A QUI PROFITE « OFFSHORE LEAKS »?
Suite au séisme médiatique provoqué par cet événement, certains journalistes commencent à se poser des questions, une en particulier : Et si ce n’était qu’une gigantesque manipulation ? C’est vrai, qu’en dehors de l’effet d’annonce, il n’y a pas, pour le moment, beaucoup de grain à moudre…..
« Ce qu’on a, pour l’heure, c’est du vent. En outre, qui donc a piraté ces données ? D’où vient ce mystérieux disque dur ? Aucune information à ce sujet.
« Offshore Leaks ». Un beau matin du 3 avril 2013, l’opération ainsi baptisée nous tombait du ciel, sous forme d’annonces coordonnées de plusieurs journaux internationaux, à grand renforts de teasers et de mises en appétit sensationnelles. On allait nous révéler les dessous du monde opaque de l’évasion fiscale internationale. De grands noms d’évadés fiscaux illustres allaient sortir. Des personnalités de haut rang seraient compromises.
Mais concrètement, seule la taille de l’opération était au centre des premiers articles : le nombre de documents concernant des sociétés offshore (2,5 millions !), le nombre de sociétés offshore dévoilées (122’000 !), le nombre de Gigaoctets que pèsent les données (260 !). Des chiffres se voulant impressionnants, des promesses d’informations plus que juteuses.
L’opération, qui portait déjà un nom très vendeur à sa sortie, faisant opportunément référence au fameux site Wikileaks, est organisée en tous points à la manière de la sortie d’un iPone 6 par Apple, sauf qu’ici, c’est le Consortium international des journalistes d’investigation qui en est à l’origine, même si les données en elles-mêmes lui sont tombées rôties dans la main, il y a un an, lorsqu’il a reçu un paquet anonyme contenant un disque dur de données volées. La distillation des informations par les journaux, opération soigneusement concertée, semble suivre un planning bien préparé, chaque journal sortant au même instant un article sur l’opération, mais qui pour l’heure laisse perplexe en termes d’apport concret d’informations.
Un pétard mouillé ?
S’agit-il d’un pétard mouillé ? Il est peut-être prématuré d’émettre un avis à ce stade. Mais jusqu’ici, ce qu’on a, disons-le, c’est du vent. Sur les 130 noms français dévoilés, il n’y en a qu’un de connu: celui de Jean-Jacques Augier, le trésorier de la campagne présidentielle de François Hollande, sur lequel on a uniquement des révélations à ce stade bénignes : il a ouvert durant les années 2000 deux sociétés aux Iles Caïmans, ce qui en soi n’a rien d’illégal à moins de prouver qu’il les a utilisées pour cacher des revenus non déclarés ou de l’argent d’origine criminelle.
Pour la Suisse, on a pour l’instant le nom d’un mort, le photographe Gunter Sachs, qui aurait détenu entre 1993 et 2007 deux sociétés offshore aux Iles Cook, ainsi que cinq trusts. Clairement, l’héritier de la fortune de la famille von Opel a recouru à des arrangements permettant, si ce n’est d’évader entièrement les impôts, du moins clairement de les minimiser. Il est toutefois certain que des vivants aussi recourent à ces structures, mais les connaîtra-t-on ? Pour le reste, surgissent de-ci de-là des mentions de dentistes américains, d’anciens politicaillons asiatiques, de collectionneuse d’art espagnole. Rien de fracassant.
Au demeurant, pour mettre les choses en perspective, soulignons que les 120’000 sociétés offshore dévoilées par cette « méga-opération » pâlissent quand on sait que les seuls trois Etats américains du Delaware, du Wyoming et du Nevada renferment plus de 700’000 sociétés offshore. Aura-t-on la moindre information pertinente sur ces juridictions-là qui figurent parmi les plus opaques au monde ?
Par ailleurs, il manque l’essentiel. Lorsqu’on dévoile ainsi une base de données volée à des intermédiaires financiers des Iles Vierges Britanniques et de Singapour, la première chose que l’on attendrait d’un consortium de journalistes d’investigation, c’est qu’il nous informe sur l’identité du voleur. Qui donc a piraté ces données ? D’où vient ce mystérieux disque dur, arrivé dans un paquet anonyme? Avant de s’enthousiasmer et d’avaler tout droit ces informations, il convient de s’interroger sur qui a intérêt à les livrer ainsi en pâture, et qui sera balancé aux médias, et qui sera éventuellement protégé.
Comment le lecteur peut-il être sûr qu’un gouvernement intéressé n’est pas derrière cette opération ? A l’époque des enquêtes sur les activités d’Al Qaïda en Suisse, par exemple, des renseignements étaient directement faxés par le gouvernement américain à certaines rédactions, sans que cela ne soit mentionné dans les articles. Dans le cas présent, si le Consortium international de journalistes d’investigation s’est engagé à ne pas divulguer la source, qu’il le dise clairement. Mais il manquera toujours, aux lecteurs, cette information essentielle.
Dans le cas de Wikileaks, au moins, on savait qui étaient les opérateurs du site. Dans le cas du livre d’Antoine Peillon sur UBS France, sur lequel j’ai pourtant émis un certain nombre de critiques, il avait le mérite de n’avoir pas fait secret du fait que la plupart de ses informations provenaient des services de renseignements français. Dans le cas des CD volés au Liechtenstein et à la banque HSBC à Genève, et des données sorties de la banque Julius Baer aux Caïmans, on connaissait l’identité des « agents » ayant fait sortir les informations : Heinrich Kieber, Hervé Falciani, et Rudolf Elmer. Quant à Offshore Leaks, on attend toujours de savoir de qui provient ce disque dur, information totalement passée à la trappe.
Mais surtout, après toute cette hyperventilation, lorsqu’on en viendra aux informations concrètes, qu’est-ce qui en sortira, au final ? On sera sans doute fixés ce dimanche. »
source : Bilan.ch