume au figaro.fr Christophe Piar (1), maître de conférences à Sciences Po.

 

Plus que de faire changer d’opinion, un débat conforte l’électeur dans son choix. «Celui qui est considéré comme le vainqueur du débat est toujours le favori des sondages», note Christian Delporte (2), spécialiste de la communication politique. «L’électeur retient ce qu’il a envie d’entendre et estime que son champion a été le meilleur.» «Aucune étude ne démontre un “effet débat” sur les indécis qui se décident plutôt selon une logique de vote de soutien au vainqueur ou vote de soutien au perdant», souligne le chercheur.

 

En bref, en quelque sorte, les médias ne changeraient pas tant nos idées, nos points de vue, mais souvent, ils offrent de quoi les nourrir et endorment la réflexion. Car après tout, c’est nous qui contribuons à les rendre ainsi (Voir aussi l’article : Internet : quand le murmure de la réception devient audible). L’influence potentielle n’existe que par rapport à des gens qui n’ont pas d’avis au départ, et ils sont relativement rares. Il faut donc arrêter de dire « de toute façon, les médias sont tous des menteurs ».

 

Malgré les dérives connues, liées à certains fonctionnements de la presse (dont plusieurs que nous n’abordons même pas ici, impliquant tantôt des erreurs grotesques (« des adolescents japonais se suicident à l’annonce du report de la sortie d’un jeu ») tantôt de la pure et simple désinformation (traficages de l’article Wikipédia de JP Pernaut)), la tendance à postuler que les médias « mentent » et « manipulent » ne semble pas propice à une véritable réflexion critique.

 

Effectivement, nous pouvons constater des mises en scène de l’information dans certaines émissions, avec un dévoiement de reportages et des fautes journalistiques. Cependant, la tendance à tout rejeter en bloc est tout aussi fallacieuse et procède de la même lacune : il s’agit en général de propos réducteurs, biaisés, voire faux. Des amalgames, en somme. 

 

Idem pour ce qui est de la phrase : « les politiciens… tous des pourris ». En règle générale, nous invitons à éviter de parler de la société comme un tout. Cela est vide de sens. Si effectivement un homme politique peut manipuler les médias, ce n’est pas nécessairement cela qui changera votre opinion sur lui. C’est plutôt l’absence/le manque de réflexion, la critique et le rejet systématiques qu’il faut attaquer (cf. les articles Test, la Communauté « ouverture d’esprit » et Question de points de vue). Bien sûr, il y a des raisons de « crier au loup », mais c’est manquer de nombreuses nuances et passer à côté de la complexité du monde que de s’en remettre à un rejet simpliste, à une interprétation « binaire » des choses (cf. notamment la question du conspirationnisme).

 

La plupart du temps, les médias ne changent pas du tout les idées, il s’agit bien plutôt d’un endormissement la réflexion. Ainsi, la question du public qui ne change pas ses opinions ou qui se contente de la simplicité est cruciale par rapport à la question de l’influence des médias. Au fond, les médias ont le pouvoir qu’on leur prête. Un exemple d’oeillère flagrant me semble être l’appartenance politique (comme le montre la figure ci-dessous) ; statistiquement et grosso modo, si vous êtes de gauche, vous allez détester Sarko, et donc critiquer systématiquement tout média qui le présenterait de manière sympathique, ainsi que toutes ses idées, même si elles favorisent les plus démunis, par exemple. L’œillère fonctionne dans les deux sens : si vous êtes de droite et qu’il prend une décision tout à fait de gauche, vous l’approuverez malgré tout, alors que les personnes de gauche la désapprouveront! D’ailleurs, à propos de cet homme politique français, voici quelques propos qui contrebalancent le point de vue « Sarkozy manipule les médias » : sur base d’un sondage Marianne, Eric Brunet conclut que 6% des journalistes seulement serait de droite. Des propos à fortement nuancer également, mais cela a le mérite de poser le débat!

 

Cohen, Accord envers un programme social généreux au austère en fonction de l'orientation politique du participant et de l'appartenance politique du groupe de référence Remarquez que les deux groupes d’appartenance se trompent : ceux de droite acceptent une décision de gauche, alors que ceux de gauche refusent une décision de gauche, simplement parce que celui qui la prend est étiqueté de droite.

 

Le magazine télévisé français « C dans l’air » du 2 janvier 2012 a pointé des résultats similaires. D’une part, que sur un indice de 10, les Français font confiance aux médias à hauteur de 5,7, ce qui n’est pas énorme. D’autre part, qu’en forçant le trait, les personnes qui font confiance au Figaro (quotidien papier de droite) ne font pas confiance à Libération ( quotidien papier de gauche) et vice-versa.

 

L’ennemi est bête, il croit que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui.

Desproges

 

L’idée est que les médias ne posent pas tant la question de leurs contenus que de la façon dont le public les reçoit ; soit le fait de « gober » systématiquement (souvent ce qui est en accord avec notre façon de penser), soit le fait de rejeter systématiquement (tout ce qui va à l’encontre de ce qu’on pense. Cf. à ce sujet la problématique des théories du complot). Notez que les deux attitudes sont assez pauvres en termes de critique d’information : aucune ne donne de critère permettant de dire ce qui est fiable ou non, et pourquoi.

 

 

 

Il ne s’agit pas uniquement de raisons purement logiques, factuelles, mais aussi voire principalement socio-affectives.

 

 

En d’autres termes, les médias ne font en général que renforcer les clivages, les stéréotypes, appartenances, valeurs… déjà présents au préalable. C’est donc aussi notre propre manque de distanciation critique (critique entendue non au sens de reproche, mais de jugement nuancé) qu’il faut combattre : il est très facile de critiquer le média qui défend les points de vue adverses, mais il faut se poser les mêmes questions par rapports à ceux qui défendent nos propres points de vue! (La théorie du biais de confirmation, ainsi que l’avis de Ricoeur lorsque ce dernier écrit que « l’idéologie n’est jamais présentée qu’en troisième personne […] c’est toujours celle des autres », illustrent d’ailleurs parfaitement cela ).

 

 

Pour résumer, si les médias colportent en effet des idéologies, et malgré leurs dérives (qui sont peut-être plus rares qu’on ne les retient : tout comme « les médias parlent plus des trains qui déraillent que de ceux qui arrivent à l’heure », « les individus retiendraient plus les dérives que les cas « normaux » ; les dérives « font l’événement! ») en réalité, ce sont bien souvent des idéologies déjà présentes dans la société, des prêts-à-penser, des choses qu’on ne remet pas en question tant on les considère comme évidentes. Cela est donc loin de se limiter à une prise de position par rapport au clivage gauche-droite (car cette position, en général, vous l’adoptez par vous-même une fois pour toutes, et critiquez avec cette oeillère), mais cela concerne tous les modes de pensée de la société qui les reçoit (capitalisme, relations femmes-hommes, valeurs, comportements, etc.). En effet, la critique traditionnelle des médias pointe souvent des préférences particratiques. Quid par exemple de l’idéologie d’un clash nécessaire entre les idées ? Que « les » journalistes et « les » gens aient des opinions est normal, mais même des pseudo-intellectuels ne relèvent que les petites phrases échangées entre les camps. Si l’on sait aujourd’hui que les diverses joutes et débats ont un résultat difficile à mesurer quant aux votes (quid des millions d’euros dépensés en campagnes d’affichages et en papier?), il me semble également légitime de s’interroger sur cette présentation qui lie intimement la discussion et la guerre… Cette idéologie -parmi d’autres- me parait bien plus pernicieuse que la question réductrice et trompeuse des préférences affichées ou non des journalistes. Elle ne se limite d’ailleurs pas à leurs pratiques, mais aussi aux façons de lire et interpréter de leurs publics. Au sujet de cette idéologie en particulier, lire mon article Lakoff, La discussion, c’est la guerre.

 

3.2. Des solutions

 

Je pense qu’il est possible de créer une meilleure éthique du journalisme et contrebalancer davantage cette logique capitaliste qui préfère l’audimat et le pouvoir à la vérité, ainsi que stopper la simplification abusive en arrêtant de postuler que les récepteurs ne comprennent rien et ne veulent rien comprendre.

 

« S’il faut donner au public ce qu’il veut, il faut aussi lui proposer ce qu’il ne sait pas encore qu’il veut ».

 

Frank, C., Pourquoi l’information grand public est-elle si pauvre? (site www.mediaculture.fr)

 

Un organe de contrôle indépendant pourrait posséder un pouvoir plus élevé (quid des organes existant, comme le CSA, le Jury d’éthique pub ou encore le Conseil de déontologie journalistique – CDJ?), avec la possibilité de soulever un débat démocratique, mais surtout d’insister sur l’émancipation citoyenne. En effet, pour le moment, ces organes ne semblent avoir que peu de pouvoir, ou du moins peu visible par les usagers (si ce n’est faire respecter les temps de publicité et faire taire la discrimination (sans même avoir à argumenter contre elle)). En bref, on crèe des tabous, mais on ne débat plus, au nom de la sacro-sainte liberté d’expression (un paradoxe!). Des quasi incitations à la haine ou à la débauche bien masquées et bien ficelées peuvent être éditées (ou pondues en commentaires des sites des grands médias)…

 

Par ailleurs, je dirais qu’il faut aussi que chacun prenne conscience que personne n’est neutre, même s’il ne faut pas non plus diaboliser les journalistes (justement, ce sont des citoyens avec leurs idées, valeurs…), car beaucoup essaient d’avoir les propos les plus honnêtes possibles, avec une grande bonne foi. Des valeurs peuvent être colportées inconsciemment ; il ne faut pas faire un procès d’intention à tous les médias dans leur ensemble. C’est par conséquent aussi (et surtout?) à nous de ne plus traiter de manière trop simpliste les informations… Mais de tenter de faire la part des choses avant d’émettre un jugement. C’est la co-construction du message, en somme.

 

Pour tout cela, deux pistes, donc : instaurer une meilleure éthique journalistique, plus indépendante, et l’éducation. Il s’agirait de créer des programmes éducatifs à la critique constructive, nuancée (qui n’est pas un simple rejet, un ensemble de « reproches », mais une réflexion) concernant notamment l’information, la violence, la pornographie, d’où qu’elles viennent. En d’autres termes, je pense que l’on peut aider les gens à recadrer ce qu’ils voient. Cela peut se traduire dans les cursus existants (sciences humaines, exemples issus des médias en français, fautes logiques en maths,…) mais aussi éventuellement par des Cours d’éducation aux médias, dans les écoles.

Source : http://julien.lecomte.over-blog.com/

A VOIR AUSSI SUR CE THEME : HOLLANDE, DSK etc… Un film que l’on pourrait apparenter aux « Chiens de Garde » à télécharger gratuitement à l’adresse suivante :

http://www.pierrecarles.org/

Bonne réflexion !

 

 

 

 

 

 

 

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